Comment refaire des prairies temporaires en baisse de rendement, en ayant un minimum d’impact sur la vie du sol et le pâturage des vaches ? En Normandie, un itinéraire associant dérobée et semis sous couvert y parvient. Le point avec Pascal Rougier de Conseil Organic.
Entre 2020 et 2021, des essais sont menés dans le cadre du programme Reine Mathilde (1) sur 13 hectares de prairies temporaires : le dispositif concerne 11 parcelles d’une plateforme qui en compte 47 dédiées au pâturage. Il est mis en place, dans le Calvados, à l’Earl du Bois d’Arry des éleveurs bio François Roulland et Arnaud Harel, une des trois fermes référentes du projet. « Ici, la problématique était la baisse de rendement de prairies pâturées, liées à des conditions climatiques difficiles », relate Pascal Rougier de Conseil Organic. Les surfaces concernées ont subi des années de conditions sèches et donc de surpâturage occasionnel. Ces prairies temporaires ont vocation à le rester, mais comment les renouveler sans bouleverser les équilibres en place ? Un itinéraire est testé dans ce but.
Plusieurs critères retenus
En 2019, une première tentative de régénération de prairie est lancée, avec trois types d’actions : un sous-solage pour décompacter le sol, l’apport d’un complément minéral et un sursemis. « Mais avec la succession d’étés très séchants et une situation accentuée en 2020, il fallait agir beaucoup plus vite pour compenser la baisse de productivité », expose Pascal Rougier. L’objectif du renouvellement de prairie est d’éviter « de refaire une prairie sur une prairie », partant du constat global qu’une
ancienne implantation reprend vite le dessus (ici RGA/TB), contraignant la réussite de la future parcelle. Le choix est fait du non-labour, « pour éviter de bouleverser la vie du sol », basé sur un travail superficiel à moins de 10 cm de profondeur. Autre point clé, les surfaces doivent être prélevées le moins longtemps possible afin de les maintenir au mieux dans le circuit de pâturage. L’idée est de sécuriser le stock fourrager : l’itinéraire technique vise à la fois l’objectif de faire pâturer et de récolter pour compenser une perte en volume de fourrages.
Un itinéraire en deux temps
Fin août 2020, première étape : l’ancienne prairie est détruite avec un outil à dents (Horsch) et deux passages de Rototiller, évitant le labour. Le 1er septembre un mélange de colza et radis fourragers ainsi que des trèfles est semé en dérobée à la volée, rappuyé au rouleau cultipacker. « Une dérobée différente peut tout à fait être envisagée sur d’autres fermes », précise Pascal Rougier (2). L’objectif est bien de rester dans le circuit de pâturage de l’automne jusqu’au printemps de l’année suivante. Ainsi en 2020, les vaches pâturent du 19 octobre au 24 décembre, puis rentrent en stabulation, avant le retour de la mise à l’herbe au 20 février 2021. Fin mars, c’est le second temps. La dérobée est détruite, toujours sans labour. Elle laisse la place au renouvellement de la prairie, semée sous couvert d’un méteil pois protéagineux/féverole. Un combiné herse rotative et semoir est utilisé pour le méteil, et herse étrille pour la prairie. « On implante au 2 avril, le mélange pois/féverole à 3-4 cm de profondeur et le lendemain, la prairie, semée en surface, suivi d’un roulage », indique Pascal Rougier. Les atouts du semis sous-couvert L’objectif de semer sous-couvert est de protéger la jeune prairie du salissement et faciliter son essor. « Les protéagineux ont une vitesse d’implantation plus longue qu’une céréale, en laissant un accès à la lumière, favorable au développement de la prairie », rappelle Pascal Rougier. En outre, à la fauche du couvert, les légumineuses larguent de l’azote, biodisponible pour la prairie. Pour celle-ci, la herse étrille équipée d’un semoir est préférée à un semoir à céréales, dont le semis en ligne n’est pas forcément adapté à des espèces fourragères. « L’interligne de 12,5 cm entre chaque rang risque de générer de la battance, favorisant les mousses », précise Pascal Rougier. Deux associations prairiales sont mises en place, l’une orientée plutôt pâturage estival avec une dominante luzerne, l’autre, pour un pâturage toute l’année. Ces mélanges sont destinés à installer des prairies temporaires pour quatre à cinq ans en moyenne. Mais, rien ne s’oppose à ce qu’elles restent plus longtemps en place, dix ans peut-être, si elles sont productives. Ce fut le cas pour certaines.
L’essentiel, c’est la prairie
« Même si la récolte du méteil contribue à faire du stock, l’objectif premier reste la réussite de la future prairie », rappelle Pascal Rougier. Dans cette optique, le méteil est fauché au 30 juin 2021, ensilé le 2 juillet. « Nous aurions pu récolter avant, mais le couvert n’était pas mûr et après, il s’est mis à pleuvoir, relate l’expert. La décision a été prise de faucher entre deux ondées, au 30 juin, par crainte de voir la prairie souffrir de la couverture du méteil. » Une fois celui-ci récolté, la prairie revient très vite dans le plan de pâturage, courant août. Au final, chacune des 11 parcelles renouvelées comptabilise quatre à cinq passages de vaches. L’une d’elles est mentionnée à titre d’exemple : le pâturage y démarre le 12 août, puis reprend les 24 septembre, 12 novembre et 24 décembre. Les vaches sont rentrées en bâtiment le 3 janvier 2022. L’objectif de maintien du pâturage est rempli. Certes 2021 fut favorable à de telles implantations, au moins en volumes produits, comparée à 2020, pénalisante pour les récoltes de fourrages et la production d’herbe.
Bilan positif
« Cette technique permet de renouveler des prairies sans labour et de limiter la durée du non-pâturage à trois mois, contre un an auparavant », relate Pascal Rougier. En effet après une prairie, les éleveurs implantaient jusqu’alors une culture annuelle. « Lorsqu’on soustrait des parcelles du pâturage pendant un an, forcément la pression est mise sur celles qui restent, au risque de surpâturer, poursuit l’expert. Nos essais montrent que le non-pâturage peut être réduit grâce à la dérobée. » Les multiples intérêts d’implanter de jeunes prairies sous couvert de protéagineux déjà prouvés (voir aussi Biofi l 103) sont confortés, notamment pour sécuriser les stocks fourragers. C’est un enjeu pour les éleveurs qui, depuis 2019 et 2020, années compliquées, ont dû réduire leur chargement. Reste à vérifier sur le long terme la pérennité de ces nouvelles prairies. Pour l’éleveur François Roulland, « les essais sont très positifs et méritent d’être poursuivis, d’autant que 2021, année pluvieuse s’il en est, a été favorable même aux plus anciennes prairies. En tout cas, le principe est adopté. Nous avons refait quatre nouvelles parcelles cette année, de 1,20 ha chacune, dont deux sont des prairies permanentes où il y avait beaucoup de plantes inintéressantes après l’impact des années sèches. »
Frédéric Ripoche
> À suivre au Rendez-vous Tech&Bio Elevage en Normandie les 29 et 30 juin prochain Ces essais y seront présentés avec l’itinéraire de semis sous couvert d’automne de la ferme expérimentale de Thorigné-d’Anjou (49).
(1) Programme pour développer la production laitière bio en Normandie démarré en 2010 et initié par Danone et les Prés Rient Bio (Les 2 Vaches). (2) Un Itinéraire a été réalisé à la ferme expérimentale de Trévarez (29) avec une dérobée colza/RGI.