La production de sucre bio issu de betterave est aujourd'hui une réalité en France. Développée récemment, cette culture fait l'objet de suivis parcellaires et d'expérimentations spécifiques en bio. Le but : identifier les pratiques agronomiques afin d'améliorer les résultats techniques.
En France, la betterave sucrière bio est une filière jeune. Sur le plan technique, les défs à relever sont de plusieurs natures, industrielle mais aussi agronomique. Sur ce deuxième aspect, les différents partenaires réunis au sein du Comité technique régional agriculture bio des Hauts-de-France souhaitent apporter les premières réponses. Côté économique, l'essor de la filière est lié à la demande du marché. Le contexte actuel incite à maîtriser les surfaces.
La maîtrise de l'enherbement
Au même titre que d'autres cultures exigeantes en azote et sensibles à la concurrence des adventices, la betterave sucrière peut trouver une place idéale en début de rotation après une luzerne. Dans les faits, la maîtrise de l'enherbement est prépondérante sur l'apport d'azote fourni par le précédent. La betterave s'adapte aussi à un positionnement plus tardif dans la rotation, à condition que la présence d'adventices soit limitée.
Des variétés disponibles adaptées
Cette production bénéfice d'un régime dérogatoire pour utiliser des variétés conventionnelles non traitées, qui doivent faire l'objet d'une demande de dérogation. Le choix de variétés tolérantes aux maladies est le premier levier à mettre en avant : dans les Hauts-de-France, la présence de la rouille et de l'oïdium est plus marquée au nord et celle de la cercosporiose au sud. Des références variétales établies en parcelles bio sont étudiées. Côté recherche, le retrait des néonicotinoïdes conduit les semenciers à travailler aussi sur la tolérance à la jaunisse. Pour connaître les variétés proposées, les producteurs peuvent se référer à la liste interprofessionnelle établie par l'Institut technique de la betterave et les sucriers.
Fertilisation organique valorisée par les pluies
Concernant l'azote, rappelons que la période de végétation de la betterave correspond aux périodes de forte minéralisation du sol. En 2021, les enquêtes réalisées auprès des producteurs montrent que les apports effectués en végétation suivis d'une pluviométrie significative répondent aux exigences de la culture. Les engrais organiques amènent également du phosphore, de la potasse et des oligoéléments indispensables comme le bore. En 2022, les pluies significatives ne sont arrivées que fin mai-début juin, retardant l'efficience des apports organiques. Réaliser un reliquat azoté reste indispensable pour estimer la disponibilité en azote pour la betterave.
Le témoin « sans apports » donne un rendement de près de 48 t/ha montrant que la betterave profite de la minéralisation des sols en été (particulièrement bonne en 2021). La valorisation des apports est cependant dépendante de la maîtrise de l'enherbement. De plus, le coût des engrais actuels incite à raisonner les apports pour une fertilisation optimisée.
Préparation de sol et date de semis
L'homogénéité et la rapidité de levée sont des facteurs essentiels de réussite, limitant les risques de parasitisme et favorisant le désherbage. Un décalage dans les dates de semis rend possible un faux-semis dont l'efficacité, toutefois, a été limitée ces dernières années par le temps sec du mois d'avril. Attention à ne pas engendrer un desséchement du lit de semences. En Hauts-de-France, la période de semis commence le plus souvent autour de mi-avril. En fonction des conditions météorologiques de l'année, le semis est à réaliser à une profondeur de 2,5 cm maximum. Les semis retardés après la mi-mai entraînent une baisse significative des adventives en culture. Pour autant, les pertes de potentiels observées sont dissuasives.
Technique d'implantation
Plusieurs types de semis sont testés de façon expérimentale depuis quatre ans, en comparaison avec un semis classique (1,3 dose/ha pour un écartement de 45 à 50 cm). À noter la nécessité d'être rigoureux lors de l'implantation : les techniques innovantes basées sur un semis à intervalle régulier doivent, pour certaines d'entre elles, gagner en fiabilité et nécessitent des investissements spécifiques. Elles font l'objet de travaux poursuivis en 2022, avec l'objectif de progresser dans la maîtrise d'itinéraires techniques limitant le recours à la main-d'œuvre.
Bioagresseurs et maladies
Les parcelles de betteraves bio en 2020 ont subi la forte pression des pucerons sur le sud des Hauts-de-France. Idem en 2022. La jaunisse ne les épargne pas non plus, même si elle est quelques fois moins visible. Des stratégies sont testées à base de solutions naturelles. Les résultats ne sont pas actuellement à la hauteur des attentes. La génétique pourrait apporter une réponse à moyen terme. Enfin, certaines maladies du feuillage cercosporiose majoritairement et un peu d'oïdium sont également observées. Les conditions d'intervention et l'efficacité des solutions alternatives à appliquer en végétation doivent être encore précisées. Parmi les solutions homologuées, le cuivre (sous réserve de dérogation) a une efficacité sur cercosporiose et le soufre sur oïdium. Le meilleur levier reste le choix variétal.
Désherbage mécanique, dès que possible
Pour désherber, il est primordial d'intervenir le plus tôt possible ! Cette année, les levées échelonnées des betteraves n'ont pas facilité le désherbage mécanique car plusieurs stades de développement se trouvaient en parcelle. Le désherbage thermique tel que réalisé en cultures légumières de plein champ se développe progressivement (20 % des surfaces enquêtées en 2021). Il offre l'avantage de réduire la concurrence autour de la levée de la betterave sur une période de 10 à 15 jours. Ces deux dernières années, l'efficacité des faux-semis a été limitée par le temps sec et froid. Le désherbage thermique a de ce fait perdu une part de son intérêt. Dernière considération, cette technique est inefficace sur les graminées.
Le passage d'une herse étrille à l'aveugle en post-semis/ prélevée est possible mais reste délicat. Il faut veiller à ne pas travailler trop en profondeur et surveiller l'émergence de l'hypocotyle. Dans les faits, cette pratique est peu mise en œuvre. La herse étrille et la bineuse sont les matériels les plus utilisés lors des premières interventions. Les modèles de herses à câbles offrent des garanties d'un meilleur compromis entre efficacité et sélectivité. Avec ce type d'outil, il est possible d'intervenir au stade 2 feuilles vraies des betteraves. La houe rotative permet d'écroûter des sols battus. Elle peut s'utiliser du stade 2-4 feuilles jusqu'à 10 feuilles de la betterave. Pour garantir la propreté de l'inter-rang, le binage est une étape obligatoire pouvant s'échelonner sur 1, 2 ou 3 passages durant le cycle de la culture. Lors d'un sarclage sans protège-plants au stade jeune de la betterave, il faut adapter la vitesse afin de ne pas recouvrir les plantules de terre.
Désherbage manuel indispensable
Les suivis conduits ces dernières années montrent que le temps consacré au désherbage (mécanique + manuel) est très variable en fonction des techniques de semis et de l'enherbement. Les agriculteurs questionnés lors des enquêtes réalisées par Tereos et les chambres d'agriculture des Hauts-de-France ont passé entre 20 et 200 heures de désherbage manuel par hectare. En moyenne, 50 heures/ha ont été déployées. C'est le temps nécessaire sur le premier passage pour retirer un maximum d'adventices jeunes. Il est important de bien positionner le passage du désherbage manuel. L'idéal est de commencer à partir du mois de mai/ juin, lorsque la betterave ne couvre pas encore le rang et que les adventices sont peu développées. Il faut donc être capable de disposer d'une équipe avec un nombre de personnes suffisant, idéalement sur une décade. La gestion du désherbage sur le rang est primordiale pour assurer un niveau de productivité correcte.
Ecimage en rattrapage
La proportion d'écimage reste identique sur ces dernières campagnes (+/- 50 % des parcelles). En 2020 et 2021, l'utilisation de l'écimage s'est faite sur des parcelles dont le potentiel est déjà entamé par l'enherbement et reste donc une option curative en cas de forte pression adventices (limiter la grenaison). En 2021, les interventions avec l'écimeuse à pneus représentaient 40 % des écimages sur les parcelles enquêtées dans les Hauts-de-France. Dans quelques-unes d'entre elles prises de sec et en présence de chénopodes très développés, l'efficacité de l'écimeuse à pneus se trouve limitée en 2022. Son utilisation doit se faire sur des plantes ligneuses et donc déjà potentiellement en graines. Une meilleure connaissance de l'outil est nécessaire pour mieux positionner son usage en culture.
Une maîtrise technique en progression
L'accompagnement des agriculteurs ces dernières années montre une progression des résultats techniques liée pour partie à une meilleure maîtrise du désherbage. En 2021, il reste une forte variabilité de rendement entre exploitations de moins de 10 t à plus de 80 t/ha. La campagne 2022 sera quant à elle fortement marquée par la sécheresse estivale. L'enjeu est donc de limiter cette variabilité en accompagnant les producteurs dans l'optimisation des choix de conduite technique.
Gilles Salitot - chambre d'agriculture de l'Oise - dans le cadre des travaux du Comité technique régional bio Hauts-de-France (1)
(1) Ont collaboré à la rédaction : Mégane Perche Guillaume (chambre d'agriculture du Nord Pas de Calais), Paul Tauvel (ITB), Patrice Kerckove (Tereos) et Hervé Moriat (Cristal Union).