Comment pérenniser des systèmes laitiers bio vertueux, viables et vivables ? Quelles sont les orientations porteuses de valeur auprès des consommateurs ? Coordonné par l’Institut de l’Élevage, Basylic est un nouveau projet casdar qui vise à proposer des pistes d’adaptation.
Basylic signifie « Bâtir et consolider les systèmes bovins lait biologique de demain par la co-construction ». Lancé il y a trois ans, ce projet de recherche obtient, en janvier 2024, un financement casdar de 498 000 euros pour démarrer. « À l’époque, on pressentait des questions plus structurelles, liées au positionnement des produits laitiers bio, face à une multitude de marques, démarches ou allégations non bio, dans laquelle le logo bio perdait en visibilité », résume Benoit Rubin, chef du service économie de l’exploitation à l’Institut de l’Élevage, coordinateur de l’étude, menée avec de nombreux partenaires (voir encadré). Puis la situation de crise actuelle est arrivée, inflation, baisse de consommation. Pourtant des produits conventionnels, parfois plus chers, emportent l’adhésion du consommateur et les produits laitiers bio en pâtissent, mais toutes les familles ne sont pas touchées avec la même intensité. Alors quels sont les déterminants dans l’acte d’achat, quelles sont les attentes des consommateurs sur ces produits et sur les modes d’élevages ? Est-ce une question d’ajustements ou de changements plus profonds ? Comment un produit agricole se positionne par rapport à la consommation familiale et hors foyer ? « Nous vivons une mutation de consommation, estime Benoit Rubin. Les producteurs bio y sont confrontés, avec leurs propres contraintes, travail, changement climatique, questions techniques, saisonnalité de la production. Comment gérer cette équation entre débouchés, attentes consommateurs et un équilibre à trouver dans l’exploitation ? C’est ce que nous cherchons à faire. » Basylic est défini en quatre axes de recherche pour essayer d’y parvenir.
Axe 1 : analyse des attentes des consommateurs en interaction avec les éleveurs
Des enquêtes de consommateurs, par le biais de « focus groups », mettront en évidence leurs attentes et comment ils perçoivent la bio, complétées d’enquêtes quantitatives. Ce regard sera présenté à des groupes d’éleveurs pour y réfléchir. « Qu’a-t-on déjà dans nos élevages ? Que met-on en avant ou pas assez ? Que peut-on améliorer, changer ou modifier ? », détaille Benoit Rubin. Si la plupart des différenciations sont liées à l’amont, la production, il s’agit d’identifier des allégations qui font sens pour les consommateurs et comment, si ce n’est pas déjà le cas, les intégrer dans un projet d’exploitation. L’objectif est bien d’avoir de leur part un consentement plus important à acheter des produits laitiers bio. D’autre part, des enquêtes seront menées auprès d’acteurs et groupes laitiers sur des questions de saisonnalité de la production et de rythme de traite. « On sent de vraies tensions sur ces questions, précise Benoit Rubin. Sur les vêlages groupés ou la monotraite par exemple, des éleveurs y voient du sens dans leur fonctionnement. Pour l’aval, cela peut contraindre la qualité des produits et l’organisation des filières. »
Les partenaires du projet
Institut de l’Élevage (Idele), Itab, chambre régionale d’agriculture (Bretagne-Crab, Pays de la Loire-Cra PDL, Normandie- Cran), chambre d’agriculture de l’Aveyron (CA 12), France Conseil Élevage, Frab Bretagne, OP Lait bio Seine et Loire, Agrobio 35, Ferme expérimentale de Trévarez, exploitation agricole du lycée agricole du Pays de Bray (Brémontier- Merval), Inrae (UMR Agir) et École nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole (ENSFEA) (31), Agence Bio, Agrial, Biolait, Association des producteurs de lait Bel Ouest (APBO), des GIEE : Lait Bio Bas Carbone (50), Inventons notre système herbager biologique pour demain (29), Résagri (56), des groupes d’éleveurs (49, 12).
Cellule de coordination : les actions du projet sont animées par Alice Berchoux, Christine Goscianski et Benoît Rubin (Idele), Caroline Tostain (Cran), Claire Caraes (Crab), Niels Bize (Frab) et Soizick Rouger (Itab).
Axe 2 : co-construire des systèmes bio d’avenir
Après avoir réalisé un panorama de la diversité des fermes laitières bio pour caractériser les adaptabilités possibles dans différents systèmes, l’objectif est d’élaborer avec les éleveuses et les éleveurs des « stratégies d’adaptation pour rendre les systèmes d’élevages laitiers bio plus vertueux ». Et ce, en fonction de leurs attentes, de celles de la société et des filières. Une douzaine de collectifs d’agriculteurs dans diff érentes régions y prennent part pour traduire ces stratégies en pratiques « et repérer les besoins de références ». La mise en lumière de « systèmes innovants » permettra d’élargir les réflexions. « L’idée est de générer des évolutions, des allégations réelles, sincères et sérieuses, mais aussi de la marge, rappelle Benoit Rubin. C’est intégrer cette dimension marché d’une manière réaliste, en faisant la balance coût-bénéfice quand on engage des modifications. Il ne s’agirait pas d’avoir une conduite d’animaux hyper-coûteuse qui n’apporte ni marge ni résultat. »
Axe 3 : tests de solutions techniques d’élevage pour les systèmes bio de demain
L’objectif est de pouvoir reproduire les différents leviers d’adaptation dans divers contextes pédoclimatiques, qu’il s’agisse de références existantes ou à créer, à partir des besoins exprimés. Acquérir de nouvelles références pour les élevages bovins lait bio devra contribuer au processus d’innovation. « Nous faisons l’hypothèse de la nécessité de faire évoluer les systèmes, évoque Benoit Rubin. Des changements techniques dans l’exploitation seront questionnés, je pense par exemple à l’élevage des veaux ou à la conduite de la surface fourragère. » Des expérimentations vont être menées sur deux sites bio, la ferme expérimentale de Trévarez dans le Finistère et l’exploitation agricole du lycée du Pays de Bray à Brémontier-Merval, en Seine-Maritime, qui transforme notamment une partie de son lait en fromage.
Axe 4 : valorisation et transfert
« Nous produirons des livrables tout au long du projet », signale Benoit Rubin. Outre la création d’un site internet dédié et des plaquettes de présentation, podcasts et journées de restitutions, vers les lycées, en interaction avec les producteurs, devraient ponctuer l’étude. Il y aura aussi un retour vers les consommateurs et la création d’outils pour communiquer vers eux. Ce projet s’inscrit dans la durée. « Nous ne sommes pas là pour résoudre des problèmes de court terme de la bio, notre pas de temps est de deux à six ans », prévient l’expert, en précisant que l’Institut de l’Élevage animera une conférence au salon La Terre est notre métier à l’automne prochain. Celle-ci n’est a priori pas présentée sous le sceau du projet, mais se situe dans l’esprit recherché. Le thème « Quand la fi lière bio trouve son marché », sera alimenté par trois exemples réussis : un producteur de lait bio en vente directe, un transformateur en ultra-frais et un Conseil régional avec un opérateur de restauration scolaire. « Parce qu’il y a des choses qui se passent bien, l’idée est de mettre en avant des témoignages et des réflexions inspirantes », conclut Benoit Rubin. À suivre…
Frédéric Ripoche
Les sites d’expérimentation
Exploitation agricole du lycée agricole du Pays de Bray (Seine-Maritime)
• 2,5 UTH
• 117 ha de SAU dont 70 ha de prairies permanentes
• 115 vaches laitières
• Production : 4 300 L/VL ; TB : 42 ; TP : 35
• 80 kg/VL/an de concentrés fermiers
• Surface en agroforesterie et vergers pâturés
• 85 % du lait transformé en AOP Neufchâtel à la ferme
• Vaches nourrices
Ferme expérimentale (atelier bio) de Trévarez (Finistère)
• 1,5 UTH
• 85 ha de SAU
• 50 vaches laitières croisées
• Production : 4 000 L/VL ; TB : 48 ; TP : 34
• Croisement laitier trois voies et croisement viande
• Système 100 % pâturage 7 mois de l’année sans concentrés
• Vêlage 24 mois
• Robot de traite mobile
• Autonomie alimentaire 100 % rotation (prairie - maïs - méteil grain)