Maraîchage en Ille-et-Vilaine : les clés pour bien transmettre et reprendre

Le 06/09/2024 à 9:43 par La rédaction

Réussir la cession et la nouvelle installation d’une exploitation est un défi. Initiative d’Agrobio 35, la visite d’une ferme Terre de Liens chez Charlotte Guégan, à Bois gervilly, montre l’intérêt d’une reprise clé en main, avec un parc de matériel fourni, et une belle réserve pour l’irrigation.

Avec la pluie, « l’année n’a pas été facile, reconnaît Charlotte Guégan. On est en retard sur plein de travaux ».

Dans le cadre de ses fermes ouvertes professionnelles dédiées aux producteurs, porteurs de projet, grand public ou encore élus, Agrobio 35 donne rendez-vous le 4 juin, à la Ferme de la Ruée. « Au total en 2023, nous avons accueilli près de 400 personnes sur les fermes de nos adhérents », chiffre Marie Vincent, responsable du pôle arboriculture et maraîchage chez Agrobio 35. Cette fois, l’objectif est de parler installation-transmission en maraîchage bio, avec Charlotte Guégan, repreneuse toute récente de la ferme de Erwann Ravary. « L’objectif est de montrer comment Charlotte a pu s’installer dans de bonnes conditions », précise Marie Vincent. Sous un grand soleil, les participants découvrent la ferme. « Auparavant, je travaillais dans le bâtiment », raconte la nouvelle maraîchère. À la fin de son contrat, en août 2022, Charlotte Guégan enchaîne avec un stage de trois semaines chez une maraîchère bio, et s’inscrit en BPREA à Combourg. La jeune femme de 35 ans, mère de trois enfants, le suit à distance, avec deux jours par semaine de stage sur une ferme. En mars 2023, elle arrive comme stagiaire chez Erwann Ravary, à la ferme de la Ruée. Le maraîcher, ingénieur industriel de formation, était installé depuis 2018, repreneur également d’une exploitation maraîchère bio déjà existante, avec l’appui de Terre de Liens. En juin 2023, il prend la décision de transmettre, à la suite d’un burn-out. « La tête, le corps et le coeur n’allaient plus », pose sobrement Erwann Ravary. Charlotte Guégan se dit intéressée, mais son maître de stage refuse, arguant un manque d’expérience. « C’était très bienveillant, pour me préserver », ajoute la récente installée.

Installation très rapide

L’annonce paraissant sur Terre de Liens, Charlotte Guégan postule tout de même, et sa candidature est retenue. « L’avantage d’une reprise, c’est que l’installation va beaucoup plus vite. En général, il faut compter quatre à cinq ans pour des non-issus du milieu agricole », précise Lydie Charpentier, bénévole à Terre de Liens qui a suivi le dossier. À la ferme de la Ruée, un stage de parrainage se met en place entre le 1er janvier et le 19 avril, et le 22 avril 2024, Charlotte Guégan est offi ciellement installée. Si son plan initial était de créer sa ferme, elle apprécie de reprendre un outil clé en main, avec des circuits de commercialisation existants. « C’est vrai qu’il y a des équipements, dont je ne vais pas me servir, que je n’aurais pas forcément achetés. Mais ce n’est pas grave, je peux les revendre. On a tous un idéal, après, il faut s’adapter. L’objectif, c’est de gagner sa vie ». Les terres et les bâtiments, y compris la maison d’habitation, sont loués à Terre de Liens, et le reste – serres, matériel, irrigation, circuits de commercialisation, etc. – a été cédé pour une somme sur laquelle se sont accordés cédant et repreneuse. En pratique, la ferme de 9 ha compte 1,3 ha de cultures plein champ, et 2 000 m² sous abris, avec une trentaine de légumes. Du temps d’Erwann Ravary, 3,2 UTH étaient employés : lui, deux salariées et des stagiaires. Avec Charlotte Guégan, l’eff ectif est de 2 UTH : la maraîchère et Lola Vera, salariée déjà présente. Les circuits de commercialisation ont été revus en conséquence : de deux marchés hebdomadaires et 52 paniers, les ventes passent à un marché et 65 paniers. « Et à partir de 2025, j’ai le projet de créer un magasin à la ferme. »

Devenir maraîcher bio attire... du moins pour un temps

Marie Vincent, à gauche, responsable du pôle arboriculture et maraîchage chez Agrobio 35, aux côtés d’Anaïs Augereau, stagiaire, ont accueilli les participants à la ferme ouverte professionnelle.

Bonne nouvelle, les projets d’installation en maraîchage bio sont nombreux. « Depuis cette année, on est labellisé pour accompagner les demandes de DJA [dotation jeune agriculteur, ndlr], et la moitié d’entre elles concernent des cultures spécialisées », observe Marie Vincent d’Agrobio 35. Leur majorité se concentre en maraîchage, projets de Nima – non issu du milieu agricole –, en reconversion professionnelle. Si la plupart ont l’intention de créer leur ferme, les possibilités de reprendre des structures existantes sont plus nombreuses qu’avant. C’est un phénomène nouveau : « Depuis quelques années, des maraîchers arrêtent avant la retraite », explique Marie Vincent. En cause, une fatigue physique et morale, ou l’envie de changer. « On s’est aperçu que beaucoup n’anticipaient pas la transmission, car ils ne pensaient pas passer la main avant la retraite », poursuit-elle. D’où le choix de la thématique de la visite du 4 juin. « On voit des maraîchers qui travaillent dix ou quinze ans, et décident de changer d’activité », confirme Lydie Charpentier, bénévole chez Terre de Liens, qui a suivi le dossier de Charlotte Guégan. Le nombre de porteurs de projet en collectif augmente aussi. « C’est très intelligent, car avec plusieurs ateliers sur une ferme, ils peuvent échanger et s’entraider », ajoute la bénévole.

 

Peu de changements de conduite

En plein champ, les cultures sont divisées en trois blocs, et tournent sur les parcelles. « Légumes de printemps, d’hiver et racines, soit oignons, pommes de terre, betteraves, panais et céleris », énumère Charlotte Guégan, en désignant une parcelle voisine des serres, une autre de l’autre côté de la route, le troisième terrain étant à 200 mètres. « Je souhaite faire comme Erwann, du moins dans un premier temps, avant de commencer à mettre en place des changements, explique la maraîchère. Mais cela n’empêche pas de petites évolutions : j’ai raccourci la longueur des planches de plein champ à 40 mètres », la même que celles sous serres, contre 100 mètres auparavant. « C’est harmonisé, et moins démotivant pour le désherbage », sourit Charlotte Guégan. Les bâches biodégradables ont été troquées contre des réutilisables. Côté ravageurs, les pommes de terre et aubergines sont régulièrement envahies de doryphores. « On met des filets sur pommes de terre, et on a implanté ces deux cultures à l’opposé de la zone où elles étaient l’an dernier. »

Erwann Ravary a été installé de 2016 à 2024 sur la ferme, avec sa compagne Laurence Deghaye, salariée à mi-temps.

Outils avec attelage triangle

Avec la pluie, « l’année n’a pas été facile. On est en retard sur plein de travaux », reconnaît la productrice. Pour autant, « je ne suis pas stressée par ça, je le vis bien. Je sais qu’on aura toujours des cultures à vendre, et puis maintenant, on va pouvoir semer et planter ». Charlotte Guégan est particulièrement fière de ses épinards : « Erwann faisait ses plants, et avec la météo, il y a eu du mildiou, tout a été ravagé. On a tenté le semis direct, et avec un voile et un peu de désherbage, les épinards ont bien marché ». Son prédécesseur lui a laissé un beau parc matériel : cultirateau, planteuses, récolteuses, bineuses, l’outil de fissuration Actisol, vibroculteur, rotavator... Et surtout, tous ou presque sont équipés d’un attelage triangle. « Cela apporte un très grand confort », met en avant Charlotte Guégan. La présence de Lola Vera, salariée qui connaît bien la ferme, est un autre atout. « Elle me conseille », appuie la jeune installée. Sous serres, elle a eu moins de soucis avec la météo, « mis à part les limaces. Sinon en termes de maladies, on n’a pas été trop impacté ». La productrice a eu recours à du phosphate ferrique (Sluxx), et elle essaie avec sa salariée de les traquer manuellement pendant les récoltes. Elle a aussi dû faire face à des invasions de pucerons, problématique récurrente. « On avait des larves de syrphe sur les salades, qu’on a pris et ramené sur fèves, explique Charlotte Guégan. Le travail a été fait, mais il y avait beaucoup à manger ! »

Tous les outils ou presque du parc matériel sont équipés d’un attelage triangle, simplifiant le travail.

1 200 m³ pour irriguer avec de l’eau de pluie

Des carpes ont été introduites dans la mare pour contrôler les algues.

Derrière les serres de la ferme de la Ruée, le chemin s’enfonce dans un bosquet avant de déboucher sur une mare. D’une capacité de 1 200 m³, celle-ci assure l’irrigation des cultures de la ferme. Pour réguler les algues, des carpes ont été ajoutées dans le bassin, suivies de brochets pour contrôler leur population. En pratique, « des drains sont installés de chaque côté des serres, explique Charlotte Guégan. L’eau part ensuite dans le fossé au fond, avant de rejoindre la mare ». Le système de récupération d’eau de pluie existait déjà quand Erwann Ravary s’est installé. « Nous l’avons amélioré, et nous avons vu avec le voisin pour raccorder 250 m² de toiture d’un de ses bâtiments », précise l’ancien maraîcher. Si la mare a longtemps suffi, la sécheresse de 2022 l’a vidée : le pompage n’était plus possible. « Erwann a toujours été très raisonné dans son irrigation, j’essaye de faire pareil », fait part Charlotte Guégan. La mise en place d’un système automatique est en projet, l’actuel fonctionnant sur minuteur.

Papier Isitop pour carottes

Les tomates sont sur toiles tissées, et les carottes sur broyat végétal. « Pour celles-ci, on a utilisé le système Isitop, comme en navets. On envoie les graines à l’entreprise, et on les reçoit avec un papier, qu’il suffit de dérouler. Au-dessus, on met environ 2 cm de broyat végétal. » Si la productrice reconnaît l’intérêt en termes de propreté, avec moins de désherbage, elle a dû sursemer les carottes qui elles n’avaient pas bien levé à certains endroits. « De nombreux maraîchers sont satisfaits, mais de mon côté, je n’ai pas forcément envie de renouveler l’expérience », notamment en raison du coût. En revanche, « j’aime bien l’idée de refaire les carottes sur du broyat, et de semer directement dessus, pour limiter le désherbage ». La dernière serre, avec des blettes et des salades, n’était pas censée être en production. « C’est ma serre de sauvetage, explique Charlotte Guégan. Je voulais en mettre une au repos tous les ans, mais avec la pluie, il a fallu faire un choix. Heureusement, sinon on n’aurait pas eu de blettes. » L’abri jouxte un petit bois, derrière lequel se trouve la mare pour l’irrigation (lire encadré). « Avec les problématiques croissantes de sécheresse, les arbres contribuent à réduire la température, il y a moins d’évaporation », se félicite Charlotte Guégan. En termes de charge de travail, la maraîchère s’estime proche de 42 heures par semaine, et vise à se limiter idéalement à 40 heures. « En s’installant, il a fallu réajuster l’organisation du travail. Dans le planning, il faut caser les rendez-vous à la banque, avec le comptable, répondre aux appels de clients... On apprend à prioriser », confie la productrice. « C’est important de se fixer des objectifs et des limites, et de s’y tenir, appuie Marie Vincent. C’est une réflexion à ne pas négliger. » À plus long terme, après la mise en place d’un magasin à la ferme, la nouvelle installée aimerait notamment pouvoir s’essayer à la traction animale.

 

Marion Coisne

(© Coisne M.)