Dans une conférence au salon Tech&Bio, Alain Lecat, conseiller bio à la chambre d'agriculture de la Somme rappelle les scores impressionnants obtenus par les légumineuses utilisées en interculture, en matière de restitution azotée.
Depuis quelques années, la recherche d'autonomie azotée n'a jamais été autant d'actualité, particulièrement en grandes cultures. En effet, l'azote en bio est devenu rare et cher. Parmi les pistes pour gagner en autonomie azotée, la fourniture d'azote par les légumineuses en interculture est la plus prometteuse. « Cette voie n'est pas nouvelle, rappelle Alain Lecat, conseiller en grandes cultures bio à la chambre d'agriculture de la Somme et animateur référent national grandes cultures bio du réseau chambres d'agriculture France. Des essais menés par Patrice Morand, alors conseiller bio à la chambre d'agriculture de la Drôme entre 2002 et 2005 (1) ont montré des résultats bluffants. Par exemple, derrière luzerne ou mélilot, semés sous couvert de blé, mais aussi derrière vesce commune semée à 100 ou 150 kg/ha après récolte du blé, les rendements du maïs suivant tutoyaient ceux obtenus avec 10 tonnes de compost de fumier de volailles. »
Changement de paradigme
Bien que concluante, la pratique n'a pas eu le succès escompté à l'époque, sauf exception (1), la faute de la modicité du prix des engrais organiques du commerce. « Depuis, la donne a changé. Aujourd'hui, la tonne de fientes de volailles coûte à peu près 100 euros et son épandage n'est souvent plus justifié d'un point de vue économique », analyse le conseiller. Depuis plusieurs années, la chambre d'agriculture des Hauts-de-France mène un suivi de la minéralisation de différents trèfles en interculture dans la Somme (lire en encadré) dans le but de quantifier leurs fournitures azotées aux cultures suivantes. « L'effet fertilisant des couverts de trèfle résulte à la fois de la quantité d'azote contenue dans les résidus et de la proportion de cet azote rendue disponible par minéralisation après destruction, indique Alain Lecat. La date de destruction est importante. »
Le défi : faire coïncider libération d’azote et besoins des cultures
Illustration : au 22 mars 2022, le reliquat d'azote mesuré derrière le trèfle blanc détruit en février atteint 33 unités sur l'horizon 0-90 cm hors minéralisation de l'humus contre 15 avec une destruction en novembre. « Les légumineuses pures n'enrichissent le sol en azote que lorsqu'elles sont détruites. Aussi, le principal enjeu est de faire coïncider cette libération d'azote avec les besoins des cultures. Mais ce n'est pas facile car ce mécanisme échappe au bon vouloir de l'agriculteur et est surtout tributaire de la météo. » Après une destruction du couvert de trèfle blanc en novembre en vue d'un semis de printemps, il convient d'implanter une culture avec un enracinement rapide pour valoriser l'azote restitué. Ce sera par exemple une orge ou un blé de printemps, voire un maïs. Avant pommes de terre, une destruction plus tardive, en février est davantage appropriée.
Prudence avec les semis de trèfles à l’automne
« Suite aux hivers doux de ces dernières années, nous avons testé le semis de trèfles en 2021 et 2022 trèfle incarnat à 10 kg/ha et trèfle blanc à 3 kg/ha , début novembre, en même temps que la céréale. Nous cherchons une alternative aux semis sous couvert de céréales en mars-avril, dont la réussite butte de plus en plus souvent sur des printemps secs. » Malheureusement, en 2022, les trèfles ont été détruits trois semaines après le semis par une vague de froid jusqu'à moins 8 °C. « Pour supporter le froid hivernal, les trèfles doivent avoir atteint le stade « 1re feuille trifoliée », ce qui n'était pas le cas », observe Alain Lecat. Sur un autre site d'essais, toujours dans la Somme, les semis de trèfles associés aux céréales effectués plus tôt, le 28 octobre, ont résisté au froid.
Semis sur sol gelé en 2023
« Suite à une veille informationnelle réalisée sur internet, je suis tombé fin 2022 sur une vidéo canadienne indiquant que le trèfle supportait bien d'être semé sur sol gelé en fin d'hiver, relate Alain Lecat. On y expliquait que la graine s'enterrait dans le sol par l'effet mécanique de l'alternance gel/dégel puis germait au retour de conditions plus chaudes. » En conséquence, une troisième modalité de semis du trèfle blanc est testée en 2023 : le semis de février, en conditions froides. « Finalement, avec les difficultés d'implantation au printemps et le gel de fin novembre, c'est cette modalité qui a le mieux réussi en 2023 ! »
Trèfle blanc versus couvert à haute densité
Les essais de légumineuses en interculture se poursuivent cet automne, avec quelques nouveautés, dont la modulation des doses de semis de trèfle incarnat associé au blé – 3, 6 et 9 kg/ ha –, mais aussi l’utilisation de minette sous couvert de blé, à raison de 5 ou 10 kg/ ha. L’objectif est de vérifier à partir de quelle densité la concurrence sur la céréale se manifeste. « En 2024, nous comparerons la réponse en termes de rendement d’une culture de printemps aux restitutions d’azote du trèfle blanc semé sous couvert d’une céréale un an auparavant, à celle obtenue par un couvert d’interculture composé de féverole à petit PMG – Avalon – et de pois fourrager, type Assas. » Ce dernier a été semé en direct après la moisson 2023, à haute densité, soit 175 g/m2. Ce seuil résulte des travaux menés par Thierry Têtu, enseignant-chercheur à l’université de Picardie. Pour maximiser la biomasse produite par les couverts végétaux, stimuler la rhizosphère et à terme parvenir à l’autonomie azotée, il convient selon Thierry Têtu de les implanter à une densité au moins égale à 250 g/m2, dont 70 % de légumineuses.
Jean-Martial Poupeau
1) La pratique du semis de trèfle blanc sous couvert de céréales en fin d’hiver est impulsée à partir de 2006 suite à des essais réalisés par Gilles Salitot, conseiller en grandes cultures bio à la chambre d’agriculture de l’Oise (lire Biofil 70).
Le dispositif d’essai pour 2021-2022
· Site d'essais : Rubempré dans la Somme. Sol limoneux.
· Semis des trèfles à la volée dans le blé d'hiver lors du dernier binage : 24 avril 2021. Trèfle blanc 4 kg/ha, violet 20 kg/ha, Alexandrie 15 kg/ha, Alexandrie et trèfle violet 20 kg/ha (pour moitié chacun)
· Récolte du blé d'hiver : 20 juillet 2021. Plusieurs broyages des trèfles à l'automne.
· Biomasse le 8/11/21 : seul le trèfle blanc a une biomasse significative (2,9 t/MS/ha). Le mélange trèfle d'Alexandrie/ violet atteint 1,3 t/MS/ha, le trèfle violet 1 t/MS/ha et le trèfle d'Alexandrie 0,6 t/MS/ha.
· Date de destruction des trèfles : 8 novembre 2021 (trèfle blanc) et 2 février 2022 (trèfle blanc, violet, Alexandrie et Alexandrie/trèfle violet)
· Culture suivante : pommes de terre implantée le 24 avril après labour le 15 mars. Apport de 3 t/ha de fientes de volailles le 4 avril. Récolte le 25/08/2022.
Commentaire d'Alain Lecat : « Il n'y a pas de différence statistique entre les rendements de la pomme de terre obtenus derrière témoin - sol nu - et ceux obtenus derrière les trèfles. Néanmoins, au vu du rendement du témoin, une réduction de la fertilisation à base de fientes de poules aurait été envisageable. »