Résilience alimentaire en Occitanie : la Scic Graines équitables change d'échelle

Le 14/09/2022 à 13:37 par La rédaction

La Scic Graines équitables poursuit sa quête d'autonomie en s'équipant d'outils performants de prénettoyage-triage-stockage destinés aux cultures associées et couverts végétaux. La coopérative pousse plus loin son projet ambitieux d'agroécologie en visant la résilience alimentaire de l'Audois.

 

À sa création en 2014, la Scic (1) avait pour but de dynamiser le territoire en réhabilitant d'anciennes friches viticoles laissées à l'abandon à la suite de la crise du secteur entre 2005 et 2010 (lire Biofil 108 et 129). Sept agriculteurs audois se lancent alors dans l'aventure. En huit ans, si la vocation première n'a pas faibli, l'ambition de structurer des filières agricoles et alimentaires en agriculture bio, en se fondant sur une agroécologie de territoire, devient prioritaire. « Il nous fallait d'abord mettre en place des rotations solides, basées sur des légumineuses et couverts végétaux, pour sécuriser les rendements des cultures bio, résume Yann Bertin, gérant de la Scic, et initiateur du projet. Les débouchés se sont construits au fil de l'eau, fondés sur la nécessité d'être rémunérateurs pour les coopérateurs. »

Un succès fulgurant

Entité à la fois agricole, commerciale et « développeuse de territoire », la Scic connaît un succès fulgurant : en 2022, elle compte 37 adhérents répartis en Occitanie, dont un pool important dans le Gers, et totalise près de 6000 hectares cultivés. Elle évolue, désormais composée de cinq collèges : producteurs, clients, salariés, partenaires techniques, et plus récemment collectivités. Grâce à ses investissements en stockage, pré-nettoyage-triage et transformation, son chiffre d'affaires a doublé depuis 2021, approchant le 1,3 million d'euros pour atteindre 2 millions d'euros fin 2022, dont 15 % issus de la vente de semences de couverts. Sept salariés ont été embauchés pour faire fonctionner la nouvelle unité de stockage, triage et conditionnement de graines bio. Conçu pour stocker près de 2 000 tonnes, le site est déjà saturé tandis que 22 producteurs bio supplémentaires souhaitent adhérer à la structure.

Un triage performant

La plateforme de stockage et de tri de graines bio est installée fin 2018 sur le site de l'ancienne distillerie de Laure Minervois. En 2021, elle est équipée d'une unité performante de pré-nettoyage, triage et stockage de grains bio. L'investissement de près de 2,5 millions d'euros est réalisé à l'aide de financements publics et privés ­ Fonds Avenir bio, plan protéines France Relance, Miimosa­, soit plus de 1 million d'euros. « L'objectif est d'obtenir une qualité de grain irréprochable pour l'alimentation humaine », souligne Yann Bertin. Différents types de trieurs ­ rotatif Marot, plan, alvéolaire, optique ­ et une table densimétrique sont opérationnels. En complément, une décortiqueuse est dédiée à l'épeautre et à l'amidonnier. De plus, un moulin meule de pierre de type Astrié, consacré aux farines de protéagineux certifiées sans gluten, est en service depuis six mois : il produit près de 14 types de farines, stockées avant commercialisation dans un caisson frigorifique attenant. D'autres investissements sont à venir pour compléter l'outil : une cellule anoxique pour traiter les légumineuses contre les bruches avec un gaz inerte d'un montant de 90 000, ainsi qu'une ensacheuse de 160 000, en substitution du travail manuel chronophage.

Du personnel qualifié

L'unité tourne 16 heures sur 24 pour traiter l'ensemble des volumes des adhérents : « Le stockage est saturé et le personnel manque à l'appel, constate Yann Bertin. C'est la principale difficulté rencontrée : l'agroécologie nécessite des salariés qualifiés, sinon c'est la catastrophe ! La mise en service du trieur optique a nécessité près de deux mois de formation ». Tout l'été, l'équipe en place sépare les mélanges d'espèces. Le décorticage est prévu en saison hivernale, afin de valoriser le site toute l'année. Un responsable qualité dédié à l'usine a été embauché pour suivre la certification CSA/GTP relative aux activités de stockage, négoce de grains et farines. Des procédures très strictes sont en place pour réduire les risques sanitaires liés aux insectes, oiseaux, rongeurs. Yann Bertin est plutôt satisfait de cet équipement : « Comme nous n'avions pas d'outil, les adhérents se freinaient sur les mélanges d'espèces, qui pourtant augmentent les rendements. Maintenant on se lâche ! Avoir investi dans la chaine de triage nous a fait économiser près de 95 000 en prestation de triage l'an passé ».

Encore plus innovant

Avec la crise climatique, la Scic se tourne résolument vers une agroécologie de territoire, fondée sur des mélanges d'espèces en culture et dans les couverts. « Ce qui était au fondement de notre démarche agronomique est renforcé grâce au triage qui facilite les innovations, explique Yann Bertin. Ainsi les blés modernes sont cultivés avec la féverole, nécessitant de choisir des variétés de blé adaptées avec paille haute et bonne couverture pour rester prédominant. » Les blés anciens ­ Rouge de Bordeaux, Barbu du Roussillon, Touzelle, etc. ­ sont conduits en association avec, au choix, de la luzerne, du sainfoin, de la gesse ou de la lentille. Yann Bertin constate « une amélioration des qualités boulangères, et une meilleure gestion du salissement ». Quant aux blés durs, près de 80 % d'entre eux sont cultivés avec luzerne ou féverole. Une espèce issue de la sélection participative ­ LA1823 Inrae ­se montre particulièrement adaptée à la culture dans la luzerne vivante, mais n'ayant pas réussi son inscription, il n'est pas encore sûr que la Scic puisse continuer de la cultiver.

Les multiples atouts de la moutarde

Les adhérents attribuent une place de choix à la moutarde : très bon précédent pour le blé avec un gain de près de 10 q/ha observé après une moutarde, cette espèce constitue une interculture intéressante pour les céréales. Elle possède une double destination, la variété blanche pour les engrais verts, la variété brune pour l'alimentaire. En couvert, elle est associée au fenugrec ou à la féverole, et son pouvoir d'étouffement des ray-grass et folle avoine est remarquable. « Tout ce qu'on a mis en place au niveau Scic, c'est grâce à la rotation : on produit ce qu'on ne sait pas vendre au départ, et on recherche les marchés ! La moutarde est une culture importante notamment pour la qualité des blés. On vend 40 tonnes par an de moutarde bio et on a la volonté de la développer... La moutarde bio française demain, ça sera nous ! », se réjouit Yann Bertin.

Répartir les risques

L'assolement des cultures est réfléchi sur l'Occitanie pour répartir les risques en cas d'accident climatique, de plus en plus fréquents : « Notre récolte de lentille en 2021 a été satisfaisante malgré l'année catastrophique, précise Yann Bertin. Quant aux seigle, épeautre, millet, avoine nue, ils sont en majorité cultivés dans le Gers où les conditions y sont plus favorables ». En 2022, la collecte d'été s'annonce plutôt bonne. La Scic compte près de 17 clients sur toute la France, dont certains sont historiques : Germ'line, leader sur le marché des graines germées fraîches bio, la société SDMR spécialiste des condiments pour la moutarde, les Moulins de Cocagne et Moulin Pichard pour le sarrasin, les Maîtres de mon Moulin pour les blés anciens, et Moulin Marty pour les blés modernes. « La majorité de nos clients actuels nous ont contactés suite aux crises sanitaires successives, avec une volonté de relocaliser les approvisionnements », complète Yann Bertin. En cours d'implantation dans les magasins spécialisés, notamment chez Biocoop, le gérant de Graines équitables constate une forte concurrence qui nécessite d'innover. « Le marché de la bio a chuté de 3 % et risque encore de baisser d'ici deux à cinq ans avec le coût de la vie, estime-t-il. L'écart entre la bio et le conventionnel se réduit. Il va falloir s'adapter, restreindre nos coûts de production, substituer les parts d'import par de la production locale, investir sur le territoire et travailler en local le plus possible. »

La Scic solidaire des populations ukrainiennes

Fin mars, une quinzaine de femmes ukrainiennes sont arrivées dans l'Aude, accueillies par l'équipe de Yann Bertin à Laure-Minervois. Elles vont aider aux activités d'ensachage de graines dont une partie est destinée à des dons alimentaires pour leur pays, à partir de mélanges de céréales ­ protéagineux, farines, risotto. Cette opération a été possible grâce à la mobilisation du Biocivam de l'Aude et des Pyrénées Orientales, qui ont facilité l'identification de logements disponibles et de postes de travail chez les producteurs bio.

Une marque et la priorité au bio local

Ainsi, la Scic n'a pas attendu la crise et réinvestit plus fortement le réseau des magasins spécialisés, la restauration collective mais aussi les GMS de l'Aude et des départements limitrophes, en approvisionnement direct. Pour se démarquer, elle a créé la marque Graines d'Aqui et affiche depuis peu le label Bioéquitable en France. « Nous avons soutenu le projet, lancé par la Fnab pour la reconnaissance de pratiques commerciales équitables Nord-Nord. Il repose sur un engagement fournisseur-client ­ sur trois ans, basé sur les coûts de production ­, avec des prix rémunérateurs. Cinq critères agroécologiques sont à sélectionner parmi les dix proposés. Finalement, il n'y a pas de changement important dans les pratiques pour nos adhérents, mais c'est utile pour faire évoluer nos fonctionnements. » De plus, la Scic vise l'étiquetage environnemental Planet-score.

Des liens avec les PAT

En parallèle, Yann Bertin souhaite nouer des partenariats forts avec les collectivités via les Plans Alimentaires de Territoire (PAT) en cours sur le Carcassonnais et l'agglomération du Narbonnais. Une collaboration a démarré avec Stéphane Linou, ancien élu de l'Aude et fondateur du mouvement des Locavores sur la territorialisation de l'alimentation. « Avec le PIA4 (2), on va donner des modèles techniques, agroécologiques, pour faciliter la transposabilité de notre modèle. On veut approcher la capacité de la Scic à nourrir les populations sur notre territoire, sachant qu'il existe encore près de 2 000 ha de terres inexploitées et qu'il faut encourager plus que jamais l'installation de futurs paysans », conclut Yann Bertin.

 

Stéphanie Camazon

 

(1) Société coopérative d'intérêt collective.

(2) 4e programme d'investissement d'avenir.

 


Une stratégie tournée vers la résilience

Pour pérenniser son déploiement, la coopérative a candidaté début 2022 sur un appel à manifestation d'intérêt intitulé PIA4 ­ 4 e programme d'investissement d'avenir « Démonstrateurs territoriaux agroécologie et alimentation » ­, financé par le plan France Relance 2030. L'objectif est de dupliquer les savoir-faire acquis en matière d'agroécologie, de renforcer la capacité des structures à répondre aux enjeux agro-climatiques pour continuer d'innover et préparer la résilience alimentaire du Minervois. Chiffrés à près de 10 millions d'euros, les investissements porteront en priorité sur les agroéquipements et les innovations techniques pour les Cuma, ETA ­ Entreprises de travaux agricoles ­ et les coopérateurs, le développement du site d'implantation et la remise en culture des friches viticoles. Ainsi, les producteurs bio pourront s'équiper d'andaineurs avec barre de coupe, de rolofaca, de robots de désherbage pour les cultures semencières et de drones. Des stockages tampon chez les adhérents seront financés pour désengorger le site et limiter les charges de transport.


Une grande diversité de cultures

La Scic multiplie les types de graines et de farines, mais aussi les clients partenaires, représentant entre 30 à 60 % des débouchés des adhérents. Elle commercialise des céréales ­ blés modernes et anciens, petit épeautre et grand épeautre, khorasan, blé dur, amidonnier, etc. ­, du sarrasin, des légumineuses ­ lentille, pois chiche, gesses, féverole ­, des oléagineux ­ lin brun et doré, colza, cameline, moutarde ­ ainsi que des graines de couverts ­ fenugrec, etc. Le site de stockage est constitué de sept cellules de près de 200 tonnes destinées aux céréales ­ orge brassicole, blé dur, blés modernes, petit épeautre et grand épeautre ­, assorties d'un distributeur mécanique de terre de diatomée, pour éliminer en préventif les charançons. Il sera doublé d'ici deux ans lors de la seconde phase de travaux prévoyant la construction d'un nouveau bâtiment photovoltaïque. Le reste est réparti dans le bâtiment, dans des cuves à bétons et dans des big-bags. Une partie des cultures sont vendues directement auprès de la société Aurouze spécialisée en alimentation animale, et/ou partent directement chez les clients.


Favoriser les partenariats

Par solidarité, plusieurs membres de la Scic mettent à disposition d'éleveurs d'ovins leurs parcelles pour un pâturage hivernal. En 2022, neuf bergers et 4 000 brebis pacagent les vignes enherbées avec les semences de couverts produites par les adhérents. En parallèle, près de 450 tonnes de fourrages sont vendues chaque année pour l'autonomie des élevages du secteur. Des cultures et couvertures mellifères sont également mises à disposition des apiculteurs en échange de services de pollinisation.