Lors d’une journée dédiée à la filière lait organisée par Bio Centre en partenariat avec la Chambre d’agriculture du Loir-et-Cher et des opérateurs, les voies de développement du marché ont été scrutées : le défi est d’absorber l’arrivée de nouveaux volumes.
Mobilisant les producteurs et l’ensemble des laiteries de la région Centre, cette journée consacrée à la filière lait bio a soulevé les différents enjeux de ce secteur en plein essor, au niveau de la collecte, de la distribution et de l’image même des produits laitiers. Organisée à la ferme de la Guilbardière, dans le Loir-et-Cher, elle s’est placée au cœur de la problématique. Cette exploitation, menée par Gilles Guellier et Anne Martin, dispose de 64,5 ha et abrite 35 vaches laitières de 4 races différentes – Prim’Holstein, Brune des Alpes, Normande, Montbéliarde –, pour une production annuelle d’environ 198 000 litres de lait. En bio depuis 25 ans, elle maîtrise les techniques d’élevage, notamment en matière d’autonomie alimentaire, et Gilles Guellier transfère volontiers ses connaissances à ses collègues en bio ou en conventionnel. “Varier les races enrichit le lait d’une diversité intéressante de protéines, chacune apportant des caractéristiques différentes”, explique-t-il. L’éleveur vend près de la moitié du volume directement dans un réseau de Grandes et moyennes surfaces, d’épiceries, de restaurants scolaires et d’Amap. Il distribue ainsi 55 000 litres de lait cru et 35 000 litres transformés à la ferme en fromage blanc. Ce mode de vente intéresse les éleveurs bovin lait bio de la région Centre puisque 9 % de la production régionale est vendue en circuits courts, pour une moyenne de 1,4 % toutes productions laitières confondues (lait conventionnel + bio).
Succès des produits laitiers bio
Aujourd’hui, le marché est porteur : en Europe, la consommation de produits laitiers bio enregistre une progression constante. Seule exception, le Royaume-Uni. Outre Manche, les producteurs laitiers bio sont en effet confrontés à un recul des ventes (- 7 % en valeur en 2010) qui s’explique à la fois par la crise économique et par un problème de référencement dans les Grandes et moyennes surfaces (GMS) britanniques. La situation est d’autant plus difficile que 75 % du lait bio anglais est vendu via ce mode de distribution (alors que la part de lait bio écoulé en GMS en France est d’un peu moins de 40 %). Partout ailleurs, la tendance est à la hausse, malgré la crise. Ainsi, 30 % du lait consommé au Danemark est bio, 15 % en Autriche, 10 % en Suède. En France, l’augmentation des ventes de lait liquide bio en GMS est de + 7 % en valeur en 2011. Christophe Baron, président de Biolait, suit de très près l’évolution du marché européen. S’appuyant sur une étude menée par le Credoc, il affirme que “ce qui préoccupe le plus le consommateur, c’est l’environnement. En période de crise, il y a une recherche de sens”. Selon son analyse, “la consommation de proximité est un phénomène qui va se poursuivre et s’amplifier. La conclusion de l’étude du Credoc stipule qu’en réaction à la crise, un tiers des Français déclarent consommer moins pour faire des économies. C’est le modèle même d’hyperconsommation qui pourrait finalement être remis en cause. Il s’agira sans doute d’acheter plus utile, parfois moins mais surtout mieux, en privilégiant par exemple les produits locaux ou écologiques.”
Optimiser la collecte
Actuellement, la filière française se compose de 1 376 producteurs de lait de vaches bio, qui génèrent 275,1 millions de litres de lait bio (soit 1,2 % de la collecte nationale) collectés par 93 établissements répartis sur tout le territoire et transformés dans 129 établissements. Selon Christophe Baron, les nombreuses conversions en 2009 et 2010 font grimper les prévisions : les volumes devraient progresser de 32,4 % au 1er juin 2012 pour une production globale de 401 millions de litres de lait bio. Celle-ci augmenterait de 50,6 % au 1er juin 2013, pour atteindre 456 millions de litres de lait bio.
C’est pourquoi, la cohérence de la filière est essentielle, notamment en terme d’optimisation de la collecte. Sur cet aspect, des progrès sont à faire notamment en région Centre. Le lait de Gilles Guellier, par exemple, est collecté pour moitié en conventionnel (soit 100 000 l), faute de collecteur bio sur son secteur. Certes, la perte financière occasionnée est compensée par le système de mutualisation instauré par Biolait, mais il n’en demeure pas moins que “l’optimisation de la collecte est l’un des impératifs de notre région si l’on veut envisager une progression de la densité de production”, souligne le producteur. Des accords de collecte en région Centre entre Eurial, Biolait etla Laiterie de Saint-Denis-de-l’Hôtel (LSDH) montrent que cet enjeu est pris au sérieux, même s’il reste du chemin à parcourir. La perspective de conversions d’exploitations devrait sans nul doute amener les opérateurs de la filière à trouver des solutions afin de pouvoir répondre à la demande croissante des consommateurs.
L’enjeu de la transmission des fermes bio
La conversion d’élevages laitiers est loin d’être le seul enjeu de la croissance de la production laitière française. “On a beaucoup raisonné en termes de conversions depuis deux ans”, indique Christophe Baron, “n’oublions pas la transmission, la reprise d’exploitations bio. On rentre dans une période où, dans la première génération d’agriculteurs bio, beaucoup sont proches de la retraite. Une des questions que l’on se pose à Biolait, c’est comment réussir à créer le lien entre une génération qui part et celle qui arrive pour faire en sorte que ces exploitations puissent rester en bio et ne pas déstabiliser les circuits de collecte. Il y a là des enjeux qui sont imminents.”
Les liens avec la distribution
La relation producteurs-distributeurs n’est pas toujours sereine, c’est une évidence ! Pourtant, après quelques mois de négociations, un collecteur (Biolait), un transformateur (la Laiteriede Saint-Denis-de-l’Hôtel dans le Loiret) et Système U ont réussi à mettre en place un accord qui unit trois partenaires, signe d’une possible évolution des liens avec la grande distribution. Christophe Baron et Philippe Leseure, directeur LSDH (site de Varennes) se félicitent de cet “accord [qui] s’est fait dans le souci de respect des partenaires et de transparence”. Le résultat ? Une bouteille de lait “collecté et transformé” en France, atout commercial non négligeable en cette période où les consommateurs sont sensibles à la proximité des produits achetés.
Le chantier de la restauration collective
La grande distribution n’est pas le seul chantier qui préoccupe les opérateurs de la filière lait bio. La restauration collective constitue un débouché prometteur à condition de s’y atteler. Certes, l’offre de produits bio dans les cantines est en augmentation régulière : + 1,8 % en 2010 (pour + 0,6 % en 2008 et + 1,3 % en 2009). “Les restaurants collectifs sont un relais de croissance pour les produits laitiers, assure Christophe Baron, il ne faut pas oublier que le yaourt est le plus simple des produits laitiers à introduire dans les repas scolaires.”
Les clés du succès de la filière lait bio pour demain ? En plus de développements internes – diversification des productions, multiplication des circuits de distribution –, il est incontestable que de gros efforts sont à faire en matière de communication. Si le slogan “5 fruits et légumes par jour” a été très bien reçu par les consommateurs français, il n’en est pas de même de la consommation de produits laitiers, “c’est un message qui ne passe pas !” Ce blocage ne se retrouve pas dans d’autres pays européens, comme l’Allemagne ou le Danemark pour ne citer que ces deux pays gros consommateurs de lait.
La Coopérative de Verneuil : cap sur le bio
La coopérative de Verneuil en Indre-et-Loire transforme du lait bio depuis septembre dernier. Un choix fait pour collaborer avec deux producteurs locaux récemment convertis. Grâce à “un procédé d’injection de vapeur directe”, la coopérative transforme le lait bio en “préservant un vrai goût de lait et l’intégrité des sucres et protéines”, précise Bruno Boileau, directeur de la coopérative laitière de la région lochoise. Soucieuse de la qualité du lait, la coopérative a “un service de techniciens qui interviennent sur le terrain et proposent des moyens d’amélioration de la production” à ses producteurs, parmi lesquels la coopérative a la fierté de compter de “très nombreux jeunes agriculteurs âgés de moins de 35 ans !” Un vivier pour la bio !