Maîtriser un couvert permanent dans une culture : Graal, une technique prometteuse

Le 01/12/2023 à 9:54 par La rédaction

Reposant sur un concept original ­ la présence d'un couvert de légumineuses pérennes comme plantes de service entre les rangs de la culture de rente ­ le projet Graal continue sur sa lancée. En dépit de nombreux aléas, la technique est séduisante et nécessite encore d'être améliorée.

Régis Hélias. (© Arvalis)

Graal est initié en 2016 par Arvalis, auquel se joint la société loirétaine Eco-Mulch. Cette dernière fournit le porte-outils Gaïa, nécessaire à la mise en œuvre du concept. Attelé à l'arrière d'un tracteur, Gaïa est constitué d'une poutre sur laquelle sont fixés des outils interchangeables selon les besoins (lire Biofil 126). Le point de départ du concept est le semis d'une légumineuse pérenne en rangs espacés de 30 cm, avec montage d'éléments semeurs à dents sur Gaïa et guidage du tracteur par GPS-RTK. « Par rapport à d'autres plantes de service comme le lotier, le trèfle violet, blanc ou le sainfoin, la luzerne est l'espèce privilégiée car elle est moins concurrentielle vis-à-vis de la culture de rente notamment en raison de son caractère non traçant », indique Régis Hélias, ingénieur régional Tarn, Aveyron, Lot chez Arvalis, animateur de la filière bio, et cheville ouvrière du projet.

Alterner luzerne et culture de rente tous les 15 cm

Dans un second temps, la culture d'intérêt est installée entre les rangs de la luzerne, par exemple du blé tendre ou dur ou une autre céréale à paille, toujours avec Gaïa et géolocalisation des rangs. On obtient alternativement, tous les 15 cm, un rang de luzerne, un rang de céréale, un rang de luzerne, etc. À la reprise de végétation au printemps, la luzerne est broyée au moyen de tondeuses inter-rang installées sur le porte-outils (1), et ce, afin de limiter la compétition avec la céréale. Après la récolte de cette dernière, la légumineuse est broyée de nouveau une ou plusieurs fois en plein avant implantation d'une seconde culture, toujours entre les rangs de luzerne. « L'objectif est de maintenir cette légumineuse aussi longtemps que sa végétation reste active. » L'expérimentation démarre en 2016 sur le site d'Isle-surTarn dans le Tarn sur une parcelle de 5 000 m2 en bio, mise à disposition par un agriculteur. Les premiers résultats obtenus sur les cultures de rente ­- blé tendre en 2017 et 2018, blé tendre et dur en 2019 -­ sont encourageants (lire Biofil 126).

Le projet freiné par plusieurs aléas

Depuis ses débuts, le projet connaît de nombreuses vicissitudes. Fin 2019, le site originel doit être abandonné suite à la liquidation judiciaire de l'agriculteur hébergeant l'essai. En 2020, l'épidémie de covid retarde le transport du porte-outils sur le nouveau site de Salvagnac dans le Tarn, conduisant à l'envahissement du blé par la luzerne et l'abandon de l'essai. En 2021, l'implantation de luzerne s'avère un échec pour des raisons agronomiques indépendantes de la technique (plusieurs hypothèses : hydromorphie de la parcelle ou « faim d'azote » liée au précédent sorgho fourrager broyé). 2022 marque le redémarrage des essais, toujours à Salvagnac, mais sur une autre parcelle d'un agriculteur (lire en encadré).

Une technique pas encore aboutie

En dépit des nombreux avantages du concept (lire en encadré), la technique utilisée doit encore être perfectionnée. « La précision de guidage par GPS-RTK, annoncée à 3 cm, n'est pas au rendez-vous, déplore l'ingénieur. On est plutôt à 7 cm d'où un risque majeur de ne pas semer au bon endroit ou encore d'endommager la culture de rente lors des broyages. » Le centrage des éléments semeurs et des tondeuses inter-rangs doit également être amélioré. « Pour centrer et bloquer les outils plus facilement, nos équipes ont installé un vérin hydraulique, de fabrication maison, avec un clapet antiretour, à la place d'un stabilisateur mécanique. »

Peu adapté à la diversification des assolements

De facto, le concept limite le choix cultural aux céréales à paille essentiellement. Les cultures d'été comme le maïs, soja ou tournesol restent difficilement envisageables, en raison de la concurrence exercée par la luzerne mais aussi le mode d'implantation : il n'y a pas d'éléments semeurs mono-graine sur le porte-outils. De plus, le coût de l'achat de ce dernier ­- 120 000 euros avec éléments semeurs, tondeuses inter-rang et trémie frontale -­, sans oublier l'installation du guidage du tracteur par GPS-RTK, restent des freins majeurs. Il semble difficile de compenser le coût de l'amortissement de ces équipements par les économies de carburant et d'intrants induites. Ce, même si l'effet fertilisant de la biomasse de luzerne restituée par les broyages peut remplacer les achats d'engrais organiques.

Manque de variétés adaptées

Enfin, cultiver deux espèces partageant le même espace n'est pas sans poser de questions. « Les variétés de luzerne utilisées ont été sélectionnées dans une approche fourragère et non comme plante de service », regrette Régis Hélias. Une thèse est en cours de réalisation à l'Inrae de Lusignan afin d'identifier les variétés de luzerne aptes à supporter la concurrence et l'ombrage par une autre espèce. « Il faudrait aussi disposer de variétés de luzerne à port érigé, car cela facilite le broyage des inter-rangs. » La question se pose également pour les céréales, dont les variétés disponibles sont peu adaptées au concept. Pour l'heure, même si ce dispositif ne peut pas être préconisé en l'état aux agriculteurs -­ de l'aveu même de Régis Hélias -­, il reste prometteur et fait des émules.

Beaucoup d’émulation

L’ingénieur d’Arvalis a fédéré un petit réseau d’agriculteurs bio passionnés comme lui qui testent le concept sur leurs fermes et échangent des informations sur un groupe WhatsApp. De plus, outre sur le site de Salvagnac, Graal est mis en œuvre sur quatre stations expérimentales d’Arvalis situées dans l’Essonne, le Rhône, la Meuse et la Charente-Maritime, dans le cadre d’un projet Casdar qui court de 2021 à 2025. Nul doute que l’esprit d’émulation autour du projet produira bientôt des résultats probants.

Jean-Martial Poupeau

(1) Les moteurs des tondeuses sont alimentés par une génératrice électrique placée à l’avant du tracteur.