Semences de luzerne :
panorama de l'offre variétale pour 2023

Le 17/11/2023 à 11:16 par La rédaction

Pérennité, tolérance aux maladies, qualité alimentaire..., le choix variétal revêt une importance cruciale en luzerne. Plusieurs semenciers (1) engagés en bio livrent à Biofil leur stratégie pour répondre aux besoins des producteurs.

1– En quoi consiste votre offre variétale en bio pour les semis 2023 ?

Cerience – Fabien Montmeas, chef de marché luzerne et fourragères : « La luzerne est l’espèce bénéficiant du programme de sélection le plus ambitieux sur notre station R&D de Saint-Sauvant dans la Vienne avec de nouvelles inscriptions régulières. Trois variétés de luzerne, issues de ce programme, sont disponibles en bio. Il s’agit de Nutrix, Milky Max (types Nord) et Occitane (type Sud) dont les indices de dormance sont respectivement de 4-5 et 6. La première, inscrite en Pologne mais pas en France, est une variété à haut potentiel de rendement qui vise à améliorer la teneur en protéines et la digestibilité. Elle présente une bonne tolérance aux maladies et aux nématodes. Milky Max est notre variété de référence sur le marché français. Concentré de progrès génétique, elle allie productivité, résistance aux parasites et rusticité. Dans les essais de la Coopération Agricole – Luzerne de France, elle a obtenu le meilleur rendement moyen cumulé sur deux années de récoltes parmi les variétés testées sur trois années de semis – 2016 à 2018. Quant à Occitane, adaptée aux conditions climatiques du Sud-Ouest, elle est la variété ayant la plus forte production de protéines à l’hectare tout en présentant également une bonne résistance au froid. À noter que Nutrix est d’ores et déjà disponible en bio. Lors de la prochaine campagne, nous proposerons également les variétés Milky Max et Occitane. »

Lidea ­ Célénie Besse, responsable de l'offre : « Lidea propose deux variétés de luzerne en bio, Carma Bio ­ nouveauté 2023 ­ et Idylle Bio. La première, de type Sud, est très bien adaptée aux climats des régions aux étés chauds et hivers modérés, tant en fauche qu'en mixte. Sa première coupe, précoce, est de qualité. Quant à la seconde, de type Nord, elle bénéficie d'une très haute teneur en protéines et d'une haute productivité, tant en fauche qu'en utilisation mixte, ceci afin d'améliorer l'autonomie azotée de l'exploitation. Enfin, elle révèle une très bonne vigueur à la reprise et une excellente résistance aux nématodes. S'ajoute à la gamme Lidgrass Skyluz Bio, qui est une association de trois luzernes complémentaires. Le principe est de combiner des indices de dormance différents allant de 4 à 6.8 pour augmenter le rendement toute l'année avec un démarrage en végétation plus précoce, un arrêt végétatif plus tardif et une couverture constante. L'association est principalement utilisée en fauche et mixte. »

Bosc Izarn (groupe RAGT) – Cécile Dorlet, responsable de la multiplication : « Nous ne sélectionnons pas la luzerne mais la multiplions en prestation de services pour le compte d’obtenteurs tels que Barenbrug – variétés Verdor et Artemis – ou DLF Seeds – variété L’Europe. Nous multiplions également des variétés du catalogue européen comme Dakota. »

Barenbrug – Benoît Kerhornou, chef de produits agriculture : « Sur les sept variétés de notre gamme, trois sont déclinées en bio. Il s’agit d’Artemis (type Nord), la référence en matière de déshydratation notamment en raison de sa tolérance aux nématodes, de Soraya et Verdor (types Sud). »

 

2 – Quelles sont les dernières innovations en matière de semences de luzerne ?

En bio, l’implantation de luzerne sous couvert de céréale de printemps, orge souvent, est privilégiée. (©Poupeau J-M.)

Cerience : « Nos semences sont proposées nues mais aussi enrobées, soit avec SAS Gold – pré-inoculation avec rhizobium meliloti + micro-nutriments – pour un produit prêt à l’emploi qui maximise le potentiel de la luzerne, soit SAS Life – mycorhizes + pré-inoculation + oligo-éléments. Ce dernier enrobage optimise les échanges hydriques et nutritionnels sol/ plante d’où une meilleure résistance au stress. Ces solutions d’enrobage sont évidemment conformes au règlement bio. »

Lidea : « Nous proposons l’enrobage des semences avec une solution telle que Boost&Go Bio qui protège la culture contre les stress biotiques et favorise sa bonne implantation. Cela, grâce à des nutriments et rhizobactéries qui stimulent le développement racinaire, couplés à un inoculant pour augmenter la pérennité, le rendement et la teneur en protéines du fourrage, le tout prêt à l’emploi. Dans le mélange Lidgrass Skyluz Bio, les variétés ont des couleurs d’enrobage différentes. »

Barenbrug : « Nous travaillons sur les mélanges de variétés Sud et Nord avec un effet proportion. De plus, nous poursuivons des essais d’implantation, en semis de printemps, sous couvert de méteil. »

 

3 – Dans quelles zones géographiques est multipliée la luzerne bio ?

Cerience : « Nous travaillons avec plus de 50 multiplicateurs, surtout dans les Pays de la Loire et l’ex-région du Poitou- Charentes dont l’entreprise est originaire. Toutefois, nous continuons d’étendre notre réseau vers le sud-ouest – Gers, Lot et Garonne. »

Lidea : « La luzerne bio est multipliée en Vendée et dans le Sud-Ouest mais aussi à l’étranger, notamment en Hongrie et Pologne où cela est plus facile. Il est en effet assez compliqué de le faire en France faute de rentabilité suffi sante pour les multiplicateurs mais aussi en raison de la difficulté à satisfaire les normes de certification comme la pureté spécifique ou la faculté germinative. »

Bosc Izarn : « Notre réseau comporte 30 à 40 multiplicateurs en bio, essentiellement localisés dans le Tarn, l’Aude et le Gers, sur 10 ha en moyenne chacun. Il s’agit d’agriculteurs pointus et qui suivent très bien leurs parcelles car multiplier la luzerne en bio demande beaucoup de technicité. Il s’agit notamment de soigner l’implantation, de réaliser la pré-coupe et la récolte au moment optimal mais aussi d’avoir une bonne gestion des adventices. Cette dernière passe par une rotation judicieuse, les fauches répétées, le passage de herse rotative en fi n d’hiver pour nettoyer les parcelles et redonner de la vigueur à la luzerne mais aussi le binage pour ceux qui sont équipés. En raison d’une plus grande sensibilité aux attaques d’insectes, le rendement bio varie de 0 à 5, voire 6 q/ha exceptionnellement contre 1 à 8-10 q/ ha en conventionnel. »

Barenbrug : « Nous privilégions la France pour multiplier la luzerne bio : Centre-Ouest pour les types Nord et dans le Sud pour les types éponymes, en ayant recours à des prestataires de services comme Fertiberry ou Bosc Izarn. »

 

4 – Comment évolue la demande de semences certifiées de luzerne ?

Très répandu, le recours aux semences de luzerne fermière favorise le développement de la cuscute selon plusieurs spécialistes. (©Poupeau J-M.)

Cerience : « Avec la fin des dérogations au 1er janvier 2024 (1), la demande de semences augmente. Dans un contexte de tension sur le marché, il n’y a pas vraiment de concurrence entre semences certifiées et fermières, même si les premières apportent des garanties non négligeables en termes de traçabilité et de qualité – faculté germinative, pureté spécifique et absence de graines de cuscute (2). »

Lidea : « Le passage de la luzerne au statut Hors Dérogation (HD) devrait faire progresser le marché de 25 % puis 5 % ensuite. Les semences certifiées subissent une grosse concurrence de la part des semences fermières, qui ne devrait pas diminuer. »

Bosc Izarn : « Le passage en HD stimule la demande de semences certifiées sur le papier car les agriculteurs continueront d’utiliser des semences fermières issues de leur production ou se fourniront auprès de leurs collègues. Cette pratique est risquée car les semences fermières n’offrent pas le même degré de qualité que les semences certifiées, notamment sur la présence d’adventices. De plus, cela favorise la diffusion de la cuscute. »

Barenbrug : « Le passage en HD devrait mécaniquement augmenter la demande de semences certifiées, bien que la concurrence des semences fermières soit forte. Nous mettons en garde contre ces dernières en raison des risques de propagation possible de la cuscute. Ce parasite rend impossible de nombreuses cultures dont certaines légumineuses, alors que les besoins en protéines sont élevés. À l’inverse, rappelons que les semences certifiées bénéficient de la norme Zéro cuscute ».

 

5 – Quels sont les principaux critères de sélection variétale ?

Cerience : « Notre objectif est de proposer des variétés adaptées aux différentes zones climatiques – océanique/continentale/ méditerranéenne. Pour cela, nous déposons chaque année deux ou trois nouveaux candidats pour inscription au catalogue français ou à d’autres catalogues européens. Les principaux critères de sélection variétale sont la valeur alimentaire – teneur en protéines et digestibilité – très tôt intégrée à nos programmes même si elle n’est pas prépondérante pour l’inscription. Les résistances aux maladies et aux parasites sont des critères sur lesquels il est encore possible de progresser, en particulier pour les variétés de type Sud. Enfin, l’adaptation au changement climatique est également prise en compte en particulier sur les types Nord. Nous allons vers du matériel moins dormant pour tenir compte de l’augmentation de la période favorable de pousse de la luzerne – en termes de températures et sous réserve de précipitations suffisantes. Nous travaillons également à développer des variétés avec un fort rendement sur les premières coupes au printemps afin de sécuriser la récolte avant les coupes estivales risquant d’être plus régulièrement impactées par le stress hydrique. »

Lidea : « Nous travaillons surtout les critères rendement en protéines par hectare, résistance aux insectes – pucerons, etc. – et aux maladies ainsi que la rapidité d’installation/compétition face aux adventices. Ce dernier aspect est très recherché en bio. La prise en compte du réchauffement climatique n’est pas en reste avec l’adaptation des indices de dormance, afin de produire davantage en automne et au printemps. »

Barenbrug : « Nous accentuons la sélection variétale sur les types Sud, pour lesquels nous avons déjà beaucoup de recul. Ce type de variété s’avère bien adapté au réchauffement climatique. Il démarre plus vite au printemps, facilitant la constitution de stocks fourragers précoces, et prolonge sa pousse en automne. De plus, il est le seul à résister aux grosses chaleurs de l’été. Seuls bémols : le manque de portance des sols et les risques de gel. »

 

Propos recueillis par Jean-Martial Poupeau

(1) Biofil restitue les réponses reçues, tous les semenciers n’ayant pas donné suite à notre demande.
(2) La luzerne passe en Hors Dérogation en 2024. Le passage vers ce statut s’est fait selon un échéancier progressif depuis 2021 (25 % en 2021, 50 % en 2022, 75 % en 2023).
(3) La cuscute est une plante parasite se développant aux dépens des plantes hôtes – dont la luzerne – en se nourrissant de leur sève.