Tenter l'agneau de report ?

Le 23/02/2024 à 9:58 par La rédaction

Pour répondre à l'enjeu d'étaler la production et de vendre aux périodes clés, deux expérimentations ont testé la production d'agneaux de report ­ animaux nés au printemps et commercialisés un an après. Dans un système de conduite économe, les agneaux à l'herbe s'en sortent mieux.

Lors du salon Tech&Bio à Bourg-lès-Valence fin septembre, sur l'atelier ovincaprin, Jean-Marie Mazenc, chargé de mission filière animale à Bio Centre, présente les résultats de ces essais sur la conduite des animaux. Puis Isabelle Legrand, en charge d'études au service qualité des carcasses et des viandes de l'Institut de l'Élevage, détaille les aspects gustatifs. Les expérimentations ont eu lieu entre 2021 et 2022 dans les exploitations de deux lycées agricoles du Centre-Val de Loire, ToursFondettes Agrocampus en Touraine et Agro Campus des 2 Vallées à Montoire dans le Loir-et-Cher. Testé dans le cadre du Casdar Revabio (voir Biofil 141), le report d'agneaux est une pratique d'étalement de la production jugée envisageable en bio. Pour des éleveurs de la zone dite Nord, où habituellement ces animaux naissent au printemps et sont finis au second semestre, il est une piste d'avenir.

Agneaux entiers finis à l'herbe ou au concentré

Deux lots de 30 agneaux mâles entiers, chacun destiné aux reports, sont testés : l'un est mené exclusivement à l'herbe, l'autre rentre à l'automne en bergerie pour y être fini. L'objectif est d'avoir des animaux prêts pour Pâques entre 10 et 12 mois d'âge maximum. Au-delà, ceux-ci ne sont plus catégorisés agneaux et sont payés au prix de la brebis de réforme, à des cotations divisées par plus de deux. Les agneaux naissent entre mars et mai. Afin de ne pas les faire pousser trop vite pendant l'été et le début de l'automne, l'idée est d'avoir une conduite économe, si possible sans concentré ou un minimum. Les agneaux testés sont des mâles entiers, plaçant ces expérimentations dans la situation potentiellement la plus risquée en termes de qualité de viande. Celle-ci, encore peu étudiée, est un enjeu primordial. On soupçonne notamment des viandes au goût plus prononcé, susceptibles d'être moins appréciées. Ce point est évalué dans la seconde partie de l'étude, en s'appuyant sur un lot témoin de 12 agneaux entiers, désaisonnés et finis en bergerie. Celui-ci est conduit en parallèle des deux autres lots dans chacun des lycées. L'objectif est de comparer ces viandes d'agneaux jeunes avec celles des agneaux de report, normalement plus âgés, aux mêmes périodes.

Viser une croissance modérée

Au lycée de Tours-Fondettes, les deux lots de report sont constitués au 5 août 2021, avec des animaux de l'exploitation, de races Vendéen et Île de France. Ils sont menés ensemble jusqu'au 26 novembre, puis séparés. L'un rentre en bergerie, l'autre reste à l'herbe. Les agneaux ont d'abord évolué « sur de vieilles prairies naturelles, à l'herbe bien montée, parfois sèche, pour limiter la croissance et éviter d'avoir des animaux trop lourds à la vente », précise Jean-Marie Mazenc. Pari tenu puisqu'avec un poids moyen de près de 33 kg par agneau au 5 août, le gain n'est que de 3,2 kg au 26 novembre, soit environ 28 g/jour. « En bergerie, la croissance décroche avec très peu de concentré », indique Jean-Marie Mazenc. Ces animaux consomment du foin de prairie de qualité moyenne jusqu'à 12 février. Puis ils sont complémentés vers la fin avec un concentré fermier, à 80 % de triticale et 20 % de féverole, à raison de 50 g jusqu'à 400 g/jour. La consommation moyenne totale de concentré est de 7 kg par agneau. De leur côté, les agneaux d'herbe n'en reçoivent pas du tout. Ils bénéficient d'une bonne prairie temporaire jusqu'au 22 décembre, puis pâturent du trèfle violet jusqu'à mi-janvier, période de plus forte croissance. Ensuite l'herbe est moins riche : des graminées feuillues et épiées, RGAfétuques, des restes de blé semé à l'automne et pour finir sur une prairie temporaire jusqu'à l'abattage. Celui-ci a lieu un mois et demi avant Pâques, dont la date est le 17 avril en 2022.

Isabelle Legrand de l’Institut de l’Élevage et Jean-Marie Mazenc de Bio Centre lors de la restitution faite à Tech&Bio. (© Ripoche F.)

Attention au parasitisme...

Pour les essais à Montoire, le lycée introduit pour l'étude deux tiers d'agneaux Charmois. « On sait que cette race est bien adaptée pour faire du report », souligne Jean-Marie Mazenc. 40 Charmois arrivent sevrés le 13 août, complétés par 20 agneaux du lycée, de race Berrichon du Cher. Les deux lots, herbe et bergerie, sont constitués de deux fois 30 animaux comme prévu. Mais pour des raisons sanitaires, les Charmois sont d'abord isolés. Les deux lots sont conduits ensemble à partir de fin septembre. Même principe qu'à Tours, ils pâturent au départ des prairies « de faibles valeurs alimentaires ». En partant ici d'un poids moyen de 22 kg, celui-ci est de 25,5 kg au 18 novembre, date de séparation des lots. Le gain moyen quotidien est de 37 g/jour en 93 jours. Comme à Tours, les agneaux à l'herbe tirent leur épingle du jeu sur une prairie temporaire de qualité moyenne. Ceux en bergerie reçoivent de l'herbe enrubannée et du foin. Cependant une culture de méteil de triticale-avoine-pois fourrager prévue pour les agneaux d'herbe ne réussit pas : les animaux perdant de la croissance, il est décidé mi-janvier de leur distribuer un complément de deux tiers d'orge et d'un tiers de luzerne déshydratée en finition. Ce mélange est aussi donné en bergerie à partir du 22 décembre. « Si les croissances ont chuté sur le lycée de Montoire, c'est au moins pour partie à cause d'un problème de parasitisme décelé tardivement en cours d'étude », note Jean-Marie Mazenc. Des strongles se sont avérés résistants à un antiparasitaire (1). La consommation de concentré a donc été plus importante qu'à Tours : 17,4 kg par agneau à l'herbe et 37 kg par agneau de bergerie (voir tableau). À Montoire, les abattages ont lieu entre trois semaines et un mois avant Pâques.

Des croissances à l’herbe – courbe verte – qui se démarquent sans ou avec peu de concentré. (© Ripoche F.)

Oui au report à l'herbe, avec vigilance !

« Les croissances à l'herbe sont meilleures, on arrive à des courbes finales correctes pour la commercialisation, précise Jean-Marie Mazenc. Certaines races sont mieux notées notamment les agneaux Charmois. » Les résultats sur les carcasses le confirment. Toutefois, quelle que soit la race, attention à la limite d'âge pour la finition. « Au lycée de Tours, des agneaux ont dépassé les 12 mois ! » Quant à l'utilisation de cou- verts végétaux, leur réussite devient plus aléatoire avec les à-coups climatiques de ces dernières années. « Partir sur un schéma de ce type nécessite de sécuriser avec une bonne prairie à côté. Compter uniquement sur des couverts serait trop risqué. » Le parasitisme est un autre point délicat à ne pas négliger, en particulier pour les agneaux à l'herbe. « Le lycée de Montoire en est convaincu aujourd'hui. Si cet aspect avait été pris en compte plus tôt, ils seraient parvenus à faire des agneaux à l'herbe sans concentré. » En conclusion, produire des agneaux de bonnes qualités commerciales, en termes de poids de carcasse et de finition est possible. Mais à condition d'avoir une conduite assez technique, notamment pour les agneaux à l'herbe. Or, estime Jean-Marie Mazenc, « ce savoir-faire s'est un peu perdu ». Certains éleveurs le font néanmoins, et témoignent de leurs pratiques dans Revabio.

Frédéric Ripoche

(1) Albendazole, médicament antiparasitaire antihelminthique.

 

À visiter : Casdar Revabio sur le site idele.fr/revabio
À Lire : Biofil 141 (Revabio)

 


Bien-être animal : à l'herbe toute !

Avoir des agneaux repoussés à l'herbe plutôt qu'en bergerie ne semble pas avoir d'effets négatifs sur leur bien-être, indique l'étude. Cet aspect a été évalué d'un point de vue comportemental et selon un ensemble d'indicateurs. Leur état d'engraissement est même meilleur. Jean-Marie Mazenc relativise ce point, car hors essais, en pratique donc, rappelle-t-il, des agneaux de bergeries auraient reçu plus de concentrés. Cependant, à l'herbe, outre l'atout du pâturage, les agneaux passent plus de temps couchés à ruminer, expriment moins d'agressivité ou de stéréotypie, c'està-dire des comportements répétitifs, symptomatiques d'ennui par exemple. L'extérieur leur offre un environnement plus diversifié et il est aussi plus facile d'échapper à certains congénères. La période hivernale n'a pas perturbé leur bien-être. L'étude conclut à des résultats intéressants mais à confirmer en termes d'observations sur d'autres sites.


Penser aux aides Pac

« Considérer le report d'agneau dans son système, cela veut dire aussi réfléchir son projet en pensant aux aides Pac, indique Jean-Marie Mazenc. La prime ovine est en effet conditionnée à la productivité par brebis ».