Pour limiter la pénibilité et gagner du temps, choisir entre robot ou monotraite dépend du contexte et des attentes de l’éleveur, toujours avec pâturage. Valérie Brocard, spécialiste des systèmes économes à l’Institut de l’élevage et responsable essais à la ferme expérimentale de Trévarez (29), fait le point.
Biofil : Se poser la question du choix d'un robot ou de la monotraite est-il pertinent ?
Valérie Brocard : L'un et l'autre ne répondent pas forcément aux mêmes attentes. Le robot supprime d'abord la pénibilité physique de la traite manuelle. Pour celles et ceux ayant des problèmes d'épaules par exemple en portant les griffes de traite, et contraints d'arrêter l'activité, le robot est une solution. Quant à la monotraite, elle réduit fortement la pression physique mais ne la supprime pas. Cela peut nécessiter de se faire remplacer par moments ou opter pour du salariat. Les raisons doivent être bien cernées pour faire son choix.
Que dire en matière de gain de temps ?
Si le robot libère de l'astreinte physique, il modifie la répartition des tâches dans la journée, notamment celles concernant le suivi des données ou liées aux alarmes. Donc il permet de se réorganiser autrement sans forcément imposer d'horaires stricts, mais il n'enlève pas une part d'astreinte. Si quelque chose ne va pas, il faudra peut-être intervenir, comme rebrancher une vache manuellement si la traite n'est pas complètement finie. En monotraite, quand la traite est terminée, elle l'est vraiment. Il est possible de se libérer une demi-journée, voire plus par jour.
Les alarmes du robot imposent-elles une veille continue ?
Ça dépend beaucoup de l'éleveur, certains la coupent pour dormir tranquille. Et il y a des heures creuses. En bio, avec 50 vaches, ce n'est pas grave si le robot est stoppé de minuit à 6 heures du matin. Les vaches auront le temps d'y passer dans les 18 heures restantes. En associant robot et pâturage en bio, du fait du déplacement des animaux, on conseille de ne pas dépasser 50 vaches par stalle. Et souvent, on est même un petit peu en dessous.
Quels avantages technicoéconomiques ?
La monotraite implique d'avoir un système économe, herbagé, voire avec un peu de fourrages complémentaires, mais très peu ou pas de concentré. La production est inférieure de 20 % environ, avec des vaches qui mangent autant, donc le lait est plus riche en taux. Mais cela ne contrebalance pas la per te de recette laitière si l'effectif n'est pas augmenté. Pour compenser, il faut s'interroger sur la capacité du système à nourrir et loger plus de vaches. Et si on trait une seule fois par jour, souhaite-t-on le faire un peu plus longtemps avec plus d'animaux ?
Et en robot ?
En période de pâturage jour/nuit, les vaches ont en général une fréquence de traite journalière de 1,6-1,8, le repère étant d'avoir moins de 20 % de vaches à une seule traite en 24 heures. Mais la priorité est de connaître le volume de lait journalier produit par la stalle. Quelle est sa recette, sa marge sur coût alimentaire ? En système bio pâturant avec robot à Trévarez, nous sommes autour de 1 000 L par jour. Le coût de fonctionnement moyen d'un robot en France est de l'ordre de 15 euros /1 000 L, en conventionnel avec des vaches à 8 000-9 000 L. En bio à Trévarez, en produisant presque deux fois moins, ce coût est à moins de 40 euros/1 000 L, ce qui est déjà important. Le système robot et pâturage en bio nous impose aussi d'avoir un système économe.
Quels investissements envisager ?
C'est l'autre point clé après avoir précisé ses attentes. En bio, le robot doit être localisé près de la sortie du bâtiment pour pâturer. Souvent des modifications sont à prévoir, donc maçonnerie, barrières, caillebotis, organisation de circuits des vaches, aire de pré-attente, entrée et sortie, emplacement du tank, etc. Avec les allers-retours des animaux, une aire paillée devra être modifiée en logettes, sinon le nettoyage est très compliqué. Et il y a des consommables, des coûts d'électricité et d'eau plus élevés. Un robot de traite coûte en moyenne trois fois plus cher par litre de lait produit qu'une salle de traite classique.
C'est donc un changement complet ?
Le robot est en principe un investissement pour 12 à 15 ans au moins, avant éventuellement de penser à le renouveler ou pas. Il modifie le système de production et la manière de travailler. La question est de savoir s'il est mieux d'investir dans un matériel avec un coût élevé de maintenance ou du salariat, bien qu'il soit plus difficile de trouver des salariés aujourd'hui.
Et pour la monotraite ?
La monotraite n'impose a priori pas plus d'investissement. Elle peut être mise en place quasiment du jour au lendemain et modulée dans l'année. Par exemple, avec une monotraite l'été parce qu'on est en fin de lactation, pour se libérer du temps, puis deux traites en hiver. Et si demain, on décide de repasser toute l'année à deux traites, c'est possible. La pratique est flexible et réversible, donc le risque est différent. Le choix de compenser la perte de lait par vache en augmentant l'effectif est possible de manière progressive avec son renouvellement. D'autant qu'en monotraite, les vaches se reproduisent très bien.
Qu'en est-il en matière de santé animale ?
En robot ou monotraite, comme dans tous troupeaux, le risque d'avoir des mammites et cellules est toujours là. En monotraite, comme la vidange de la mamelle est moins fréquente, des niveaux cellulaires élevés peuvent persister. Des animaux hauts en cellules au démarrage seront peut-être à réformer. À part ce point sensible, avec une production en baisse et des vaches mangeant autant, le bilan énergétique est meilleur, et elles sont moins enclines à être malades. Ce bilan énergétique toujours positif est très favorable au niveau fertilité.
Des équipements de traite performants ?
Il existe des systèmes de traite limitant au minimum les efforts physiques, avec griffes légères, équipements de trempage adaptés, plancher mobile, entrée et sortie rapide des animaux et un ensemble de données, mais il faudra mettre aussi la main au porte-monnaie. Certains ont testé encore l'exosquelette comme alternative : il nécessite un modèle adapté aux mouvements à soulager et un espace suffisant pour se mouvoir sans encombre.
Races croisées, vêlages groupés ou vaches nourrices sont des pratiques possibles ?
Il n'y a aucun souci, si ce n'est qu'en robot, l'objectif n'est pas forcément d'être en vêlages groupés. On essaie d'avoir un effectif stable au cours de l'année, donc les vêlages sont plutôt étalés ou en deux périodes comme à Trévarez. Si vraiment le choix est de faire des vêlages de printemps, alors c'est la monotraite, en particulier en Holstein si on veut garder cette race. À cette période, elle n'arrivera pas à être pleine avec une ration herbagère trop riche en azote, à moins de la passer en monotraite.
Depuis le casdar Robot de traite et pâturage que vous avez piloté, puis l'étude européenne Autograssmilk, comment le robot s'est-il développé en dix ans ?
Notre ressenti en bio est qu'entre 2016 et 2020, avec des prix du lait très élevés favorisant les conversions, nous avons eu beaucoup de demandes de formation sur ce sujet. Des producteurs passant en bio déjà équipés voulaient savoir comment augmenter le pâturage, et des éleveurs en bio ont investi. Maintenant les demandes sont réduites, la méthode a été bien diffusée et le contexte a changé. Tous systèmes confondus, les fermes équipées représentent peut-être 15-17 % en France. C'est très difficile d'avoir des statistiques fiables, tout le monde ne faisant pas de contrôles annuels certi-traite et les concessionnaires ont plus tendance à communiquer sur des devis que des installations effectives.
Pâturer avec un robot est donc acquis ?
C'est plus compliqué, alors cela nécessite d'être très motivé et d'avoir bien réfléchi son projet pour réussir à pâturer dans la durée. On comprend que cela puisse freiner, et certains sont revenus dans des systèmes différents. D'autres s'y retrouvent bien. Par exemple, un éleveur bio en Ille-et-Vilaine en 100 % pâturage et robots de traite (1) a fait un boviduc. Il maîtrise son temps de travail pour être avec sa famille et s'accorder du temps libre. C'est son objectif dans la vie, mais les gens hyper motivés en robot restent des cas plus exceptionnels. La monotraite, je pense, touche plus d'éleveurs.
Est-ce envisageable de se lancer en monotraite en début de carrière ?
Certains le font. C'est tout à fait possible si derrière les conditions sont adéquates pour mettre en place un système assez pâturant une bonne partie de l'année pour un coût alimentaire faible. Parmi les éleveuses et éleveurs qui s'installent aujourd'hui en monotraite, beaucoup ne sont pas issus du milieu agricole. Ils n'ont pas en tête le modèle classique, sont renseignés et savent que ça fonctionne. Ces pratiques sont tout de même expérimentées depuis 25 ans. Et le gros avantage, c'est la réversibilité.
Propos recueillis par Frédéric Ripoche
(1) Romain Chevrel, Gaec Douillet (35) suivi dans le cadre de Resilience for Dairy (R4D).
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Quels impacts en transformation laitière ?
Robot vs monotraite ? Les deux techniques en modifiant les fréquences de traite peuvent altérer la proportion de caséines/protéines totales et donc impacter la fromageabilité du lait ou certaines caractéristiques des produits. Elles peuvent ne pas être recommandées pour des cas spécifiques. Autre souci possible, en cas de mauvaise maîtrise, l'augmentation des cellules. La monotraite entraîne une augmentation des taux, surtout du TP, favorable à la transformation en fromage, ainsi que du TB, favorable pour faire des glaces ou du beurre. Le Robot de traite peut entraîner plus de lipolyse surtout s'il y a présence d'ensilage d'herbe dans la ration. Seul l'ouest de la France pénalise ce critère (rancissement du beurre). « Quant aux AOP interdisant le robot, c'est souvent plus une question d'image que de changements technologiques. Aucune expérimentation prouve que le fromage issu de robot serait différent de celui de traite classique, toute chose égale par ailleurs », précise Valérie Brocard.