Une fois par an, le Staff syndicat des trieurs à façon de France organise une journée technique. La session 2022 s'est déroulée en Normandie, consacrée aux semences bio. Les prestataires de tri répondent à une grande partie des demandes des producteurs.
Polyculteurs-éleveurs bio à Saint-Aubin-de-Bonneval dans l'Orne et adeptes de triage à façon, Isabelle et Nicolas Perier accueille cette journée technique le 17 octobre. En ouverture de la rencontre, Sylvain Ducroquet, président du Staff rappelle le contexte : « Les agriculteurs conventionnels veulent moins de chimie, et ceux en bio ou en agriculture de conservation des sols ont des pratiques différentes. Les semences coûtent cher. En utilisant celles de ferme, les agriculteurs valorisent leur production. » Les trieurs à façon amènent sur place un outil industriel et réalisent la prestation. « Nous accompagnons les producteurs avec des machines de plus en plus perfectionnées, souligne le président. Nous répondons à une grande partie des demandes. » Les opérations séparation des espèces, calibrage et nettoyage des grains varient selon la demande des fermes. Les techniques s'améliorent. « Nous sommes passés du nettoyeur-séparateur au triage alvéolaire puis à la colonne densimétrique et, dans certains cas, au trieur optique. »
à Saint-Aubinde-Bonneval, dans l’Orne.
(©Hardy G)
Recherche d’autonomie maximale
Sur 90 hectares, dont 80 ha d'herbe et 10 ha de céréales et protéagineux, Isabelle et Nicolas Perier élèvent 100 bovins en croisement trois voies Holstein, Jersiaise, Normande ou Montbéliarde et 20 truies. « Nous avons des convictions écologiques et visons l'autonomie sur le plan agronomique et pour l'alimentation des animaux », témoignent-ils. Leur production de grains, s'élevant à 500 quintaux, dont 20 q destinés à la semence, assure leurs objectifs. Le couple fait appel au triage-nettoyage-séparation d'espèces, pour deux mélanges blé-féverole et triticale-seigle-féverole , afin de préparer leurs semences. Il achète également un quintal de semences certifiées chaque année. Installés depuis 2002, les éleveurs ont démarré leur conversion bio en 2015.
Qualité de conservation
« Lorsque nous étions en conventionnel, nous utilisions déjà des semences de ferme, en pratiquant le triage, explique Nicolas Perier. En bio, avec nos associations de cultures, cette étape est d'autant plus nécessaire sur cette partie semences. La récolte doit être propre pour ne pas ressemer des adventices et on refait chaque année les mélanges de base à implanter. » Les éleveurs font aussi nettoyer leurs productions destinées à l'alimentation des animaux, notamment des porcs. « Cela n'a pas été nécessaire cette année, de façon exceptionnelle, car les mélanges ne contenaient pas de vert. Sinon, c'est indispensable pour un stockage dans de bonnes conditions, car la qualité de l'aliment porcin nécessite des grains bien conservés. » Isabelle et Nicolas Perier font appel à l'entreprise Leboeuf, basée à La Caine, dans le Calvados pour leur broyage. En triage, ils travaillent avec SCS Semences, implantée à Bourguébus, dans le Calvados.
Un travail sur mesure
SCS Semences a démarré ses prestations en bio en 2017 avec un trieur plan. Les années suivantes, l'entreprise s'est équipée d'un trieur rotatif et d'un système alvéolaire. Elle dispose d'un équipement mobile dédié à la bio, et bientôt d'un second, et trie environ 15 000 q par an de grains bio blé, triticale, avoine, orge, mélanges , soit un quart de son activité. « Je m'adapte à chaque client », explique Maxime Suard, salarié de l'entreprise. Les rendements en bio sont de 6 tonnes l'heure en blé et de 4,5 t/h pour les mélanges. « Ils sont plus lents qu'en conventionnel car les grains sont sou- vent plus sales, avec du vert - vesce, gaillet, etc.-, des insectes, complète Christopher Garcia, responsable de l'activité triage et traitement des semences. De plus, les lots sont moins importants, et les combinaisons d'associations en céréales et légumineuses sont nombreuses, avec une diversité de tailles de graines. » Sur la chaîne de tri, le système rotatif comprend une quarantaine de grilles, nécessitant des changements pour s'adapter aux produits. La machine spécifique pour la bio de SCS Semences, baptisée Tribio Céréales, est issue d'une conception allemande. « Nous en construisons une autre en interne pour augmenter nos performances. De plus en plus de producteurs bio font appel à nos services, par souci d'améliorer la qualité de leurs produits », observe Christopher Garcia.
Autre entrepreneur normand, Wilfried Lecarpentier trie annuellement 30 000 q de semences, dont 10 % en bio. « Nous avons deux ou trois années pour nous adapter à ce nouveau marché, souligne-t-il. En conventionnel, la machine est réglée une fois pour toutes. En bio, nous travaillons sur mesure. Un industriel produisant des semences certifiées ne peut pas se positionner sur des petits lots. La prestation coûte plus cher car les réglages prennent du temps » .
Favoriser les associations de cultures
Pour Benoît Coiffier, conseiller grandes cultures à Bio en Normandie, « la volonté des bio est d'améliorer leur autonomie agronomique et financière, en réfléchissant sur les gains de valeur ajoutée ». Les producteurs ont des stratégies différentes, selon leurs approches personnelles, et leurs circuits de vente. « Certains s'équipent en triage, par exemple des paysans boulangers, huiliers ou brasseurs, mais d'autres ont recours à des prestataires, à l'instar de ceux vendant en direct une partie seulement de leur rotation, comme les légumes secs », précise-t-il. Utiliser le triage à façon évite de gérer les pannes, et les multiples manipulations de grilles. Pour les éleveurs, la motivation est double : ressemer des méteils dosés de façon pertinente pour optimiser la ration alimentaire de leurs animaux, évitant le recours aux achats extérieurs de protéines, et aussi garantir la conservation de leurs grains. « En plus d'améliorer la fertilité, les associations agissent sur le salissement par la couverture de sols », rappelle le conseiller. Pour les cultures destinées à l'alimentation humaine, le blé tendre notamment, « les mélanges avec du trèfle par exemple renforcent le taux de protéines de la céréale, l'année même, ainsi que la suivante grâce aux restitutions d'azote, mais il faut trier. Ceux avec de la féverole sont intéressants aussi ; or les organismes stockeurs restent encore réticents avec cette espèce en raison du risque de brisures porteuses d'amertume ». Quant aux semences de ferme bien nettoyées et indemnes de carie (1), hormis leur intérêt économique, elles favorisent l'adaptation des variétés au terroir, pour les rendre plus résistantes.
Repères
La France compte une centaine de trieurs indépendants, dont 40 % adhèrent au Staff. Les semences de ferme représentent 60 % des assolements. Le secteur verse chaque année entre 15 et 20 millions d'euros pour financer la recherche.
Gilles Hardy
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