Laura Brun, référente bio à la Fnams : « Le défi : réduire les interventions manuelles »

Le 31/05/2024 à 9:33 par La rédaction

Depuis six ans, Laura Brun a la charge du mode de production bio à la Fnams - Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences. Également membre de la commission d'experts semences potagères de l'Inao, elle fait le point sur le secteur.

Biofil : En forte croissance jusqu'à 2022, la production de semences de potagères fines bio recule un peu en 2023. Pourquoi ?

Laura Brun. (© Fnams)

Laura Brun : Face à un marché bio au ralenti, donc à une baisse de demandes en semences bio des maraîchers, et même de la part des jardiniers amateurs, le nombre de contrats proposés aux multiplicateurs a diminué en 2023. Et cela s'accentue en 2024. Les stocks de graines bio restent importants sur certaines espèces, et les semenciers réduisent la voilure. Les agriculteurs multiplicateurs bio sont impactés. La plupart sont spécialisés en bio, mais d'autres sont restés mixtes via deux structures juridiques, bio et conventionnel. Fort d'un solide savoir-faire, leurs profils sont très variés : certains multiplient pour diversifier leur activité, en conservant parallèlement du maraîchage, des grandes cultures, ou de l'élevage. D'autres choisissent de ne faire que du porte-graine, sous abri ou en plein champ, hybride ou population. L'approche est très technique, car chaque espèce a ses spécificités. Les producteurs travaillent sous contrat avec les semenciers, répondant à une double exigence : produire des semences bio et de qualité certifiées selon les normes réglementaires, respectant entre autres taux de germination, qualité variétale et spécifique. Un savoir-faire à forte valeur ajoutée.

Quelles sont les principales difficultés actuelles ?

Les aspects techniques sont toujours perfectibles, même s'ils ont beaucoup progressé. Les itinéraires bio se sont améliorés, mais la gestion de l'enherbement reste le principal problème. Face à certains ravageurs, la bio n'a toujours pas de solution. Selon les cultures et les années climatiques, près d'une plantation bio sur quatre n'arrive pas à son terme. De surcroît, la plus grosse préoccupation reste de contenir, voire réduire les coûts de production, grevés en bio davantage encore, par les charges de main-d'oeuvre, parfois incontournables en désherbage notamment. La priorité est de maintenir la rentabilité et une rémunération correcte des producteurs. Le nouvel outil MargiSM est conçu pour les aider à calculer leurs marges (lire encadré).

Comment réduire les coûts de production ?

Si nous avons des indicateurs en conventionnel, ce n'est pas le cas en bio où les coûts ne sont pas faciles à cerner. Nous avons fait des enquêtes, mais avec peu de réponses. Tout dépend du niveau de technicité du producteur, de ses choix techniques, de sa structure, de l'année climatique, et de l'espèce, voire de la variété, etc. Cette diversité est inté- ressante, mais les moyennes ne sont pas représentatives en bio. Depuis deux ans, toutes les charges ont augmenté.

En plus de l'envol des prix des intrants, comme les engrais organiques, les paillages naturels ou en plastique biodégradable, les filets, celle des carburants impacte le désherbage mécanique nécessaire en bio. Et le prix de la main-d'oeuvre est également très pénalisant. Nous cherchons des solutions pour la réduire, en combinant plusieurs leviers. La mécanisation, les guidages RTK ainsi que la robotique sont des moyens, mais nécessitent des investissements. Certains producteurs améliorent eux-mêmes leurs outils pour les rendre plus performants, afin de limiter les interventions manuelles. De nouvelles pistes sont également explorées, comme l'usage des plantes de service par exemple que nous expérimentons.

Quels sont les nouveaux programmes de la Fnams engagés sur la bio ?

Ils concernent les espèces les plus multipliées en plein champ, car en hors dérogation, comme l'oignon, la betterave, ou la carotte, sur laquelle on s'est beaucoup concentré. Ce, autant à la demande des producteurs bio que des semenciers que nous accompagnons. Certains établissements, dotés de variétés leader, ont mis du temps à se lancer, mais aujourd'hui, ils produisent. La carotte porte-graine, avec son cycle long en tant que bisannuelle, n'est pas facile à multiplier en bio (1). Le problème est essentiellement dû à l'enherbement ­ chardon, ray-grass, renouée liseron, morelle, chénopode, amarante, etc. ­, à maîtriser pour la concurrence envers les carottes et la pureté des lots. Nous menons des essais sur carottes hybrides bio à la station expérimentale d'Étoile-sur-Rhône dans la Drôme depuis 2020. On a testé différentes modalités : des semis effectués en septembre, ou des plantations en mini-mottes, en automne ou fin d'hiver, ou bien des plantations en racines nues issues de pépinière au stade où le légume pourrait être vendu, implantées fin février-début mars. L'avantage de la plantation, c'est que le sol a pu être travaillé en amont, pour limiter les adventices. Et le désherbage est plus facile car la carotte couvre peu le sol. En maraîchage, les producteurs peuvent davantage les accoler les unes aux autres, mais en semences, il faut 50-60 cm d'écartement pour que les inflorescences se développent bien, ce qui permet le binage. D'un côté, en semis, elles mettent du temps à lever et sont peu concurrentielles. De l'autre, planter demande plus de main-d'oeuvre (environ 50 h/ha avec une planteuse 6 rangs) et coûte cher (confection de la pépinière, salaire des planteurs, etc.).

Quels autres essais pour limiter l'enherbement ?

Hormis les pratiques classiques ­ rotations très longues, faux semis, herse étrille ou houe rotative, désherbage thermique, binage de précision, bedweeder ­ nous avons également évalué l'intérêt de pailler des carottes dès la plantation. L'inconvénient de cette paille de céréale est qu'elle a généré des repousses concurrentielles vis-à-vis du porte-graine. Si la positionner à la montaison, en mai, élimine ces repousses, cette technique perd un autre avantage, celui d'optimiser la rétention d'eau du sol. Des mesures avec des sondes tensiométriques installées dans le paillage précocement, dès mars, indiquent l'effet de protection favorable de la paille vis-à-vis du stress hydrique pendant tout le cycle. D'où l'intérêt de couvrir le sol tôt mais avec une paille bien battue et broyée. Car la gestion du changement climatique, et notamment des sécheresses, est aussi un souci en multiplication.

Vous testez les plantes de service ?

L'objectif des plantes de service est d'occuper la place pour réduire les adventices. Puis il faut trouver un moyen de les détruire par un gel, ou les écraser, les rouler. Au bout de trois ans, l'essai à Étoile-sur-Rhône montre que les graines semées en septembre avec du nyger sur la ligne de semis, donnent le meilleur résultat, mais à confirmer (voir tableau). Le but est de pouvoir matérialiser le rang assez tôt et ainsi biner le plus rapidement possible. Cela limite les adventices sur le rang, et réduit le désherbage manuel, donc les coûts. Idem pour le persil : de la même famille que la carotte, il peut être semé sous un tournesol biné au printemps, et l'avantage, c'est que ce sont deux cultures de rente.

Après une forte croissance : les surfaces en repli

60 espèces de potagères fines sont multipliées en France en 2023, en plein champ et sous abris, sur 360 ha, en repli de 10 % : l’oignon arrive en tête avec 111 ha, toujours en progression, auxquels s’ajoutent 17,21 ha de bulbes mères. En seconde position, la carotte augmente fortement pour atteindre 73 ha. La betterave potagère stagne, tandis que le radis chute, sorti du statut HD. Le persil poursuit sa croissance avec 16 ha, l’échalote monte à 10 ha tandis que la mâche régresse à 10 ha. Les plants potagers regroupent 56 ha surtout en ail et échalote.

Quelles autres pistes d'amélioration ?

Nous allons également travailler l'oignon, la potagère la plus multipliée en bio, sur 111 ha en France en 2023. Sa tige couvre très peu le sol, laissant la place à des adventices ­ renouée liseron, liseron, panic, millet, sétaire, etc. ­, difficiles à trier. La piste des plantes de service pourrait être intéressante. Mais les oignons sont buttés. Il faudrait donc trouver une plante de service qui va pousser rapidement sur les plantations d'automne, en quelques jours, et disparaître ensuite Contre le mildiou, dans le Sud-Ouest, on élabore des programmes retardant les dates de plantation pour limiter les contaminations. Mais l'an dernier, celles-ci ont eu lieu au printemps ! Cette année, les essais sont réitérés pour voir en outre les effets sur le rendement, l'enracinement étant moindre sur les plantations au printemps. Le conditionnement des bulbes aussi est scruté, pour les garder en bon état jusqu'à la plantation.

Comment gérer les aspects sanitaires ?

En bio, les maladies ne sont pas trop problématiques compte tenu des rotations longues, mais les insectes ravageurs ­ charançon, méligèthe, punaise, lixus ­ peuvent être pénalisants. En betterave notamment, le lixus fait des ravages, contre lequel le seul produit efficace en bio est le spinosad, mais non sélectif, ce n'est pas une solution idéale. Ce coléoptère va s'accoupler et pond dans la betterave. Les larves se développent dans la tige florale, font des galeries, et les graines sont moins bien alimentées, plus petites et partent en déchet, d'où un impact sur le rendement. La recherche essaie de trouver par exemple un auxiliaire, un parasitoïde pour le contrer. Mais de nombreuses questions se posent sur sa mise en oeuvre en plein champ. Le lixus se répand partout, même vers le nord de la France, touchant la betterave sucrière. Espérons que des moyens plus importants seront dégagés pour mieux appréhender ce ravageur, ce qui servira également la production bio.

Semis de carotte début septembre avec du nyger, réalisé avec un semoir monograine, en positionnant le nyger dans le microgranulateur oú l’on met habituellement l’anti-limace. (© Fnams)

Et en carottes ?

Dans la Beauce, il y a beaucoup de parcelles de multiplication. On est en lien avec des semenciers notamment en porte-graines de carottes. Ces cultures se heurtent aussi, depuis quelques années, à des problèmes de punaises mirides des genres Lygus et surtout Orthops qui dégradent la qualité germinative des semences. En été, elles piquent les fleurs et les akènes en formation, aspirent la sève et la graine peut être vidée, ou peut avoir un germe anormal. Des produits de biocontrôle sont testés, à appliquer ou pas. Mais rien n'est systématique. Dans nos essais en 2023, les punaises étaient présentes, sans entraîner de problèmes de germination. Elles sont arrivées peut-être en décalé par rapport à la floraison, et ont piqué les ombelles tertiaires, les plus tardives. Les primaires et secondaires avaient déjà eu le temps de produire leurs graines, et les punaises ont eu moins d'impacts sur la qualité des graines récoltées. Difficile de savoir si les carottes étaient en avance ou les punaises en retard... Est-ce un effet du changement climatique ?

Plusieurs modalités de carottes hybrides semées avec des plantes de service ont été testées à la station d’Étoile-sur-Rhône en terrain bio. En 2022, la modalité nyger (10,5 kg/ha sur le rang) + moutarde blanche (7,5 kg/ha dans l’inter-rang) présente les meilleurs résultats. L’essai de 2023 a confirmé l’intérêt du nyger pour réduire les temps de désherbage manuel en facilitant le désherbage mécanique (source Fnams).

Quels produits contre ces mirides ?

Un produit à base d'azadirachtine ­ Oikos ­ a été testé contre les punaises. Il est plutôt efficace, mais son spectre est large, peu sélectif. Les populations de punaises ont pu être réduites. En 2023, on a demandé une dérogation d'usage à l'Anses sur carotte porte-graine en plein champ, car il n'est autorisé que sous abris. Ce produit peut être une solution pour éviter les problèmes de germination. Des expérimentations sont menées depuis quelques années sur la possibilité de détourner les punaises de la carotte, lorsque celle-ci est à un stade sensible aux piqûres, en utilisant d'autres plantes de la famille des Apiacées. De précédents résultats ont montré que l'aneth et le panais étaient intéressants car attractifs pour les punaises et fleurissant avant ou après la carotte.

Contre Alternaria dauci ?

Alternaria dauci est une maladie courante de la carotte, provoquant la fonte des semis et des grillures sur feuilles. En 2022, un essai a été mis en place par l'équipe Fnams d'Ouzouer-le-Marché dans le Loir-et-Cher. Même si l'année a été peu favorable à la maladie, certains fongicides ont réduit les symptômes par rapport au témoin non traité et notamment Heliocuivre, Heliosoufre S et un produit sous numéro à base de cuivre et soufre. Un nouvel essai est implanté en 2023 afin de confirmer ces résultats. Contre la mouche, hormis les voiles P17 et l'application de macération à base de plantes à fortes odeurs répulsives, un précédent alliacées ­ ail, oignon, poireau, etc. ­ est recommandé.

Le radis reste compliqué à produire ?

En hors dérogation, le radis rond rouge a changé de statut début janvier. Il est désormais en dérogation possible comme les autres radis, car cette espèce reste difficile à produire. Comme le colza, elle attire un cortège d'insectes nuisibles, les charançons, et une fois fleurie, les méligèthes qui viennent manger le pollen. Le battre aussi est compliqué, car la silique est spongieuse, augmentant les problèmes techniques. Si sa multiplication est faisable sous abris, et dans des zones où il n'y a pas de colza, les surfaces sont réduites. La production de semences de radis diminue beaucoup en France, alors que la demande est importante. Une graine de radis donne un légume de quelques grammes contrairement à une graine de chou par exemple. Les firmes semencières internationales peuvent produire à l'étranger. Autre aspect à creuser en bio, la fertilisation organique. Les besoins d'expérimentation sont nombreux pour améliorer encore les itinéraires techniques.

OAD MargiSM : calculer ses coûts de production

Nouveau, MargiSM est un outil d'aide à la décision élaboré par la Fnams et mis à disposition gratuitement des multiplicateurs de semences. Il se présente sous forme de calculette dans laquelle l'agriculteur renseigne les détails de son contrat de semences et de son itinéraire technique. « Son but est de fournir une estimation des charges de production et de la rentabilité potentielle de la culture porte-graine », précise Laura Brun. Cet outil complète des documents déjà existants ­ fiches charges directes de production, notes de conjoncture, convention­type, etc. ­ afin d'accompagner les multiplicateurs dans leur négociation contractuelle avec les établissements semenciers. Les résultats se présentent

sous forme de tableau et graphique donnant une vision complète des résultats de la simulation. « Il est possible de voir l'évolution de l'EBE selon le rendement et le prix d'achat des semences par l'établissement, détaille Laura Brun. L'outil est adaptable au bio bien sûr, et précieux pour mieux gérer son activité. » Souvent, les producteurs sont très intéressés par la technique, mais vont à reculons sur les aspects économiques. « Certains se lancent sans regarder les chiffres. » Disponible pour certaines espèces en porte-graine ­ betteraves industrielles, potagères fines, légumes secs, plantes fourragères et à gazon ­, la liste des références va s'étoffer.

 En savoir + : https://margisem.fnams.fr/

 

Propos recueillis par Christine Rivry-Fournier

(1) Les fiches de multiplication de potagères fines en bio ­ carotte, courgette, oignons, coriandre, haricot, pois chiche, etc. ­ réalisées en lien avec l'Itab, sont à télécharger sur fnams.fr/ressources/potageres, après inscription.