Testant le pâturage et la distribution d'enrubannages en élevages de porcs bio, les acteurs du casdar Valorage, en cours depuis bientôt trois ans, attestent de résultats bénéfiques. L'étude se termine ce printemps.
« Depuis l'évolution de la réglementation bio en 2021, il est obligatoire d'apporter des fourrages frais, secs ou ensilés dans l'alimentation des porcs bio », rappelle Clémence Berne, chargée de mission monogastriques à l'Itab, coordinatrice de cette étude alimentaire dans Valorage 2020-2024 , aux côtés de Florence Maupertuis, référente porc à la chambre d'agriculture des Pays de la Loire. Lors de la journée Porc bio Ifip Itab du 26 novembre dernier, les deux expertes présentent les principaux enseignements de l'étude. « L'enjeu de Valorage est d'étudier comment cette obligation règlementaire peut se convertir en pratiques d'intérêt pour les éleveurs », précise Clémence Berne. Des essais sont menés entre 2022 et 2023 dans différents contextes d'élevages : avec le pâturage des porcs chez l'éleveur Carl Sheard, dans le Maine-et-Loire, ainsi que la distribution d'enrubannage. Celle-ci est également réalisée chez Nicolas Pralong et Jean-Jacques Migeon dans le Cher et Maxime Botuha dans le Morbihan.
L'aliment concentré rationné
En pâturage ou en donnant de l'enrubannage, les essais se déroulent avec des lots de près de trente à cinquante animaux. « Nous avions un lot témoin sans fourrage et un lot essai avec fourrages en bâtiment sur paille », précise Florence Maupertuis, coordinatrice de cette partie. Les lots d'essais sont rationnés sur l'aliment concentré, en fonction des attentes des éleveurs. « Chez Carl Sheard, nous avons travaillé sur la phase de finition, précise-t-elle. Les animaux pesaient entre 55 à 65 kg en début d'essai et nous avons fait le choix ici d'un rationnement assez sévère, 15 % au pâturage par rapport à la ration habituelle, 20 % pour l'essai de distribution d'enrubannage. » Chez Nicolas Pralong et Jean-Jacques Migeon, l'idée est de commencer assez tôt, dès 25-30 kg de poids vif, en entrée d'engraissement. Les restrictions sont moindres : 5 % sur la phase de croissance, 15 % en finition comparé au lot témoin. Chez Maxime Botuha dans le Morbihan, l'essai démarre sur un poids vif intermédiaire autour de 45 kg. « L'objectif de l'éleveur était vraiment de ne pas dégrader ses performances techniques. Nous sommes donc sur un rationnement prudent, progressif et assez faible, -2 % en croissance et -6 % en finition. »
Des porcs charcutiers en pâturage tournant dynamique
Si le pâturage des truies a été testé précédemment dans le cadre du Casdar Secalibio, Valorage s'intéresse à celui des porcs à l'engraissement (1). Cette pratique innovante est expérimentée chez l'éleveur Carl Sheard sur des parcelles en agroforesterie (2). Les essais présentés concernent une prairie multi-espèces semée en avril 2021 sur 2,2 ha sous couvert d'avoine de printemps, pour un coût d'implantation à l'époque de 473 euros/ha. « Le mélange est composé à 30 % de graminées, principalement de la fétuque, mais également de ray grass et fléole, et comprend une grande part de légumineuses, décrit Clémence Berne, en charge de la partie végétale des essais. Ce sont 40 % de luzerne, 15 % de trèfles, violet et blanc, 5 % de lotier, bien qu'en pratique ce dernier n'ait pas poussé, 3 % de chicorée et 3 % de plantain. » Un pâturage tournant dynamique est mis en place sur six paddocks de près de 600 m² chacun, une surface suffisante pour accueillir une trentaine de porcs sur une durée d'une semaine environ. Le but de cette pratique est d'avoir un fourrage toujours appétent et intéressant au niveau nutritionnel, tout en maintenant des sols en état.
L'apport de fourrages est-il appliqué sur le terrain ?
La distribution de fourrages n'est pas appliquée partout dans les élevages bio. Aujourd'hui, pour satisfaire à la réglementation, des éleveurs avancent le fait qu'ils paillent beaucoup les cases, et que cette paille sert de fourrage grossier. Ils peuvent incorporer aussi des produits de type farine de luzerne ou autres fourrages déshydratés dans l'alimentation. Lors de la journée porc bio Ifip-Itab, un éleveur posait la question de l'intérêt d'ajouter ce type de pro- duits dans sa machine à soupe, pour pallier la charge de distribution. Qu'en est-il ? « D'un point de vue réglementaire, c'est possible, il n'y a pas de souci, confirme Florence Maupertuis. Cependant, on perd tout l'intérêt de l'enrichissement du milieu et l'effet bénéfique sur le comportement des porcs avec un matériau manipulable. C'est dommage sachant que cette réglementation apporte justement l'occasion d'avoir un effet positif sur le bien-être animal et le comportement des porcs. »
Préférence nette pour les légumineuses
Le choix du pâturage tournant, mené entre avril et août, s'avère judicieux. Chaque semaine, les porcs changent de parcelle en fonction de la hauteur d'herbe. « Cette gestion permet vraiment de maintenir les prairies en état, souligne Clémence Berne. Cela implique toutefois un suivi rigoureux et des interventions régulières, notamment pour gérer les couverts. » Car les porcs ont une nette préférence pour les légumineuses, la chicorée et le plantain, par rapport aux graminées moins consommées. Et ces dernières, si elles sont à un stade avancé, donc plus fibreuses, intéressent encore moins les cochons, avec pour effet des refus importants. « Il est nécessaire de broyer et récolter avant montaison et épiaison, ce qui en outre donne du fourrage valorisable en enrubannage notamment », précise l'experte. Malgré tout, cette sélection préférentielle des porcs pour les espèces appétentes a fait évoluer la prairie vers une part de graminées particulièrement importante et beaucoup moins riche en espèces diversifiées comme la luzerne, la chicorée ou le plantain. L'éleveur, qui a intégré le pâturage dans son système, prévoit cette année d'implanter de nouveaux couverts mieux adaptés. « On avance par l'expérience », avoue Clémence Berne.
Enrubannage : ticket gagnant pour les plus humides
Dans les trois élevages, trois enrubannages sont testés : méteil d'avoine, triticale, pois, ray grass et trèfles chez Carl Sheard, luzerne chez les Pralong, trèfles blanc géant, violet, ray-grass et fétuque chez Maxime Botuha. « La composition du fourrage impacte l'appétence et la digestibilité », signale Clémence Berne. Des différences relevées sur les taux de matière sèche (MS), de 40 % à 70 %, le montrent. Si ces fourrages sont bien des enrubannages, le plus humide tirerait vers l'ensilage, le plus sec vers le foin, le troisième se situe dans la moyenne conforme des 50 % MS recherchée habituellement. « Cela joue énormément sur le comportement des porcs et les résultats, confirme Florence Maupertuis. Chez Carl Sheard, où les fourrages étaient les plus humides, plutôt 40 % MS, la quantité distribuée et utilisée chaque jour par les porcs est la plus élevée, plus que chez Maxime Botuha où l'enrubannage était plus sec. Ce n'est pas étonnant, en faisant le parallèle avec un aliment concentré, apporté en machine à soupe, beaucoup plus appétent qu'en granulés à sec. »
Casdar Valorage : 3 actions
S'adapter aux spécificités du porc
Une meilleure ingestion des fourrages les plus humides ne présage pas forcément d'une meilleure valorisation, en tout cas à ce stade de l'étude, les valeurs alimentaires des fourrages restant à préciser. Ce constat augure tout de même quelques pistes : par exemple, réserver aux porcs les premières coupes, en récoltant des fourrages plus tendres et plus humides. « Pour s'adapter aux spécificités du porc, l'idée est d'avoir des espèces assez jeunes, donc récoltées vraiment précocement, une gestion différente de ce qu'on fait dans l'idéal en ruminant avec de l'enrubannage », explique Clémence Berne. L'humidité du fourrage n'est pas le seul facteur à retenir. Les différents modes de distribution testés en râteliers montrent aussi que des fourrages délivrés chaque jour, en petite quantité et donc plus frais, sont mieux appréciés qu'une botte posée pour la semaine ou sur dix jours, comme cela a été testé. Mais finalement, le temps d'astreinte est aussi plus long dans le premier cas : cela revient à dix minutes par jour contre trente minutes une fois par semaine pour apporter des bottes entières.
Bien-être animal, coûts en baisse, taux de muscle en hausse
Le premier enseignement de l'étude est un effet « flagrant » sur le bien-être animal. « Les porcs sont très calmes, malgré des rationnements parfois assez importants, alors qu'on aurait pu s'attendre à des comportements d'agressivité et de compétition accrue. Or pas du tout, souligne Florence Maupertuis. Nous avons vraiment l'effet d'enrichissement du milieu grâce à la distribution de fourrages et le pâturage. » L'autre résultat commun aux différents essais est une économie d'aliment concentré avec le rationnement, améliorant le coût alimentaire, hors fourrages. De ce fait, « les carcasses sont aussi moins grasses et assez logiquement, nous avons une amélioration du taux de muscles, le TMP, donc du prix payé. » Chez Carl Sheard, l'attractivité forte du fourrage enrubanné a finalement assez bien compensé, au point que les 20 % de restriction d'aliment fini pourraient être relevés, assure Florence Maupertuis. Un point important pour l'éleveur qui achète la totalité de son aliment et mise sur ses fourrages pour faire des économies.
Pourquoi le choix de l'enrubannage dans les essais ?
L'ensilage, entre 30 et 40 % de MS, serait idéal dans le sens où plus le fourrage est humide, plus il est appétent pour les porcs. Mais l'enrubannage, en théorie autour de 50 % de MS, a été choisi comme meilleur compromis en considérant la facilité de manutention. En revanche, le foin a été écarté, sec et moins appétent. « Les données des analyses nutritionnelles mettent par ailleurs en avant sa mauvaise valorisation par les monogastriques, porcs et volailles, avec une digestibilité faible de l'énergie, très faible des protéines », précise Clémence Berne.
Des gains à nuancer selon les contextes
Les performances initiales de chaque élevage, soit avant l'essai, influent aussi sur les résultats. Sur l'essai pâturage, l'économie d'aliment est de 35 à 40 kg par porc sorti. Le gain de TMP considérable se situe autour de 2,4. « Chez Carl, cela a été plus facile de l'améliorer, car au départ, ses porcs issus d'une race locale, sont plus gras », avoue Florence Maupertuis. L'experte précise que pour son essai d'enrubannage, ce taux sera peut-être moins élevé, les fourrages ayant assez largement compensé l'aliment concentré sans dégrader la croissance. Cette donnée-là reste encore à extraire. En effet, si les animaux sont finis dans des conditions normales, leur départ a dû être retardé d'un mois, compte tenu du contexte du marché du porc bio au moment de l'essai. Chez Maxime Botuha, en enrubannage, au vu du moindre rationnement, l'économie d'aliment concentré est de 11 à 14 kg par porc sorti. Elle serait plus faible chez les Pralong. « Ici les éleveurs ont beau avoir réduit l'aliment de 15 % en engraissement, l'âge d'abattage a été plus tardif, d'une vingtaine de jours, les cochons ayant poussé moins vite, donc il n'y a pas vraiment cet effet d'économie d'aliment », précise Florence Maupertuis. En revanche, dans ces deux élevages où le niveau de TMP initial est déjà bon, de 60 %, les essais permettent de gagner 1 à 1,5 point de plus, « ce qui est déjà énorme », estime l'expérimentatrice.
Apports de fourrages et rationnement : viser plutôt la finition
Des différences s'observent sur la vitesse de croissance selon, encore une fois, l'intensité du rationnement alimentaire, mais également l'âge des animaux recevant les fourrages. « Il ne faut pas s'attendre à ce que ces apports compensent totalement la restriction alimentaire. Plus on décide d'économiser de l'aliment concentré, plus on doit accepter cet impact sur la vitesse de croissance », affirme Florence Maupertuis. Le rationnement doit être adapté aux objectifs de gain moyen quotidien de l'éleveur. « On l'a vu chez Maxime, son choix était très clair, il ne voulait pas pénaliser ses performances. Carl, à l'inverse, était prêt à accepter une durée d'engraissement plus longue avec l'objectif d'économiser de l'aliment concentré. » Et l'experte d'insister sur l'importance de l'âge des animaux. « La capacité des porcs à valoriser des fourrages augmente au fur et à mesure de leur croissance. De ce fait, il semble assez peu judicieux de démarrer cet apport en rationnant des animaux dès le stade croissance, car ils pourront très peu en tirer profit. L'apport de fourrages sera mieux valorisé, plus efficace, en ciblant des porcs plus lourds, plus âgés, donc plutôt en phase de finition », conseille-t-elle.
Objectifs en porc bio
De nouveaux savoir-faire en vue...
Pour les chargées d'expérimentation de Valorage, compte tenu du panel d'élevages assez varié en essais, « l'apport de fourrages grossiers aux porcs charcutiers est une pratique qui semble accessible à un grand nombre d'éleveurs. » Avec deux conditions : la première, comme le précise Clémence Berne, est d'avoir des fourrages enrubannés de bonne qualité : « Ce mode de conservation par voie anaérobie sans oxygène doit être bien effectué, en évitant les trous dans les bottes, source de moisissures, altérant la qualité et l'appétence du produit. » Selon les situations, il peut être nécessaire d'acquérir de nouveaux savoir-faire autour de la conduite des cultures jusqu'à la distribution des fourrages. « Se faire la main au départ en achetant quelques bottes » est une suggestion avancée, facile à mettre en œuvre. Tout le monde devrait pouvoir l'envisager en affourageant par les courettes. Le pâturage, lui, implique d'avoir un parcellaire adéquat à proximité des bâtiments. L'autre condition est d'adapter les rationnements alimentaires aux objectifs de performances. « Il est illusoire de compenser en totalité l'aliment concentré par des fourrages, même de bonne qualité ! », rappelle bien Florence Maupertuis.
(Sources : conférence bio IBB Space 2023. Mélanie Goujon (CA Pays-de-la-Loire), coordinatrice Valorage).
Données économiques à venir et perspectives
L'analyse des données se poursuit, notamment sur l'aspect de la valeur alimentaire des fourrages en considérant les nouveaux éclairages de l'Inrae (Biofil y reviendra) également sur le temps de travail et le coût de cette stratégie. Si l'aspect race n'a pas fait l'objet d'un regard spécifique par rapport à la valorisation des fourrages, de futurs projets s'y intéresseront peut-être, de même que l'évaluation des viandes issues de telles pratiques. Valorage se termine en juin. Les résultats complets de ces travaux seront diffusés sous forme de différents livrables, fiches de synthèse et vidéos. L'objectif est d'avoir une analyse multi-critères de ces choix sous l'angle à la fois économique, sociétal et environnemental. Certes, si la période n'est pas opportune aux investissements pour les éleveurs de porcs bio, au moins cette étude montre-t-elle des avantages substantiels, en cohérence avec la bio, des éléments de réflexions pour préparer demain.
Frédéric Ripoche
(1) Ok Net Ecofeed (2018-2021), projet européen avait également réalisé des tests.
(2) Essai lié aussi à Agromix (2020-2024) : agromixproject.eu