Pour valoriser leur luzerne, à moins d’obtenir un contrat de production de semences, les céréaliers dépourvus d’usines de déshydratation à proximité sont quasiment obligés de la commercialiser en foin à des éleveurs. Un recours qui n’est pas sans poser des problèmes, notamment au niveau de la réalisation des travaux de fenaison.
Pour valoriser pleinement la luzerne, introduite dans sa rotation en 2002, Olivier Prothais, céréalier sur 56 ha à Saires, dans la Vienne, s’est mis lui-même en relation avec cinq éleveurs laitiers bio du Maine-et-Loire et de Loire-Atlantique qu’il approvisionne en foin et enrubannage, vendus entre 125 euros la tonne (en première coupe) et 140 euros, un prix départ-ferme fixé dès le départ, indépendant des conditions de marché. “Comme je ne souhaitais pas investir dans du matériel spécifique et que je suis bien occupé au printemps à biner le maïs et le tournesol, j’ai choisi de déléguer les travaux de fenaison à deux entrepreneurs locaux, équipés de matériel de grande largeur, très performant. Cependant, la période de fenaison est toujours un peu stressante car je dois veiller au bon stade de récolte, coordonner les travaux et assurer leur suivi”, explique Olivier Prothais. Afin de réaliser les travaux luimême, Guy Menon, de Lussan, dans le Gers, a pris des parts dans une Cuma voisine équipée de toute la chaîne de récolte de foin. Il vend sa luzerne en foin et enrubannage à des voisins conventionnels ainsi qu’à des éleveurs laitiers bio du pays Basque, sur la base d’environ 130 euros la tonne départ-ferme.
S’équiper collectivement, c’est aussi le choix de Dominique Collin. “Avec trois autres céréaliers, nous avons investi dans une faucheuse à rouleaux et quatre andaineurs- double de 6,5 m et, pour le pressage, nous louons le matériel d’un entrepreneur. Partis de rien en 2005, nous nous sommes constitués grâce au bouche-à-oreille surtout, une clientèle d’une dizaine d’éleveurs, presque tous conventionnels, à qui nous vendons la luzerne en big-ballers entre 125 euros et 145 euros la tonne départ-ferme”. Stocké sur les exploitations dans des hangars fermés, le foin est enlevé d’octobre à fin mai et expédié par transporteur.
La vente sur pied
François de Wateville, céréalier à Bennwihr, dans le Haut- Rhin, privilégie la vente sur pied. “Je travaille avec trois éleveurs laitiers de la vallée du Kaysersberg, distants d’une demi-heure en tracteur et déjà équipés en matériel de fenaison. Grâce au décalage de précocité entre leurs exploitations de montagne et la mienne qui est dans la plaine d’Alsace, mes collègues se déplacent chez moi avec tout leur matériel pour faire le foin. En une après-midi, les 10 ha de luzerne sont par terre, puis les travaux s’enchaînent, ce qui permet de préserver la qualité du foin. Sitôt conditionnées, les bottes de luzerne sont ramenées sur les fermes en plateau”.
Mathieu Lancry, qui produit 17 ha de luzerne sur les 38 ha de son exploitation de Marcq-en-Ostrevent, dans le Pas-de- Calais, plante les pommes de terre chez un voisin éleveur avec son propre matériel. En échange, ce dernier réalise les foins chez Mathieu Lancry avec son matériel. La luzerne est vendue 100 euros départ-ferme en enrubannage et 130 en foin à des éleveurs de l’Avesnois distants d’environ 80 km avec lesquels Mathieu Lancry a été mis en relation par le Gabnor.
Une rentabilité aléatoire
Selon les points de vue, l’avis des céréaliers sur la rentabilité de la culture de la luzerne est très différent. “Vu le travail nécessaire et les risques météo, l’intérêt économique me paraît moyen”, juge Guy Menon. Le son de cloche est identique chez Dominique Collin : “La marge de la luzerne est très aléatoire, on peut rater une coupe de foin et tomber à 8 tonnes au lieu de 12 ou 13”. “Avec des rendements qui vont de 10 à 14 voire 15 tonnes, je m’y retrouve pleinement malgré le recours à l’entreprise”, estime Olivier Prothais. François de Watteville, qui vend sa luzerne sur la base de 300 euros par ha – un montant qui paraît faible au regard des prix de marché et des rendements obtenus, environ 10 tonnes par ha – est pleinement satisfait. “Au départ, je tenais absolument à introduire de la luzerne pour des raisons agronomiques et la question de sa valorisation passait au second plan. Je pensais d’ailleurs même la broyer ! À présent que je la vends, je la considère plutôt comme une “jachère payée” et cela me convient”. Au-delà des considérations économiques et de l’intérêt agronomique de la luzerne, les céréaliers interrogés se félicitent tous des relations nouées avec les éleveurs, souvent qualifiées de “partenariales”, dont certaines aboutissent à de vraies amitiés.