En 2021 et 2022, deux années à l'opposé l'une très humide, l'autre sèche et chaude , les comportements de variétés de pommes de terre sont poussés dans leurs retranchements. Les essais bio menés par les chambres d'agriculture des Hauts-de-France et la Fredon éclairent sur leurs potentiels.
Des essais variétaux en pommes de terre sont conduits en bio depuis 2006 dans le nord de la France. L'objectif est d'identifier celles spécifiquement adaptées aux pratiques bio combinant des critères qualitatifs et quantitatifs.
Si pour cette espèce, la tolérance au mildiou reste le paramètre numéro un à prendre en compte, d'autres points techniques sont étudiés:
- Aspect
- Taux de matières sèches
- Lavabilité
- Conservation
- Coloration à la friture
- Couverture du sol
- Productivité
- Sensibilité aux maladies
- Tolérance à la sécheresse.
« Malgré de bons résultats agronomiques, certaines variétés sont écartées sur des critères qualitatifs. Le défi est de trouver la pomme de terre à cinq pattes qui coche toutes les cases, mais elle n'existe pas pour l'instant ! », plaisante Alain Lecat, conseiller à la chambre d'agriculture des Hauts-de-France, en présentant ces résultats lors du Rendez-vous Tech&Bio by Sima le 7 novembre à Paris.
Le duo rendement et qualité
De plus en plus de variétés sont sélectionnées pour être cultivées en bio, et certaines s’avèrent très intéressantes, « mais trop souvent, la filière ou les distributeurs réclament les classiques, type Charlotte, pourtant non appropriées à la bio, au prétexte que les consommateurs les recherchent en priorité », regrette Alain Lecat, co-responsable de ce programme d’essais avec Sébastien Florent, conseiller grandes cultures à la chambre du Nord-Pas-de-Calais.
Selon eux, la filière ne doit pas proposer une variété, mais un type culinaire déterminé par le taux de matières sèches, se délitant plus ou moins à la cuisson – vapeur, frites, purée – et cultiver les variétés les mieux notées. En agriculture bio, les plus adaptées sont celles « qui peuvent garantir un rendement et une qualité suffisante en conditions peu favorables », résume Alain Lecat.
Leur capacité de conservation aussi est un critère important : la variété doit pouvoir rester en dormance naturelle le plus longtemps possible au froid avant d’avoir recours aux antigerminatifs naturels comme l’huile de menthe ou l’huile essentielle d’orange.
Ces deux dernières années, opposées sur le plan climatique, mettent les variétés en conditions extrêmes. 2021 avec un printemps froid suivi de forte humidité entraînant une forte pression de mildiou précoce, et 2022, sèche et chaude, les ont malmenées. « On peut comparer leurs comportements, et déterminer les plus résilientes et productives dans les deux types de conditions climatiques », exprime le conseiller.
Les essais ont été réalisés en culture irriguée ou pas, sur cinq sites différents en Somme, Nord et Pas-de-Calais. Les précédents sont variés – haricot, céréale et trèfle sous couverts, endive – ainsi que la fertilisation.
Tendances en consommation et industrie
En 2021, les essais sont forcément en non irrigué : 28 variétés sont retenues, 19 en consommation, 4 en transformation frites, et 5 pour les chips.
En consommation, le rendement moyen est de 28 t/ha, avec un maximum de 37,5 t/ha pour Maïwen, en tête suivie de près par Alanis et Cayman. Le mildiou attaque complétement Étincelle et Camel qui donnent néanmoins des rendements dans la moyenne.
En variétés chipables, le résultat est de 24 t/ha, avec le meilleur score pour Espéranto à 34,1 t, confirmant son potentiel depuis trois ans. Beyonce, nouvelle variété testée en 2021, s'avère prometteuse. Toutes les deux affichent de bons taux de matière sèche à hauteur de 23 % ainsi que des notes correctes en lavabilité. En dernière position, Opal est totalement détruite par le mildiou.
Le rendement 2021 est supérieur de 6 t/ha à celui de 2020, millésime plutôt sec. « Le classement des variétés reste cohérent par rapport à l'année précédente », concluent les conseillers.
En 2022, année sèche, un essai du même type en non irrigué avec 24 variétés retenues, 12 de consommation, 10 en transformation frites, et 2 en orientation chips, révèle des évolutions différentes. Le rendement moyen en consommation est de 24 t/ha.
Alanis arrive en tête, devançant les autres variétés de 4,6 t/ha. « Elle confirme sa capacité de résilience, prouvant qu'elle s'en sort aussi en conditions de sécheresse », note Alain Lecat. En seconde place, Acoustic montre également son potentiel. « La moyenne du rendement est assez basse, mais reste convenable vu les conditions », observe le conseiller. Les variétés arrivant en dessous n'ont pas apprécié le déficit hydrique, à l'instar de Maïwen qui plafonne à 22,4 t/ha.
En chips, Esperanto réalise un score honorable, avec une matière sèche se rapprochant du seuil chipable de 23 %. Beyonce se place juste derrière mais avec un résultat un peu juste.
Pas de résistance au mildiou en chair ferme
En 2021, en chair ferme, la moyenne de l'essai sur sept variétés est de 29,9 t/ha, avec seulement deux variétés significativement en dessous : malgré la pression mildiou, Siena et Franceline expriment leur potentiel, avec respectivement 34,9 t/ha, avant d'être détruites par la maladie début août. Les variétés Valery, Allians et Goldmarie sont aussi très attaquées, avec un rendement dans la moyenne. Léa et Ditta, fortement impactées, n'expriment pas leur potentiel, tout comme Valery. Dans tous les essais, « aucune variété chair ferme n'est résistante au mildiou », précise le rapport.
L'essai 2022, en non irrigué, donne un rendement net moyen en chair ferme de 39 t/ha, avec seulement deux variétés au-dessus. Atteignant 49 t/ha, Siena montre son potentiel en année sèche avec le meilleur résultat et 13 tubercules par pied. Goldmarie est en seconde place, mais ayant très peu tubérisé, son pourcentage commercialisable n'est que de 48 %, à cause d'un nombre conséquent de calibres supérieurs à 55 mm. « Valery, Linzer Delikatess et Ditta sont pénalisées par une année séchante, observent aussi les expérimentateurs. D'autant plus que 13 % des tubercules de Ditta ont été attaqués par le virus Y ». Côté matière sèche, seule Valery à peau rouge obtient un bon seuil entre 15 et 19 %. Les autres variétés se trouvent au-dessus, certainement en raison des conditions climatiques.
Potentiel exprimé en irrigué
« En situation irriguée et en l’absence de mildiou, les variétés de type consommation et industrie ont pu exprimer leur potentiel sans contrainte agronomique, avec un bon état sanitaire », analysent les conseillers bio. La moyenne de l’essai 2022 atteint 54,2 t/ha ramené au calibre – supérieur à 40 mm – de cette catégorie. Dans ce contexte, le classement entre variétés tend à se niveler.
Comme les années passées, Esperanto est en tête dans la catégorie des chipables. « Les calibres sont un peu gros en raison de la densité de plantation trop faible pour ce type, réalisée à 38 000 plants/ha » , explique Alain Lecat.
En consommation et industrie, un regroupement de variétés confirmées – Maiwen, Carolus, Otolia, Cephora, Alouette – ne peuvent être départagées des variétés plus récentes comme Cayman et Byzance. Lady Jane, pour sa première année d’essai, obtient également un très bon score.
En grenaille, Jacky se distingue par sa très forte tubérisation au bon calibre recherché pour ce type. « Naturea, pour sa première année d’essai, devra être suivie une nouvelle fois avant de pouvoir donner un avis » , estime le conseiller.
En chair ferme, même constat en irrigué pour 2022, sur un essai de quatre variétés dans la Somme. La moyenne pour des chairs fermes est élevée, à 40 t/ha, « avec des répercussions sur la production de calibre au-delà des recommandations pour ce type culinaire, qui s’établit à 35-60 mm ». Les deux références chair ferme du marché bio – Allians et Ditta – sont équivalentes, à 47 t/ha. Valery obtient 40 t/ha. En revanche, malgré les conditions agronomiques favorables, les résultats de Goldmarie sont décevants pour la seconde année consécutive, avec un taux de levée faible et une tubérisation médiocre.
Christine Rivry-Fournier
Pour en savoir + : les comptes-rendus 2021 et 2022 sont téléchargeables sur hautsdefrance.chambre-agriculture.fr
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Groupes culinaires A-B-C : selon le taux de matière sèche
La qualité culinaire se détermine par le taux de matière sèche (MS) :
- A : type A/AB MS 20% entre 17 et 19 %. Pomme de terre à chair fine, ferme, peu ou pas farineuse, ne se délitant pas à la cuisson. Pour salades, pommes vapeur ou cuisson en robe des champs. Ex : Allians, Maïwen, Muse, Tentation.
- B : type B/BA MS 21% entre 17 et 21 %. Pomme de terre à chair assez fine, assez ferme, un peu farineuse et se délitant peu à la cuisson. Utilisable à toutes fins. Ex : Otolia, Acoustic, Connect, Levante, Twinner, Twister.
- C : type C/BC/CB MS 24% entre 20 et 23 %. Pomme de terre à chair farineuse, sèche, plus tendre et grossière, avec un délitement assez prononcé à la cuisson. Pour purée, cuisson au four, et friture (industries, frites, purée flocon, chips). Ex : Carolus, Alanis, Espéranto et Beyonce (chips), Kelly, Sarpomira.