Orge et houblon: adapter les itinéraires techniques

Le 16/12/2022 à 9:29 par La rédaction

Pour répondre aux besoins du marché des bières locales en plein essor, les cultures d'orge et de houblon se répandent partout en France. Pourtant, les aléas climatiques et les terroirs ne sont pas toujours en faveur de ces cultures exigeantes. D'où des itinéraires techniques à affiner.

Auparavant très concentré dans le nord-est de la France, le brassage de la bière a connu un essor en ce début de nouveau millénaire avec les microbrasseries. À la fin des années 1970, le nombre de brasseries était descendu à 23 sur le territoire national. On en dénombre 700 en 2014 et 2 394 en septembre 2022. Si les unités de brassage sont modestes, leur multiplicité fait augmenter la demande en matière première. Pour autant, 80 % des bières sont brassées au nord de la Loire, le climat étant aussi plus favorable aux cultures entrant dans leur composition. Mais de nombreux producteurs expérimentent ailleurs en France.

En Bretagne, l'orge comme céréale principale

À Perros-Guirec, le Verger de Kernivinen est constitué de 5 hectares de pommiers à cidre et 50 ha de céréales. Il accueille sur son site la brasserie KanArFoll qu'il approvisionne en orge. Son deuxième client est la distillerie Warenghem à Lannion. « Je cultive une variété différente pour chacune d'elles, explique le producteur François le Jaouen. La variété Irina est implantée depuis cinq ans pour la brasserie. Elle donne satisfaction au brasseur, et côté culture, c'est une variété de printemps peu sensible aux maladies.

Pour la distillerie, on avait commencé par Planet, une des variétés recherchées par les brasseurs mais nous allons maintenant basculer sur Lauréate, la variété des Écossais. » Dans l'assolement du producteur breton, l'orge est la céréale principale, revenant environ une fois tous les trois ans. Les rotations incluent du blé meunier, un mélange blé fourrager-féverole, du maïs, du colza, du sarrasin, du seigle, de l'épeautre, et un peu de chanvre. Pour la fertilité des sols, des couverts à base de féverole et trèfe entrent aussi en jeu, complétés par du fumier, fourni par des fermes voisines via un échange paille contre fentes de volailles.

Étaler les semis au printemps

Pour s'adapter aux conditions climatiques, François Le Jaouen ne cultive que des céréales de printemps. Ce, pour plusieurs raisons. L'atelier cidricole rend l'activité en automne déjà assez chargée. « De plus, l'hiver étant doux, tout pousse : céréales comme adventices. Cela demande un suivi technique délicat, précise l'agriculteur. De plus, comme l'orge avance bien pendant l'hiver, des froids, même peu importants, peuvent mettre à mal la culture en janvier-février. » Ainsi, en itinéraire de printemps, une fois le semis réalisé, deux passages de herse étrille bien positionnés régulent les adventices. Sous le climat breton, la ferme obtient des rendements entre 30 et 45 quintaux/ha voire 60 q. Or cette année, la sécheresse exceptionnelle a fait chuter les rendements à 22 q. « Ils n'avaient jamais été aussi bas, se désole François Le Jaouen, et je crois qu'il va nous falloir s'adapter à ces aléas climatiques qui vont se reproduire. » Pour limiter les risques, il a décidé d'étaler le semis sur trois dates : en janvier, mars et avril. « Cela va demander une gestion de récolte un peu plus compliquée mais va gommer les aléas climatiques et répartir les risques. » Une fois la récolte faite, tout passe au séchoir pour descendre à 13 % d'humidité afin de sécuriser la transformation.

Au sud, des orges d'hiver

Au sud de la Loire, la problématique de l'orge de brasserie est plus complexe. « Cette espèce, à deux rangs, a une implantation difficile avec des printemps secs et les étés caniculaires, explique Jean Champion, conseiller technique à la chambre d'agriculture de la Drôme. Dans nos régions, ce sont plutôt des orges d'hiver qui sont implantées. » Or les malteurs préfèrent des orges de printemps car les rendements sont meilleurs, et les grains plus gros. Ils germent mieux et sont plus faciles à utiliser en brasserie. Néanmoins le plan de filière signé en 2021 en région Auvergne-Rhône-Alpes vise à relancer la recherche (Lire Biofil 140). « Nous orientons la recherche variétale adaptée à nos zones pédoclimatiques, donc en semis d'automne, poursuit le technicien. Deux axes sont définis : la sélection des orges d'hiver avec une attention sur leur capacité au maltage et au brassage et des variétés classiquement de printemps, semées en automne en misant sur leur résistance aux maladies. » Ainsi trois essais sont menés, testant 26 à 28 variétés semées dont une dizaine de variété de printemps. « En 2022, nous n'avons pas subi de dégât de gel car l'hiver s'est déroulé avec du froid assez régulier, signale Jean Champion. Et cela nous a conduits à des résultats intéressants avec des récoltes supérieures de 10 quintaux pour les variétés de printemps par rapport à celles classiquement d'hiver. » Si ce premier résultat est prometteur, il faut ensuite le valider sur des hivers plus rudes, et surtout vis-à-vis de la jaunisse nanisante de l'orge et pour laquelle aucune sélection n'a été réalisée sur les variétés de printemps. « Comme la transmission se fait par puceron, on peut aussi tester des semis plus tardifs, une fois que les insectes ne sont plus présents », précise l'expérimentateur.

Atteindre les bons taux de protéines

Pour Jean Champion, l’orge brassicole bio est une bonne opportunité pour les agriculteurs de l’Aura, région française leader en nombre de brasseries. La demande en orge bio et local y est importante. De plus, quatre malteries se sont montées pour transformer la céréale (lire Biofil 140). « En bio, c’est une culture relativement facile, qui ne concurrence pas celles à fortes valeurs ajoutées », précise-t-il. Et en cas de déclassement en orge fourragère, la céréale est encore bien valorisée en bio. Ce changement de destination résulte d’une part d’un déficit de calibre, les petits grains passant automatiquement en fourrage, « soit en moyenne 10 à 15 % des cas ». Mais le motif principal de refus en filière brasserie est la teneur en protéine déterminant la capacité à malter. Celle-ci doit se situer entre 9,5 % et 11,5 %. « Pour atteindre ces taux, on positionne l’orge en fin de rotation en deuxième ou troisième paille et on limite la fertilisation, explique Jean Champion. Attention toutefois à ne pas trop la réduire. Cela a été un peu le défaut au début de l’aventure brassicole drômoise avec Malteurs Echos (1). » L’orge, plus précoce, souffre moins des coups de chaud que le blé par exemple. Néanmoins la sécheresse subie depuis l’hiver 2022 impacte les résultats en fonction des types de sol et des possibilités d’irrigation. « Mais il ne faut pas trop miser sur l’arrosage qui ira en priorité sur les blés meuniers et le maïs », souligne le technicien.

Le houblon, l’épice brassicole

Le houblon, dont le berceau national se trouve en Alsace et dans les Flandres, nécessite un sol profond, riche et drainant. La culture a aussi besoin de l'eau afn d'obtenir certains niveaux de production. « L'irrigation est quasiment obligatoire, ou tout du moins, la possibilité d'irriguer doit être facile », souligne Edouard Roussez, producteur de houblon à Hazebrouck dans le Nord. Sur une houblonnière expérimentale, pour un même sol, même variété, avec ou sans irrigation, la diférence se voit au feuillage : d'un côté, celui-ci est bien vert, exubérant et de l'autre, il est plus clair et clairsemé. « L'efcacité de photosynthèse pour la production de cônes est donc moindre », souligne le hou- blonnier. Selon lui, avec une conduite optimisée en bio, on doit pouvoir atteindre 1,2 t/ha de production.

Dans l’Ain, soigner la gestion du sol

À Montracol, la ferme Houblon du Moulin compte un peu moins de 4 ha de houblons bio et un hectare supplémentaire à venir. « C’est une production qui demande de la technicité », précise Fabien Repiquet, installé en 2019. « En 2022, 2,5 ha seulement sont productifs pour des rendements de 550 à 600 kg/ha. Après une remise en question de l’outillage et de l’itinéraire technique, notamment le travail du sol, ça décolle enfin, et ce, malgré une saison chaude compliquée. Mais on est encore loin de l’optimal. » Cette filière en plein essor a encore besoin de références techniques et d’échanges entre producteurs pour que les erreurs de chacun profitent à l’avancée globale. « On se rend compte que de nombreux systèmes récents sont, comme nous, très « verts » avec beaucoup d’enherbement et la culture souffre au démarrage, précise le houblonnier. Les régions historiques, très intensives, ont aussi une expérience récente en bio. » Côté fertilisation, Fabien Repiquet a également fait évoluer ses apports, en ajoutant du compost de déchets verts avec 10 % de fumier bovin sur un sol pourtant déjà bien pourvu en matière organique. « On estime les besoins à 160 unités d’azote », détaille-t-il.

Atténuer la chaleur

« Nous avions fait le choix de ne pas irriguer car la parcelle est à tendance lourde et humide. L'eau est là mais sa circulation doit être gérée, surtout en morte-saison. Cependant, et on l'a vu cette année, il nous faut apprendre à contrer les coups de chaud. » Dans cette optique, Fabien Repiquet voudrait travailler le paillage pour mainte- nir l'humidité et limiter l'enherbement du rang. L'autre piste est d'acclimater ou de sélectionner des variétés qui sauront supporter les pics de chaleur. « Ce qui n'est pas le cas pour les variétés anglaises ou d'Europe du nord adaptées aux conditions humides, souligne le houblonnier. Cela devient plus difcile à gérer au niveau sanitaire. Cette année, j'ai avancé la récolte de dix jours. » Chez d'autres collègues en culture irriguée, il a remarqué des phénomènes de brûlures lors des conditions de chaud et sec avec exposition au vent. Associer des éléments naturels de protection comme des haies coupe-vent serait primordial.

Diversité en protection des cultures

« Je m'inspire beaucoup de ce qui se fait en viticulture et arboriculture, poursuit Fabien Repiquet. Ainsi, cette année, j'ai adapté une poudreuse pour vigne avec laquelle j'ai pu gérer la pression ­ faible ­ des maladies cryptogamiques. Je peux pulvériser des apports foliaires avec des extraits végétaux et je combine avec les traitements plus classiques en bouillie liquide. Nous avons aussi testé du thé de compost oxygéné en foliaire. » Des analyses foliaires sont efectuées pour évaluer l'impact de cette pratique. Au-delà des traitements, en mesure prophylactique, un efeuillage du premier mètre est à efectuer. L'opération est réalisée par brûleur à gaz, ce qui n'est pas le plus adéquat dans le contexte actuel. Elle peut se faire aussi à la main gantée.

Des moutons à la rescousse

Autre choix : en Côte d'Armor, à Brélidy, la houblonnière de Lezerzot a opté pour l'aide de moutons, ici de race Belle-Île. « Cette année, nous avons mis l'ensemble du troupeau ­ 60 mères suitées ­ sur 7 ha dont 2 ha de houblons, précise Antoine Floury, le producteur. Installées après le buttage, les brebis se sont concentrées sur les feuilles de la plante, qu'elles suppriment délicatement ­ en tirant vers le haut ­ sans abîmer les lianes, en un temps record : en cinq jours, tout était fait. » Le houblonnier breton est très satisfait, car la houblonnière est efeuillée entièrement à la mi-juin avec, avantage par rapport à la pratique manuelle, l'inoculum potentiel détruit après le transit intestinal. « De plus, les selles des animaux sont enrichies en potassium qui est l'élément nutritif « feur », et nous produisons des feurs », s'enthousiasme-t-il. Côté alimentation des moutons, la pratique est positive, car les feuilles de houblons sont riches en protéines. « C'est aussi pourquoi, les brebis les ont préférées à la prairie. » : un plus pour le débouché viande de cette ferme diversifée.

Arnaud Furet
(1) Première malterie drômoise, qui a depuis été reprise par La Malterie ardéchoise.