Gestion du cavaillon : adapter ses stratégies, tester les innovations

Le 11/07/2022 à 8:53 par La rédaction

Problématique numéro un en bio, la gestion de l'herbe sur le cavaillon nécessite une grande technicité et des investissements économiques et humains importants. Entre recherche de l'outil idéal et stratégies de rationalisation du travail, le point avec deux spécialistes du sujet et un vigneron.

Les itinéraires de gestion du cavaillon ont longtemps reposé sur la combinaison d'outils de type décavaillonneuse et de lames interceps. S'ils ont l'avantage de laisser le cavaillon très propre, une fois les bons réglages trouvés, ces matériels sont néanmoins de plus en plus délaissés par les vignerons du fait de débits de chantiers jugés trop faibles. David Marchand, conseiller au Fibl, le constate : « En Alsace ou en Suisse, les vignerons optent pour des équipements plus rapides. L'objectif est de maximiser la vitesse, quitte à passer plusieurs fois. Et on joue davantage sur la combinaison des outils. » De fait, l'augmentation des surfaces cultivées en bio amène à repenser les itinéraires pour réussir à travailler l'ensemble du parcellaire rapidement, au gré de fenêtres météo parfois capricieuses.

La vitesse, pour optimiser les coûts

Pour ce faire, plusieurs stratégies se côtoient. Pour David Marchand, la technique classique se base sur la combinaison des disques crénelés simples ­ outils lourds faisant de la terre ­ avec des disques émotteurs doubles ou triples, plus légers, pour émietter le sol. « Ces outils peuvent être passés à 8 km/h, c'est efficace sur des herbes jeunes ! » Certains y ajoutent parfois des étoiles type Kress. « C'est vraiment la stratégie de début de saison. L'objectif est d'aller vite, à une période où les chantiers se chevauchent avec les traitements ou les travaux en vert », complète-t-il. Si ces outils ont le vent en poupe, rares sont les vigne- rons n'utilisant qu'eux. Leur fonction agressive est idéale en sortie d'hiver, les lames, elles, s'emploient souvent en complément, plus tard dans la saison.

Limiter l'intervention sur le cavaillon

Dans cet objectif de réduction des coûts, des vignerons vont plus loin en se passant de tout travail du sol sur le cavaillon. Ils ne gèrent l'enherbement que par un système de tondeuses à fil rotatif, voire à lames. « Le gros avantage est de travailler l'inter-rang et le cavaillon simultanément, précise David Marchand. C'est très pertinent les premières années après l'arrêt des désherbants. Les racines ne sont pas coupées, on observe alors moins d'impact sur la vigueur de la plante. » Laure Gontier, ingénieure à l'IFV, complète : « Avec les fils rotatifs, les créneaux d'intervention sont plus grands. Si on loupe la fenêtre, on garde de la marge de manoeuvre car le sol n'est pas touché, on ne doit donc pas attendre le ressuyage ». Dans le cas de parcelles en dévers, « la tonte est une bonne alternative, car le moindre travail du sol a tendance à accentuer encore plus le chaussage des rangs », souligne David Marchand. Seul bémol à la technique : la concurrence ! Selon les espèces présentes, la tonte peut accentuer la pression sur la ressource en eau et les éléments nutritifs. Comme toujours, l'adoption d'une technique oblige à évaluer l'ensemble des pratiques. La gestion du cavaillon ne peut donc s'aborder sans questionner la fertilisation, ou la gestion de l'inter-rang.

De l'herbe, sur le rang

C'est cet aspect qui guide les dernières recherches de Laure Gontier. « Ça peut paraître trivial à dire, mais il faut intégrer la gestion de l'herbe dans une vision globale de la parcelle. » À ceux qui seraient tentés par une couverture totale, elle rappelle que les essais montrent une chute de vigueur des plantes, du fait d'une concurrence trop forte sur la ressource en eau et en éléments minéraux, dont l'azote. Depuis quelques années, une autre approche est travaillée pour penser autrement l'intégration de l'herbe dans le vignoble. « Quand on parle de concurrence, on s'intéresse au pourcentage total de couverture des sols. Aujourd'hui, certaines stratégies cherchent à conserver deux tiers des sols couverts. Dans la majorité des cas, il s'agira de couvrir l'inter-rang, par facilité de mise en oeuvre et de gestion », raconte-t-elle. Dans ses essais, Laure Gontier mesure l'intérêt de déplacer la couverture herbacée vers le cavaillon, en conservant l'option de travailler les inter-rangs. Différents indicateurs sont analysés pour orienter au mieux le vigneron dans la modification de ses pratiques. Ces indicateurs doivent également faciliter le pilotage de son système, d'identifier les seuils de décision en fonction de la réserve utile du sol, de la météo. « C'est un peu une marche à l'envers, un changement complet de paradigme », précise-t-elle. Le cavaillon n'est donc plus travaillé, et l'entretien sera géré par des fils rotatifs, favorisant les interventions dans des situations très diverses. Les stratégies dépendront ensuite des conditions météo, et des espèces qui se seront développées.

Technique à adapter

« Toute cette approche est nécessairement à adapter. On ne raisonnera pas de manière identique dans les vignobles du Sud-Ouest, plutôt bien arrosés, que sur le pourtour méditerranéen. » En Suisse, certains vignerons s'autorisent même à « laisser monter l'herbe car, une fois à graine, la plante n'exerce plus de concurrence », relate David Marchand. « Tout en prenant garde à ce qu'elles n'atteignent pas la zone des grappes », nuance-t-il. Pour se lancer dans cette approche, Laure Gontier préconise de partir sur un enherbement spontané plutôt que semé. « Ainsi on teste, on appréhende cette nouvelle stratégie en limitant les coûts liés à l'achat de semences. D'autant que la réussite de ces semis est plutôt aléatoire. » Par la suite, un diagnostic de la flore en place, au bout de deux ou trois ans, donnera des clés pour affiner les pratiques. « Si l'enherbement convient et ne concurrence pas trop la vigne, on peut poursuivre ainsi. Si des espèces gênantes ont pris la place, alors on pourra envisager un semis. » Celui-ci pourra alors être intégral, ou bien constitué simplement de nouvelles espèces pour diversifier l'enherbement naturel.

Le semis du cavaillon, une option d'avenir ?

Vignerons, chercheurs ou semenciers, tous sont à la recherche de l'espèce miracle, celle qui s'implantera vite, suffisamment concurrentielle pour limiter la flore adventice mais sans l'être de trop pour ne pas gêner la vigne... un voeu pieux ? Un enherbement pérenne et idéal, David Marchand n'y croit pas trop. Toutes les expériences ont été décevantes. Il conseille davantage le semis de légumineuses, avec l'objectif d'implanter ce dernier pendant trois ou quatre ans. Le technicien mise par exemple sur la luzerne lupuline, une pérenne peu concurrentielle. « Mais elle est lente à s'implanter. L'option peut être d'ajouter du trèfle incarnat, prenant rapidement la place et préparant le terrain pour la luzerne à suivre, complète-t-il. Par ailleurs, on a de bons résultats avec le lotier corniculé. » Laure Gontier observe un vrai progrès dans les choix variétaux. « Les semenciers se positionnent et proposent désormais des mélanges pour cavaillon tout prêts. » Selon elle, les espèces pérennes sont intéressantes mais assez chères. « Les espèces annuelles à re-semis naturel ont des atouts, mais pour qu'elles viennent à graine, il ne faudrait pas les tondre. Ça peut poser problème si des espèces indésirables se sont installées, et qu'une tonte de nettoyage est nécessaire. »

Trouver les bonnes pratiques

« Côté matériel, beaucoup de vignerons ont équipé des semoirs avec des descentes directement sur les outils de désherbage, sur des disques crénelés par exemple », précise David Marchand. Le semis peut ainsi se réaliser au moment du dernier désherbage. « Ça fait une préparation un peu grossière, pas forcément favorable aux petites graines. On obtiendrait un meilleur lit de semences avec des outils animés, mais la terre plus fine augmenterait le risque d'érosion », détaille-t-il. Concernant l'entretien du couvert, les équipements se limitent à des outils de tonte ou de roulage. « Le couvert, semé en juillet, mène son cycle jusqu'au bout, vers début avril, soit en début de saison », relate David Marchand. Sa repousse est ensuite gérée en fonction de la situation. Laure Gontier apporte quelques précisions : « Dans le cas d'un couvert de graminées, la tonte de printemps peut les faire taller, et les renforcer tout en diminuant la concurrence avec d'autres espèces. Pour le trèfle souterrain par exemple, une tonte dès l'apparition des premières fleurs semble améliorer son potentiel de graines à suivre. » Là encore, les stratégies sont conduites en fonction des situations, et de la vision de chacun. David Marchand teste par exemple des modalités avec une seule intervention par an. Les résultats sont prometteurs. « Mais il est clair que ce genre de conduite doit amener à revoir notre tolérance face à la présence d'herbes. Toutes ne sont pas néfastes », souligne-t-il.

Romain Malidain, dans le Muscadet

Romain Malidain est installé avec ses frères à la Limouzinière, dans le Muscadet, sur 33 hectares. Cette surface l'a amené à revoir progressivement sa stratégie de gestion de l'herbe pour rationaliser le travail. « Les premières années, nous menions des pratiques à l'ancienne : des itinéraires classiques et efficaces. Un buttage à l'automne, un décavaillonnage au printemps et l'entretien avec des lames Boisselet. » Les résultats étaient satisfaisants sur le désherbage, mais très gourmands en temps, rendant la gestion délicate les années climatiques difficiles. Depuis quatre ans, le vigneron a intégré des disques émotteurs pour augmenter ses débits de chantiers. « Je peux avaler 10 ha dans la journée, ça change complètement l'organisation du travail. » Avec des résultats très satisfaisants sur la gestion de l'herbe : « L'année dernière, j'ai fait un dernier passage avec disques émotteurs montés avec les doigts Kress, le résultat était impeccable ». Ce changement s'intègre dans une réflexion globale de l'organisation du travail. « Plutôt que de butter à l'automne, je fais désormais un léger buttage avec disques émotteurs en sortie d'hiver. Ensuite, un premier passage des émotteurs gère les jeunes pousses d'herbe. » Grâce à ce décalage ­ le décavaillonnage se fait plus tard en saison ­, Romain Malidain entretient différemment son couvert d'inter-rang, en utilisant désormais un broyeur mixte traitant simultanément les bois de taille et le couvert. Romain envisage même de pousser plus loin : « J'ai envie de monter les disques crénelés pour butter en même temps que je passe le broyeur. Mais je dois vérifier que ce dernier assure un bon travail à 6-8 km/h. ». Cette transition se réfléchit dans les moindres détails : « J'ai installé des repose-fils pour tenir haut les fils de palissage, afin de garder de la souplesse dans mes interventions », ajoute-t-il.

Combiner les outils

En complément, Romain Malidain vient tout juste de s'équiper de lames Clemens avec un versoir pour s'occuper des stades d'herbe plus avancés. Il désherbe ainsi deux rangs de front, quitte à revenir en mono-rang en cas d'herbes trop développées. « Ce travail est plus lent, mais si je n'ai pas le temps, je peux faire un autre passage de disques pour étouffer l'herbe. Et en outre, je fournirai ensuite moins d'énergie pour passer les lames. » Mais là encore, l'objectif est d'aller vite, pour être sûr de couvrir toute la surface. « Je ne cherche pas à butter trop haut, quitte à réaliser un passage de disques supplémentaire. » Le vigneron se base donc sur la combinaison et la complémentarité plus fine entre les outils. « Et les nouveaux tracteurs peuvent réaliser ces tâches simultanées grâce à leur puissance et leur maniabilité. » Les techniques alternatives font aussi partie de la stratégie. En 2021, le décavaillonnage était assuré par un robot sur l'ensemble du vignoble. « J'étais satisfait du résultat mais je n'ai pas renouvelé le contrat pour des raisons d'organisation avec le fournisseur. » Sur une parcelle plus éloignée du site d'exploitation, il a fait l'essai d'une couverture complète du sol avec un trèfle souterrain. « Celui-ci s'est très bien installé mais dès qu'il a fait plus sec, il a disparu et d'autres herbes ont pris le dessus. C'est à revoir. » Globalement, Romain Malidain a de plus en plus envie de travailler avec les couverts végétaux, même sur le cavaillon. « J'aimerais bien tendre vers une stratégie à deux-trois ans. Un travail du sol pour préparer le semis la première année, puis une gestion du cavaillon par tonte ou roulage les deux ou trois années suivantes, avec pourquoi pas un mulch créé par le broyage de l'engrais vert inter-rang, projeté sous le rang », imagine-t-il. Tout ça reste au stade de l'ébauche, le vigneron avançant pas à pas sur d'autres techniques telles que l'enrobage de semences, assurant une préparation du sol plus grossière, ou l'emploi des ferments lactiques pour éviter certaines repousses et enrichir le sol.

Robin Euvrard


Paillages : des limites

Les enjeux de la gestion du cavaillon sont tels que les initiatives fleurissent pour tenter de dénicher les alternatives nécessaires à l'amélioration du travail du vigneron. « L'IFV avait mené des essais sur l'utilisation des mulchs, de paillages il y a une dizaine d'années. Les résultats étaient peu concluants, mais des essais sont en cours pour tes- ter de nouveaux matériaux », relate Laure Gontier de l'IFV. Même son de cloche chez David Marchand du Fibl. « On a testé de multiples options de paillage, comme les feutres de chanvre récemment. Mais s'il y a une bonne activité biologique dans le sol, le feutre se dégrade très vite et en deux ou trois ans, la végétation repasse à travers. Les bioplastiques semblent tenir un peu plus longtemps, une dizaine d'années a priori. »

Ces techniques ont donc leurs limites, mais pourraient s'avérer pertinentes dans des situations difficiles comme les terrasses ou les talus, ou encore pour protéger les complants que l'on a du mal à entretenir.

À la recherche d'autres alternatives

L'IFV comme le Fibl ont également mis en place des essais sur le désherbage électrique, pour évaluer son impact sur la vie du sol (1). À la marge, est aussi testée l'utilisation de jets d'eau à haute pression. En guise de conclusion et de clin d'oeil, David Marchand du Fibl évoque que de plus en plus de vignerons se posent la question de l'animal, pour gérer l'herbe différemment. Plusieurs d'entre eux ont intégré des troupeaux de moutons, pâturant l'herbe l'hiver. Leur présence pendant le cycle végétatif de la vigne est à l'étude, mais nécessite l'adaptation des conduites de la vigne, de sa taille, ou encore la mise en place de filets anti-grêle pour protéger les jeunes pousses.(1) Voir rubrique Matériels et intrants vus au Sitevi page 54.