Dès le début des années 1980, l’exploitation de Jean Bodin s’est tournée vers l’agriculture biologique. Devenue leader français de la volaille de chair labellisée AB, l’entité a développé toute une filière, de la fabrication d’aliment à la transformation des produits carnés. Tout en s’appuyant sur le savoir-faire de ses éleveurs.
Rachetée en 1997 par Gastronome, et rattachée au groupe Terrena, la société commercialise depuis 25 ans poulets, dindes, pintades et canards qui arborent la marque du Picoreur. Assurant 34 % de la production française de volailles de chair bio, la société revendique une organisation en filière, du moulin à l’abattoir.
Si le poulet bio français ne représente qu’1 % de la production nationale de poulets, sa part de marché augmente de 10 % par an, grignotant celles du conventionnel plutôt stable. Cette envolée positive touche directement l’entreprise vendéenne qui enregistre, en 2009, une hausse de ses volumes de 5 % et de son chiffre d’affaires de 10 %.
Le réseau d’éleveurs Val’iance est le fer de lance de cette dynamique. “Sur les 70, bientôt rejoints par une petite dizaine issue des Fermiers d’Ancenis, certains travaillent avec nous depuis plus de 20 ans”, indique Marc Barré, le directeur de la filière bio. 200 bâtiments sont ainsi répartis sur une zone qui comprend l’est de la Vendée, le nord des Deux-Sèvres, le sud du Maine-et-Loire et de la Loire-Atlantique.
Des éleveurs sous contrat
Sur la base de contrats annuels, les aviculteurs s’engagent sur plusieurs points : ils achètent l’aliment de leurs animaux à Bio Nutrition Animale (BNA ; lire en encadré), ainsi que les poussins auprès de couvoirs sélectionnés, et produisent le type d’espèces commandées par Bodin en fonction de ses perspectives de vente. Les prix de l’aliment, des poussins et des volailles reprises sont fixés à l’année. En contrepartie, l’intégralité de la production est achetée par le volailler vendéen. Cette structuration, basée sur le regroupement d’éleveurs, correspond à 85 % de la production française de volailles bio. Des formations, à raison de deux cycles annuels, sont proposées aux éleveurs sous contrat avec Bodin. Ces journées d’informations zootechniques sont parfois animées par Jean-Yves Ferré, vétérinaire avicole impliqué dans la bio depuis 1997. Les éleveurs sont aussi accompagnés par deux techniciens d’élevage qui visitent chaque lot au minimum 2 fois. En cas de problème sanitaire rendant impossible la vente des volatiles, une “caisse catastrophe” – abondée par les éleveurs et l’entreprise Bodin – limite les pertes économiques en remboursant les frais d’élevage. Quoique bien encadrés, ces éleveurs ne sont en aucun cas intégrateurs, la société ne disposant en propre ni de terres ni de bâtiments.
Pour rejoindre le groupe, un éleveur doit investir au minimum 70 000 euros, le prix d’un bâtiment de 400 m2, sachant que la surface autorisée va jusqu’à 1 600 m2.
Lien au sol, mais quel sol ?
Certaines exploitations cultivent des céréales et protéagineux, mais elles ne sont pas majoritaires. À Voultegon, dans les Deux-Sèvres, Jean-Paul Bariet élève des vaches allaitantes (40), des brebis (1 000) et des volailles (800 m2 sur 3 bâtiments) depuis 2002, période à laquelle toutes les productions ont été converties en bio. Sur les 70 hectares que compte la ferme de l’Épinais, 10 hectares de céréales sont autoconsommées. Triticale, pois, vesce répondent ainsi à la demande fourragère des animaux. Mais, éleveur dans l’âme, Jean-Paul Bariet confie que, pour lui, “les cultures sont plus compliquées en bio”. Ce qui ne surprend guère Marc Barré, fin connaisseur de son territoire : “Le gros de nos éleveurs est implanté dans le bocage reconnu pour ses sols pauvres. Naturellement, la culture des céréales s’est développée dans la plaine qui relie Sainte-Hermine à Mervent, notre “Beauce de l’Ouest” car les terres y sont fertiles. Dans ce partage historique et logique de l’espace, il est difficile d’imposer aux éleveurs le métier de cultivateur pour lequel certains ne témoignent parfois aucune sensibilité”. La question du lien au sol est résolue par un approvisionnement régional, notamment via la coopérative agricole vendéenne (Cavac). En dehors de cet aspect, le volailler de Sainte-Hermine s’en tient aux règles du CC-Repab-F, tout en profitant de quelques souplesses que permet le nouveau règlement européen.
Des conditions d’élevage draconiennes
Tout commence avec des poussins âgés de 24 heures et non bio. “Le marché de la volaille bio est trop étroit pour envisager des poussins bio dans toutes les espèces, justifie le directeur de la filière bio, qui défend avant tout la diversité génétique. De plus, à ceux qui utilisent des poussins bio, aucun âge minimal d’abattage n’est imposé !”, s’émeut-il, reprenant l’exemple des Allemands qui proposent, en toute légalité, des poulets de 60 jours. Pour que les petits s’ébrouent en toute sérénité, boivent, mangent et passent au travers d’infections, il faut savoir analyser le moindre signe de désordre. “La régulation de la ventilation, de la chaleur – surtout en phase de démarrage –, la qualité de l’eau, de la litière sont des points capitaux, indique Jean-Philippe Tranchet, l’un des deux techniciens d’élevage, très vigilant à “l’ambiance qui règne dans le bâtiment”.
Consacrant de 1 à 2 h par jour à l’inspection des volatiles, l’éleveur a surtout un rôle de surveillance, la nourriture et l’eau étant distribuées automatiquement. Ouvrir ou fermer les fenêtres, rallumer quelques lampes chauffantes ou encore étoffer le paillage sont parmi les tâches habituelles. Si les pintades évoluent sur de la paille, les dindons, eux, se déplacent sur des copeaux de bois. “Curieux comme tout, les dindons peuvent finir étouffés parce qu’ils ont été attirés par une paille un peu trop reluisante”, témoigne Jean-Paul Bariet. Ou bien une bague brillante, placée sur la patte de l’animal, qui peut entraîner une scène de picquage. “J’ai vu des dindons essayer de l’arracher à un pauvre congénère jusqu’à le tuer”, rapporte l’éleveur. Mais, depuis que l’abattoir travaille exclusivement de la volaille biologique, le baguage n’a plus cours car la traçabilité bio est garantie.
Un suivi journalier
Placardée sur la porte d’entrée de chaque bâtiment, une feuille de suivi informe, jour après jour, des traitements apportés aux animaux, de leur état général. Chaque semaine, une dizaine d’animaux est pesée afin de vérifier le Gain moyen quotidien (GMQ).
Pour tenir les objectifs, l’alimentation est un poste clé. Elle est assurée par Bio Nutrition Animale, maillon stratégique dans le circuit Bodin (lire en encadré). Des céréales, blé, maïs et triticale, ainsi que du soja, des pois et de la féverole pour l’apport en protéines, composent l’essentiel des rations. En complément, des vitamines et des minéraux sont administrés aux volatiles. “En raison de l’interdiction des acides aminés de synthèse, le rendement en volailles bio est inférieur de 5 % à celui des labels”, précise Marc Barré. L’ensemble des volailles reçoit 10 % d’aliment non bio, ce qui permet d’intégrer du gluten de maïs ou des protéines de pomme de terre peu ou pas disponibles en bio mais garantissant de meilleures performances d’élevages. Ce n’est pas le cas du poulet noir car “certains de nos clients ne transigent pas sur le 100 % bio”, confie le directeur général.
Maladies et traitements
Un test de salmonelle, appelé “chiffonnette”, est réalisé 3 semaines avant l’abattage. Il s’agit de repérer, à l’aide d’un tissu passé sur différentes parties du bâtiment, et après analyse en laboratoire, d’éventuelles traces de salmonelle. “En moyenne, nous avons moins d’un cas par an de salmonelle à risque”, rapporte le technicien. Cette pratique, obligatoire dans n’importe quel élevage de poulets, bio et conventionnel, Bodin l’a systématisée à tous les volatiles.
“À l’exception de la dinde, nous restons sur les conditions du CC-Repab-F qui n’autorisait aucun traitement allopathique en volailles de chair. En cas de rouget et de pasteurellose, le cheptel de dindes peut être décimé, alors que nous savons soigner les animaux”, témoigne Marc Barré qui s’en réfère à la notion de bien-être animal.
Toutes les volailles sont vaccinées contre le Newcastle, plus connu sous le nom de peste aviaire, le cahier des charges européen n’interdisant pas les vaccinations. Le risque économique est de taille car, pour un seul cas de Newcastle détecté, c’est l’ensemble des élevages situés à 3 km à la ronde qui est bloqué. Des préparations phytothérapiques sont utilisées pour le vermifugeage, réalisé tous les mois, ainsi que pour lutter contre les parasites. Enfin, la rotation des espèces de volatiles dans un même bâtiment permet de limiter la menace d’infection.
Toutes les volailles ont accès à un espace en plein air. À l’EARL de l’Épinais, les 4 000 poulets noirs à cou nu s’ébattent sur deux hectares d’herbe. à 91 jours – 81 jours pour les poulets blancs et jaunes –, ils quittent la ferme pour l’abattoir de Sainte-Hermine (lire en encadré). Si le vide sanitaire du bâtiment est de 14 jours après sa désinfection, celui du parcours extérieur s’étend sur 8 semaines, conformément à la réglementation européenne. Malgré un piteux état, l’éleveur Bariet n’a pas besoin de resemer : “Pendant la pause, le parcours reprend forme car il est juste piétiné ; rapidement, l’herbe réapparaît.” Avec peu de manutention et un temps raisonnable à s’occuper des volatiles, l’élevage avicole fournit un revenu très intéressant.
Gaëlle Poyade
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BODIN EN QUELQUES CHIFFRES
Chiffre d’affaires : 18,5 M d’euros (fin 2008)
Entreprise : 80 employés
Production : 28 000 poulets ; 1 100 pintades ; 1500 dindes ; 900 canards, 2 400 tonnes de produits finis.
export : 10 %
90 % des produits sont vendus frais et 10 % congelés (magasins spécialisés, GMS, boucheries et grossistes, restauration hors domicile).
De la volaille à toutes les sauces
Découpes de poulet, terrines de volailles aux petits légumes, saucisson sec de canard, jambon de dinde, brochettes ou encore saucisses… la gamme comprend une cinquantaine de produits crus et une trentaine cuits.
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BIO NUTRITION ANIMALE, LE MAILLON STRATEGIQUE
Nerf de la guerre, l’approvisionnement en matières premières, tout comme l’élaboration de formulations adaptées, place Bio Nutrition Animale (BNA) au cœur de la stratégie Bodin. Franck Bodin, le fils de Marcel, qui a fondé l’unité en 1982, est responsable des appros.
Quel est le volume de production ?
En 2009, 20 000 tonnes d’aliments devraient être produites, contre 18 000 l’an passé. Un tonnage relativement minime comparé à d’autres usines car le métier de fabricant d’aliments pour animaux ne s’inscrit, chez nous, que dans une logique de filière. Avec seulement 6 employés, BNA travaille en flux tendu, sans hangar de stockage et délègue la distribution à une société de transport.
Où vous procurez-vous les matières premières ?
En France pour l’essentiel. Nos fournisseurs sont les coopératives Corab, Agralys, Agribio Union, Biograin Anjou, et surtout Cavac, la coopérative céréalière locale, avec laquelle nous avons conclu des contrats avec des prix fixes pour 5 ans. Une toute petite partie du soja est d’origine française. Il s’agit de graines de soja destinées à l’alimentation humaine et déclassées pour des raisons esthétiques car elles sont tachées. Pour le reste, nous travaillons avec un expéditeur de soja bio brésilien.
Comment maîtrisez-vous le risque OGM ?
Cette filière de soja bio, montée à l’étranger il y a 10 ans, nous permet de considérer la question de la cohabitation entre cultures bio et OGM avec beaucoup recul. La réalité nous montre que le niveau de pression peut se gérer car aucun lot n’a jamais été déclassé. Dans les analyses systématiquement réalisées à réception, nous fixons le seuil OGM à 0,1 %. Or, comme la réglementation européenne a statué sur un seuil de 0,9 %, en dessous duquel le produit n’est pas considéré comme OGM, il est peut-être plus compliqué de se procurer des sojas non “contaminés” en Europe.
Quelles matières premières utilisez-vous ?
Blé, maïs, triticale, soja, pois, féverole. Suivant les recettes, on ajoute des additifs (protéine de pommes de terre, minéraux), du paprika, un colorant naturel qui renforce le jaune de l’œuf car nous livrons aussi quelques éleveurs de poules pondeuses bio, situés à proximité.
Nos 30 formules, élaborées par la firme-services Vetagri, se déclinent en farine, granulés et miettes. Elles correspondent aux besoins des poulets, dindes, canards, pintades, de la phase de démarrage à celle de finition. Nous sommes très à l’écoute des remarques et suggestions des éleveurs. Aussi, certaines recettes peuvent-elles évoluer, à condition que la matière première à ajouter soit disponible, et en quantité. Ce n’est pas le cas de la levure de bière, assez difficile à trouver.
Sur quoi portent les contrôles, les vérifications ?
Tous les mois, nous envoyons des échantillons des matières premières et des produits finis à un laboratoire qui recherche la présence d’OGM, de pesticides et de salmonelle. De plus, à l’arrivée des camions, un test visuel ainsi qu’un autre d’humidité sont effectués sur les matières livrées. Des extraits sont mis en sachet et conservés 6 mois, de même que tout type d’aliment produit. Ceci pour répondre à tout besoin de contre-analyse. Les contrôles internes s’ajoutent à ceux de la DGCCRF qui ont lieu, en moyenne, une fois par an, tandis que ceux de l’organisme certificateur s’échelonnent sur l’année.
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