Flavescence dorée : de nouvelles pistes de recherche

Le 15/10/2021 à 15:52 par La rédaction
Les repousses de porte-greffe, les vignes abandonnées et les vignes des particuliers sont des réservoirs potentiels de flavescence dorée. Leur intégration dans les programmes de lutte est indispensable.

Une journée dédiée à la flavescence dorée (FD), organisée par Sudvinbio, les chambres d’agriculture d’Occitanie, la Fredon Occitanie, le Civam Bio 66 et l’IFV, est l’occasion de faire le point sur les recherches en cours pour gérer le ravageur et la maladie (1).
« Rappelons d’abord les trois leviers connus pour se protéger de la flavescence dorée », introduit Audrey Petit, de l’IFV pôle Sud-Ouest. D’une part, l’implantation de ceps indemnes de la maladie, via notamment le traitement à l’eau chaude des plants ; ensuite l’assainissement du vignoble par l’arrachage des pieds symptomatiques et grâce à la prospection ; et enfin la maîtrise du vecteur, la cicadelle de la flavescence dorée (Scaphoideus titanus) par les traitements obligatoires.

Maîtrise des réservoirs

Mais au-delà des vignes cultivées, d’autres zones sont considérées comme des réservoirs potentiels de flavescence dorée. Elles doivent absolument être prises en compte pour compléter la lutte contre la maladie. Sylvie Malembic-Maher de l’UMR biologie du fruit et pathologie de l’Inra Nouvelle-Aquitaine travaille sur ces questions au sein des projets Fladorisk et Co-Act (2). « Nous parlons ici de repousses de porte-greffe ensauvagés – sous forme de repousses au sol, de broussailles, de lianes… – mais aussi de vignes abandonnées ou de vignes dans les jardins des particuliers. » Ces plantes, non surveillées et non traitées, peuvent héberger la cicadelle vectrice et le phytoplasme de la FD.

Expérience en Aquitaine

Au niveau du bassin aquitain, une gestion est mise en place, basée sur l’arrêté national flavescence dorée de 2013, stipulant que « lorsqu’un risque de dissémination de la maladie à partir d’une vigne située à l’intérieur d’un périmètre de lutte est mis en évidence par les services régionaux chargés de la protection des végétaux, l’arrachage ou la destruction de celle-ci est obligatoire. » Les Gdon organisent le signalement, les dossiers sont pilotés par le Sral et la Fredon. « Les processus sont longs. Ils peuvent aller de la remise en état jusqu’à l’arrachage administratif. Aujourd’hui 660 dossiers sont en cours et 380 sont clôturés, indique la chercheuse. Et ce, principalement sur les vignes abandonnées, peu concernent les repousses de porte-greffe. » Un partenariat existe aussi entre les Gdon et les sociétés d’autoroute pour l’élimination des repousses de porte-greffe sur leurs bordures.

Quantifier le risque

Mais comment aller plus loin ? Dans le cadre des projets, un groupe de travail incluant les principaux acteurs actifs dans la lutte contre la FD, détermine un territoire d’expérimentation. Situé sur les bords de Garonne, le lieu regroupe quatre communes où des foyers chroniques de FD sont repérés depuis plus de dix ans malgré la lutte obligatoire. « Il s’agit d’un endroit où les vignes non cultivées sont nombreuses. » Grâce à un recensement collectif et par cartographie, les différents réservoirs potentiels sont identifiés. « Les repousses de porte-greffe représentent en général les trois quarts des repérages, le quart restant étant des vignes abandonnées ou de particuliers. » Des battages sur ces vignes évaluent la présence des vecteurs. « Selon les sites, nous avons repéré des larves sur 6 à 80 % des vignes sauvages ou abandonnées. Et nous savons que les adultes peuvent ensuite migrer vers les parcelles cultivées. » Après prélèvements et analyses de feuilles en bordure des foyers, il est constaté que 35 % des vignes sont infectées par le phytoplasme. Et lorsque les feuilles sont prélevées de façon aléatoire sur l’ensemble des communes, l’infection est de 5 à 18 %. « Et ce, même si les vignes n’expriment pas ou peu de symptômes !, fait remarquer Sylvie Malembic-Maher. Nous savons aussi que plus une repousse est proche d’une parcelle cultivée, plus la potentielle contamination est élevée. »

Associer les particuliers

« Le projet met aussi en évidence que la majorité des repousses sont situées sur des terrains de particuliers. » Et pour la plupart, ces endroits sont localisés à moins de 10 mètres des parcelles des viticulteurs. « Mais ces derniers aussi sont concernés car les repousses peuvent venir de leurs cultures. » Un livret pour sensibiliser à la problématique est mis au point. Il explique comment reconnaître les repousses (en les différenciant des autres espèces ligneuses végétales) et comment les gérer. « Nous l’avons envoyé aux viticulteurs et aux habitants via les Gdon et les mairies. Nous devons améliorer ces outils pour augmenter leur impact. » Une enquête effectuée auprès de 250 particuliers montre que seules 9 personnes ont agi pour gérer ces réservoirs.

Projet Risca

« La lutte contre la FD nécessite la prise en compte de nouveaux terrains et de nouveaux acteurs. Les viticulteurs et les riverains doivent se rencontrer pour agir ensemble. D’autres outils de sensibilisation sont prévus, à adapter aux différents publics, en accentuant sur les possibilités de réduction des insecticides et en ajoutant les caractères d’obligation. » Le projet Risca, coordonné par l’IFV (3), complète ces recherches. À partir d’une friche entre deux parcelles en production, les partenaires élaborent un réseau de piégeage. L’objectif est de définir comment les cicadelles se déplacent de la friche vers les parcelles cultivées. Les éléments de paysage, les vents dominants – créant a priori des couloirs de contamination –, le type de protection phytosanitaire, sont étudiés. « Nous souhaitons identifier les conditions les plus à risques pour mieux maximiser la gestion de ces réservoirs potentiels », ajoute Audrey Petit.

Vers de nouvelles prospections

La prospection des vignobles est chronophage et demande des moyens humains pas toujours disponibles. « L’école d’agronomie de Purpan de Toulouse travaille sur l’utilisation de caméras multi-spectrales via des drones », expose Audrey Petit. Les travaux sont aujourd’hui concentrés Sudvinbio cherche également des solutions pour détruire les oeufs pondus sur les bois de la vigne. « Pour supprimer l’écorce, une machine avec des lanières passe et balaie les ceps. D’autres essais, au karcher, sont mis en place pour supprimer la première écorce des ceps », explique Audrey Petit de l'IFV. Les essais sont suivis de près pour s’assurer que les méthodes ne sont pas préjudiciables pour la vigne. Détruire les oeufs sur les ceps Machine à lanière, et tronc après passage de l'outil sur les cépages rouges, car les symptômes sont plus visibles que sur les blancs. Les limites sont les suivantes : le nombre d’images à traiter est très important et leur analyse est difficile à cause de l’ombre, de l’enherbement sur le rang… « Et il est très difficile de discriminer un cépage rougissant dû à autre chose que la FD. »

Supprimer la capacité de vection

Une autre voie est explorée au sein du projet Risca : faire en sorte que S. titanus ne soit plus en mesure de transmettre le phytoplasme. « La cicadelle est saine lorsqu’elle naît. Elle devient vectrice en se nourrissant sur un pied porteur. Elle ingère le phytoplasme. Ce dernier mature environ un mois dans le système digestif avant d’être infectieux », rappelle Audrey Petit. L’équipe de recherche de Nathalie Arricau-Bouvery de l’Inra de Bordeaux-Aquitaine a exploré les processus au sein du système digestif de la cicadelle. Le phytoplasme est reconnu par une protéine de la cellule de l’intestin. Par endocytose, le phytoplasme pénètre dans la cellule et mature. L’hypothèse serait de supprimer cette protéine de reconnaissance en bloquant la synthèse de l’ARN correspondant. Première étape dans ce projet : la protéine est identifiée. « Mais ce sont encore des projets à long terme, et les méthodes sont très coûteuses. » Maîtriser le vecteur au sein des vignes La confusion vibratoire continue d’être étudiée (lire Biofil 98). En effet, lors de la reproduction, les cicadelles communiquent par des vibrations. En Italie, des chercheurs se lancent dans des essais aux champs depuis deux millésimes : pour brouiller le message et éviter la reproduction, ils émettent des vibrations, transmises par le palissage. « Un des soucis est la perte du signal avec la distance. Les dernières études indiquent une perte du signal à 40 mètres sans végétation et à 20 mètres lorsque le feuillage est développé. » Les chercheurs estiment que le signal n’est plus efficace 15 mètres après l’émetteur. Mais les essais au champ se poursuivent car les résultats restent encourageants.
En 2015, Sudvinbio construit un aspirateur à cicadelle (lire Biofil 105). Dans les essais de l’époque, la meilleure efficacité de protection était l’association aspirateur-traitements au pyrèthre. De cette idée naît un projet européen porté par la chambre d’agriculture de Paca : un groupe opérationnel de partenariat européen pour l’innovation (PEI) appelé Vacuum Bug (2018- 2022). L’Irstea de Montpellier y vise la création d’un prototype d’aspiration. L’impact de l’aspiration sur la biodiversité sera étudié. Comment les machines viticoles participent à la dispersion de la cicadelle, est une autre question à traiter. Sur les rogneuses écimeuses, les partenaires du projet sont allés repérer la présence ou non des insectes. « Lors de premières observations, une cicadelle a été repérée… et il en suffit d’une… ! ». Les pistes sont nombreuses, mais pas encore applicables. « Et lorsque certaines le seront, elles ne viendront que compléter les leviers existants, car la lutte contre la FD sera toujours une combinaison de méthodes », conclut Audrey Petit.
Frédérique Rose