Festival du maraîchage de Bio Centre : des producteurs optimisent leurs pratiques

Le 26/07/2024 à 8:02 par La rédaction

Lors de la seconde édition du Grand festival du maraîchage bio organisé par Bio Centre les 19 et 20 mars dans le Cher, des maraîchers ont partagé leurs expériences : conduites innovantes pour intensifier les cultures sous tunnels, optimiser l’usage des couverts, et produire sur sols hydromorphes.

Alexandre de la Crompe base son système sous abri sur une succession rapide, sans couverts végétaux, et sans travail du sol.

C’est sous un beau soleil, rare en ce printemps, que 225 participants ont pu assister à ce Grand Festival du maraîchage bio tenu à Saint-Eloy-de-Gy près de Bourges, en présence de 25 fournisseurs. Tables rondes et démonstrations se sont succédé. Parmi les maraîchers qui ont témoigné, Alexandre de la Crompe n’a cessé de faire évoluer son système depuis son installation en 2010 à Saint Lubin-en-Vergonnois dans le Loir-et- Cher. Ses 2,5 ha de plein champ, et deux ensembles de multitunnels Richel totalisant 3 600 m² sont sur sol argilolimoneux. Sa surface cultivée a doublé depuis peu, car jusqu’en 2022, le maraîcher ne disposait que de 1 800m² sous abri, dont 1 500 m² en production. Face à une demande en hausse, il s’est retrouvé à l’étroit, d’où l’importance pour lui d’intensifier la production sous tunnels. Les légumes sont commercialisés presque exclusivement en Amap, et la ferme compte 2,5 UTH, pour un chiffre d’affaires 2023 de 90 496 € – dont 2 379 € au titre de la PAC. Sur douze tunnels, l’un est dédié aux plants, et le reste est mis en culture. Chaque tunnel fait 6,20 m de large, rendant possible la mise en place de trois planches permanentes d’1,20 m. « On a une production secondaire d’aromatiques sous chéneau, précise le maraîcher. Le but est de rentabiliser au maximum l’espace de production. » Son système sous abri est basé sur une succession rapide, sans couverts végétaux, et sans travail du sol. Sur ses 33 planches, quatre sont de tomates, deux d’aubergines, une de poivrons, trois de concombres, trois de courgettes, douze de melons (cinq séries), cinq de carottes primeurs, deux de gingembre, trois de maïs, et trois de haricots demi-secs. « Tout ceci ne fait pas 33 car il y a des doubles cultures mises en place en période estivale », précise Alexandre de la Crompe. Par exemple, les courgettes démarrées tôt laissent place à du melon, avant implantation à l’automne de carottes. Il fait aussi de la mâche, des blettes ou encore du mesclun.

Sur sols hydromorphes, « le plus important est de prendre une bêche ou une fourche et d’aller regarder », appuie Yorick Dufour, à droite, aux côtés de Michel Berrué.

Arrêt du travail du sol

Alexandre de la Crompe a arrêté de travailler son sol dès sa cinquième année d’installation. « Vu le peu de surfaces d’abris disponibles, j’ai intensifié les successions culturales, en supprimant des tâches qui prennent du temps : préparation de sol, réarrosage, semis... ». Il n’implante que des mottes, dédiant un tunnel aux plants. « Dès leur mise en place, je lance le com pte à rebours pour enlever la culture précédente. Le moment où il faut la supprimer, est celui où il faut planter la suivante. » Le maraîcher utilise beaucoup de bâches, et réfléchit soigneusement ses successions culturales. « La question de la planification est très importante, appuie-t-il. J’ai un rétroplanning afin de savoir ce qu’il y aura l’année prochaine sur les planches. Tout est déjà calé. » Pour lui, la véritable contrainte a été de planter sur un sol dur au moment de l’arrêt du travail du sol, quand ce dernier manquait d’activité biologique. Des associations culturales, comme carotte et mâche, ou carotte et radis sont effectuées. Après avoir longtemps été paillés, les passe-pieds sont désormais recouverts de toile tissée – enlevée et remise si des passages de tracteurs sont nécessaires. « Les passe-pieds sont des espaces d’alimentation pour l’activité du sol, explique Alexandre de la Crompe. Vu qu’on a une continuité permanente de la structure du sol, les systèmes racinaires peuvent sortir de la planche et aller dans le passage de roue, qui n’est jamais surtassé et toujours alimenté. » L’arrêt du paillage s’est décidé quand son fournisseur-producteur a stoppé son activité, sachant que les taux de matière organique avaient bien remonté. Sans travail du sol, avec des planches bâchées, Alexandre de la Crompe a aussi dû apprendre à gérer limaces et campagnols. Pour les premières, il surveille soigneusement les cycles pour intervenir avec un molluscicide autorisé en bio. Pour les rongeurs, il a recours à des pièges.

 

Chez Yorick Dufour, les planches permanentes sont surélevées de 20 cm, pour les mettre à l’abri des excès d’eau. (© Dufour Y.)

Les couverts, comme une culture

Côté plein champ, sur 2,5 ha, Alexandre de la Crompe est un grand utilisateur de couverts végétaux, qui sont, pour lui, un levier fondamental pour y réduire le travail du sol. En 2017, il est passé d’un système mécanisé avec travail du sol traditionnel, utilisant Actisol et Cultirateau, à une conduite quasiment sans travail du sol, basée sur du paillage, des bâches et une couverture végétale. Face aux problèmes de taupes, le maraîcher s’est remis à utiliser au besoin le rotovator, pour travailler la structure du sol en surface. Pour les couverts, il utilise un mélange « estival », semé de mai à mi-août, avec destruction d’août à fin octobre, et un mélange « hivernal », implanté de septembre à fin novembre ou mi-février, et détruit de janvier à juin. Le couvert estival est composé de millet, sarrasin, vesce d’été, tournesol et sorgho, et l’hivernal de seigle (ou blé ou avoine), féverole, vesce et phacélie. Pour le dosage, « j’essaie de couvrir au maximum le sol », répond Alexandre de la Crompe, qui s’approvisionne auprès de voisins céréaliers et d’Axéréal bio. « J’ai un impératif, c’est que ça pousse, appuie le producteur. J’essaye de faire une culture en tant que telle et pas un bouche-trou », impliquant au besoin irrigation et fertilisation. Et sous tunnel ? « Je n’y mets aucun couvert, précise le maraîcher. Mon but est d’améliorer la structure du sol, avec une bonne infiltration de l’eau. Sous tunnel, je le fais avec des cultures que je peux vendre. »

Le casse-tête des sols hydromorphes

À une centaine de kilomètres de là, les problématiques de Yorick Dufour et Michel Berrué sont bien différentes. Les deux maraîchers cultivent sur sols hydromorphes, ce qui n’est pas sans difficultés. Yorick Dufour est installé à Châtenoy dans le Loiret depuis 2008, sur 1,2 ha de plein champ et 2 500 m² de tunnels, avec une salariée à mi-temps. Son sol est du sable sur argile, et ses légumes sont commercialisés sur le marché de Montargis. Quant à Michel Berrué, aujourd’hui à la retraite, il a débuté le maraîchage en 1996, à Chanteau dans le Loiret. La ferme compte 3 000 m² de tunnels, 1 ha de légumes de plein champ et un demi-hectare d’arboriculture, avec une terre argilo-sableuse. Dans ces deux systèmes, « l’hydromorphie est extrêmement importante », explique Michel Berrué. Dès qu’il y a plus de 30 mm de pluie, les sols n’arrivent ni à drainer, ni à stocker, et les nappes affleurent. « On a une grosse dépendance aux conditions météo, ajoute Yorick Dufour. Tout est plus compliqué, les créneaux sont plus réduits pour préparer les terrains. » Son collègue le confirme : « Ce sont des sols qui ne pardonnent pas. Si on les travaille au mauvais moment, ils sont lissés, et il n’y a plus que les saules qui y poussent ». Reste alors à mettre la planche de côté jusqu’à la saison prochaine.

 

La nouvelle planteuse électrique de Terrateck en démonstration

La planteuse fonctionne avec des mottes 4 par 4, explique Pierre Decourcelle.

À l’occasion du Grand festival du maraîchage bio, Terrateck présente sa EZY-Plant, planteuse à motte électrique. « Nous l’avons développée l’an dernier en lien avec un maraîcher qui avait des problématiques de plantation sur mâche, confronté à un coût d’implantation important et une main-d’oeuvre pas forcément simple à trouver », relate Pierre Decourcelle, technico- commercial chez Terrateck. En pratique, l’EZY-Plant plante des mottes carrées de 4 cm par 4 cm, pour différentes cultures : mâche, et aussi salade, betterave, blette, oignon, persil... « L’utilisation peut être très diversifiée à partir du moment où c’est du 4 par 4, les fournisseurs de plants ont la capacité de fournir une large gamme d’espèces dans ce format », résume Pierre Decourcelle. En pratique, le ou les opérateurs posent les mottes sur les descentes, qui les emmènent au bas du soc, sur lesquelles elles sont remises à plat avant d’être posées sur le sol. Le recul de la machine permet de cadencer de manière variable la plantation en fonction des espèces à planter. Pour certaines espèces, des roues plombeuses peuvent être ajoutées. La machine est configurable à la demande, avec trois modèles : une voie de 1,2 m pour une largeur de travail de 90 cm, une de 1,5 m pour 1,2 m de travail, et une de 1,8 m pour 1,5 m de travail. La possibilité est de planter de deux à douze rangs. « Au-delà de quatre rangs, il faut être deux pour approvisionner les plants », précise Pierre Decourcelle. Pour le coût, Terrateck annonce en moyenne entre 10 500 à 13 000 € HT en fonction du modèle et configuration.

Planches permanentes surélevées

Pour autant, produire des légumes sur ces sols argilosableux est possible. Les deux maraîchers ont choisi de travailler en planches permanentes surélevées, avec des passages de roues toujours au même endroit. Chez Yorick Dufour, les planches sont surélevées de 20 cm environ : « On se met à l’abri des excès d’eau », justifie-t-il. Les passepieds sont travaillés une fois par an, avec fissuration en profondeur pour éviter un tassement trop fort, risquant de se propager aux bords de planche. Pour cultiver dans ces sols hydromorphes, les producteurs recommandent des tracteurs avec quatre roues motrices. « Il faut de la puissance et de la motricité », résume Yorick Dufour, évoquant 65 à 70 cv, en particulier pour l’Actisol. L’itinéraire technique est rodé : pour détruire la culture précédente ou l’engrais vert, le maraîcher broie puis réalise un passage de rotavator ou idéalement, deux de covercrop, pour ouvrir le sol et surtout mélanger les déchets de matière organique. « Il ne faut pas descendre trop profond tout de suite », précise Yorick Dufour. Ensuite, il utilise un canadien, ouvrant le sol sur 8-10 cm. Modifié, l’outil est doté d’un demi-versoir au niveau des roues, pour commencer à rejeter de la terre autour de la planche, et d’un double rouleau pour rappuyer et briser les mottes. La planche commence ainsi à se dessiner. Place ensuite à l’Actisol, qui vient fissurer sur 20-30 cm, avec deux disques à l’arrière venant former le billon. Enfi n, s’il a besoin d’une préparation fi ne, Yorick Dufour utilise un Cultirateau à 8-10 cm de profondeur pour avoir une planche bien définie et homogène. Si c’est une préparation plus grossière, il a recours à un Vibroplanche. « Dans l’idéal, il faut compter une semaine entre chaque intervention », ajoute le maraîcher.

Intervenir au bon moment

La fertilisation est réalisée avant le Cultirateau/Vibroplanche. « Évidemment, c’est la théorie, ensuite on adapte au cas par cas selon l’année », nuance le producteur. En cas de printemps humide par exemple, l’impasse peut être faite sur l’Actisol. En hiver, idéalement, des engrais verts sont implantés sur les planches, sauf sur les blocs de primeurs, occultés avec des bâches à ensilage. Pour les deux producteurs, le point crucial, c’est d’intervenir au bon moment. « Le plus important est de prendre une bêche ou une fourche pour observer de près, appuie Yorick Dufour. On peut avoir l’impression qu’en surface, c’est bon, alors que ce n’est pas le cas. » Si ces deux maraîchers réussissent à produire sur leurs sols compliqués, ils ne conseillent pas, si le porteur de projet a le choix, de s’installer sur de tels terrains. « Cela reste beaucoup de contraintes et de difficultés », admet Yorick Dufour.

 

Marion Coisne

(© Coisne M.)