Fertiliser les légumes : le mulch d'herbe tient ses promesses

Le 25/01/2024 à 11:26 par La rédaction

L'espace-test agricole Biopousses, situé dans la Manche, travaille depuis 2017 sur l'intégration du mulch d'herbe dans les itinéraires techniques, via le projet Fertibiosol. Une culture de céleri-rave conduite ainsi a été comparée à un témoin sur sol nu fertilisé avec des engrais organiques du commerce.

Réduire l'usage d'intrants exogènes est un objectif prioritaire pour de nombreuses exploitations agricoles. En maraîchage bio diversifié, l'intégration d'herbe autoproduite dans les itinéraires techniques est une piste pour fertiliser les cultures et augmenter la fertilité des sols à moindre coût. Outre l'intégration d'une prairie temporaire dans la rotation, l'herbe issue de celles, naturelles, dont dispose la ferme, peut aussi être fauchée, broyée et apportée sur les planches cultivées. Différents usages sont possibles en fonction de la finesse de broyage et d'un éventuel compostage. On parle ainsi d'herbe fertilisante lorsque celle-ci est broyée en brins courts et incorporée en frais à la surface du sol, et de mulch lorsque le broyage est en brins longs pour un paillage en frais au sol.

Observer la prairie pour un mulch de qualité

Dans le cadre de Fertibiosol (1), l'essai chez Biopousses a été répété pendant cinq ans, de 2017 à 2021, sur une parcelle littorale sableuse assez peu pourvue en matière organique et à forte minéralisation. Chaque année, une prairie naturelle pauvre en légumineuses a été fauchée pour obtenir du mulch. Aussitôt coupé, celui-ci est épandu sur le sol à cultiver, avec une épaisseur d'environ 10 cm soit 60 tonnes de matière fraîche par hectare. Le stade optimal de fauche est atteint lorsque les légumineuses sont en bouton ou en début de floraison et les graminées du commencement à la pleine épiaison, positionnant la coupe entre fin avril et début mai selon les années. À cette période, les brins d'herbe présentent une teneur en matière sèche correcte et une fourniture en azote intéressante, conférant au mulch la double fonction d'amendement et d'engrais.

Une ressource aux multiples avantages

Au cours des cinq années d'essai, différents paramètres sont suivis pour évaluer l'impact du mulch sur la culture en place ­ rendement, calibre, enherbement ­ et sur la fertilité physique, chimique et biologique du sol. Quatre années d'essai sur cinq donnent un rendement et un calibre moyen des raves supérieurs dans l'itinéraire avec mulch. En 2021, les conditions froides et humides freinent le réchauffement du sol sous le mulch, en début de culture, jusqu'à 5 °C de différence avec le sol nu. Le calibre et le rendement des céleris diminuent. Le mulch joue un rôle d'isolant entre le sol et l'air qui se révèle avantageux pour le développement des plants les années normales à chaudes : moins d'à-coups de température et maintien de l'humidité. Mais il est défavorable les années froides. L'isolation et l'absence de lumière sous le paillage ont cependant l'avantage de limiter l'enherbement et de réduire le temps consacré au désherbage manuel. En 2021 notamment, trois passages rapides au niveau des trous de plantation sont nécessaires dans la culture avec mulch contre huit passages dans celle en sol nu.

Des microorganismes stimulés

Au cours des années d'essai, l'observation montre que l'apport de mulch stimule le développement des microorganismes participant à la stabilité structurale du sol. Ce, en améliorant la porosité et le développement racinaire des végétaux. L'activité microbienne favorise également la mise à disposition des éléments nutritifs pour les plantes. L'azote, dont la concentration dans le sol est suivie tout au long des cultures, s'est minéralisé de manière plus progressive dans celle avec mulch. Cela a limité le lessivage des nitrates contrairement au témoin sur sol nu. Les quantités d'azote minéralisé issues du mulch d'herbe ont bien couvert les besoins des céleris. Il n'y a donc pas eu nécessité d'apport d'engrais commercial en cours de culture.

Un taux de matière organique amélioré

Appréhendé dans cet essai comme une alternative aux engrais du commerce, le mulch, contrairement à eux, apporte une quantité importante d'humus qui entretient le taux de matière organique du sol. Pour l'évaluer, un bilan humique théorique est réalisé, dans le but aussi de déterminer si cette pratique pouvait intégralement remplacer un amendement : un dosage de 60 t/ha de mulch d'herbe ­ teneur en matière sèche de 30 % et coefficient isohumique K1 de 25 % ­ donne un bilan humique théorique annuel positif : +3 t d'humus/ ha/ an. D'où la possibilité de s'affranchir d'amendement exogène.

Quatre fois moins coûteux

Côté financier, les coûts liés à l'achat du mulch et des engrais et amendements organiques commerciaux sont comparés pour un apport azoté annuel équivalent. Les techniciens en charge de l'essai observent que le mulch ­ qui remplit le rôle d'engrais et d'amendement dans cette étude ­ est quatre fois moins onéreux que les engrais et amendements organiques du commerce : 0,09 /m² pour le mulch contre 0,39 /m² pour les autres en 2021. Ce coût lié à la matière première est toutefois à nuancer, sachant que le temps de travail supplémentaire pour la fauche et l'épandage n'a pas été calculé dans le cadre de cette étude.

Une mise en œuvre délicate

Malgré des résultats issus des essais positifs, la mise en application de la technique se révèle complexe en conditions de production. D'une part, la période de fauche est courte et intervient à une période particulièrement chargée pour les maraîchers. D'autre part, le nombre de cultures pouvant recevoir du mulch est restreinte. L'apport est en général réalisé avant plantation manuelle, sachant que la mécanisation de cette opération dans le mulch est possible mais difficilement accessible financièrement. Cependant, pour les cultures hâtives sous abri comme la tomate, il peut être fait après, avec une plantation début avril et une mise en place du mulch début mai : il faut alors que la culture soit en monorang pour faciliter la dépose de l'herbe.

Un matériel adapté à la surface

Côté matériel, l'investissement dépend de la surface à mulcher. Un gyrobroyeur, une fourche et une brouette suffisent pour faucher et épandre sur de petites surfaces. En revanche, la mécanisation devient quasi-obligatoire lorsque les surfaces en herbe augmentent. On estime à 2,5 ha la surface de prairie nécessaire pour fertiliser un hectare de plein champ. Dans ce cas, une ensileuse à herbe (type Taarup) adossée à un épandeur à fumier sont suffisants pour faucher puis épandre le mulch de manière régulière. Les conditions météorologiques sont également sources de contrainte : le terrain doit être praticable pour pouvoir passer les équipements, la prairie doit être sèche et le vent indésirable, afin de pouvoir bien positionner le mulch dans l'épandeur puis sur la planche.

Perspectives du « tout herbe »

Ces cinq années d'essai confirment l'intérêt du mulch d'herbe en remplacement des engrais et amendements organiques du commerce à l'échelle d'une culture. Les résultats ont été présentés à l'occasion d'une visite chez Pierrick Bouchaud, maraîcher qui intègre le mulch d'herbe produit sur sa ferme dans ses itinéraires techniques. Les recherches doivent maintenant se poursuivre au niveau d'un système de production. Le CFPPA de Coutances, en partenariat avec Biopousses, souhaite proposer une stratégie maraîchère basée sur l'herbe, autonome en fertilisation et plus résiliente face au changement climatique. Ce système de « maraîchage tout herbe » intégrerait des surfaces en herbe suffisantes pour fertiliser et amender l'ensemble du parcellaire maraîcher.

Christophe Cahu, Mathilde Desprez,
Clara Strach

(1) FertiBiosol : Fertilisation biologique des sols en cultures de légumes, projet réalisé en partenariat avec le CFPPA de Coutances, Sileban, maraîchage sol vivant de Normandie-Île de France, avec le soutien financier de l'agence de l'eau Eau Seine-Normandie, le département de la Manche, la région Normandie et l'Union européenne.

 


Biopousses : une nouvelle dynamique

Dans la Manche, l'espace test agricole biologique Biopousses, créé en 2011 par le CFPPA du Campus Métier Nature de Coutances et les élus de la commune de Lingreville, bénéficie d'une nouvelle dynamique. En juin 2023, trois coprésidents reprennent les rênes, et le site internet est refait à neuf. « Nous l'avons actualisé, pour accompagner notre évolution, explique Clara Strach, chargée de communication. L'objectif est de faire connaître davantage nos missions, nos services, et diffuser aussi nos résultats techniques. » Biopousses soutient et sécurise les installations fiables sur le territoire, accompagne les porteurs de projets, sur les plans technique, juridique et humain, et approvisionne la restauration collective en légumes bio cultivés sur ses espaces tests. Aujourd'hui, elle héberge, via différentes formules, une quinzaine de porteurs de projets en installation.

En savoir + : biopousses.fr