Pâturer plus et mieux en optimisant la qualité et la quantité d’herbe rendue disponible par la prairie est l’objectif du pâturage tournant dynamique. Carole Mérienne, technicienne (1), est spécialiste de cette technique qu’elle aborde en formation à la chambre d’agriculture de Haute-Garonne. Interview.
Biofil : Quels sont les objectifs du pâturage tournant dynamique ?
(©Chambre d'agriculture de Haute-Garonne)
Carole Mérienne : C’est mettre en adéquation la part d’herbe pâturée avec le besoin animal, augmenter la quantité d’herbe par hectare, le rendement de la prairie. Il s’agit de produire du lait ou de la viande en fonction de la qualité d’herbe pâturée. Le pâturage dure entre une demi-journée et jusqu’à trois jours grand maximum sur des surfaces réduites. Le but est de limiter les zones de refus, en favorisant une vie du sol fonctionnelle. La rotation minimum sur ces parcs est de 21 jours sur les quatre mois de pâturage intense au printemps. Ensuite, les temps de repos des parcelles sont plus longs, de 40, 70, 90 jours selon les périodes. Pour le reste du troupeau, on met en place un pâturage tournant, mais avec une dynamique moins importante en raison de besoins réduits, et pour éviter des problèmes métaboliques.
Cette méthode est-elle accessible à tous ?
Oui, elle est facile d’accès. Elle table surtout sur l’observation de la pousse de l’herbe et du comportement animal au pâturage. Mais l’éleveur doit absolument réfléchir aux périodes d’affouragement des animaux en fourrages secs, ensilage ou enrubannage et voir dans quel cadre mettre en place ce pâturage. Pourquoi augmenter le rendement de ses prairies ? Est-ce pour diminuer l’affouragement ou pour faire face au manque d’herbe à pâturer à certaines périodes ? A-t-il un objectif de transition de fourrages ensilés vers du sec avec le pâturage ? Nous abordons ces aspects en formation. Puis avec l’éleveur, nous adaptons la Carole Mérienne. pratique à son système fourrager et à la vie sociale de sa ferme. En élevage laitier, c’est évidemment plus simple d’avoir son parcellaire autour du bâtiment.
Comment définir la mise en place ?
La dimension des parcs ou paddocks à pâturer est définie en fonction de la proportion d’herbe nécessaire chaque jour aux animaux. Selon leur poids, un coefficient est attribué pour savoir à peu près quelle quantité est pâturée en 24 heures en ration herbagère complète. Ce peut être entre 4 et 20 kg de matière sèche (MS) selon l’âge et la race. La première année, un rendement annuel à la parcelle peut être estimé pour découper les parcs, en tenant compte aussi du foin produit et des quantités données à l’auge. Attention sur ce point : avec 10 kg de MS d’herbe ensilée par exemple, il ne resterait pas grand-chose à ingérer au pâturage. Dans ce cas, l’économie ne serait pas assez importante pour être un succès. Et bien sûr, distribuer de l’ensilage de maïs avant d’envoyer les animaux pâturer serait improductif.
Comment pâturer plus ?
Il faut une qualité herbagère suffisante pour assurer la production laitière. Et c’est parfois un problème. D’où l’intérêt d’une formation avant de se lancer. Nous abordons le fonctionnement du végétal, la connaissance des espèces et variétés fourragères, de la pousse et à quel moment la qualité d’herbe est bonne. Sur les prairies permanentes, en fonction de leur diversité, on sait aujourd’hui avec l’Inrae quelle est la meilleure période pour les pâturer. Nous aidons les éleveurs dans leurs réflexions sur l’implantation de prairies temporaires adaptées à leurs objectifs, sur les points d’eau et les découpages du parcellaire par rapport au comportement animal et la situation de l’exploitation.
Quels sont les investissements ?
Pour un projet complet, avec matériel de clôture, redécoupage du parcellaire, piquets et fils, couloirs d’accès des vaches et chemin stabilisé, système d’abreuvement avec bac à eau et tuyaux mis en place, on compte autour de 1 000 €/ha, sachant que les prix sont en hausse. La mise en place du chemin est le poste le plus coûteux. Mais ici, la plupart des éleveurs que nous avons accompagnés ont peu investi sur ce point, étant situés sur des gravières ou des limons avec grep à 10 cm. Dans le cas d’un redécoupage sans clôture de contour avec couloir d’accès aux paddocks, piquets en fibre pour commencer, en bois aux portes d’accès et aux angles pour bien tendre les fils, 100-120 €/ha suffisent pour avoir un système pratique et efficace, allant jusqu’à 150 euros avec un type d’abreuvement simple, soit un seul bac à eau déplaçable, de 1 000 ou 2 000 litres.
Quels sont les points clés de la réussite ?
Les animaux rentrent dans la parcelle à une certaine hauteur d’herbe. Ce peut être à 10, 15 ou 20 cm, en fonction des différentes variétés et espèces présentes dans la prairie. On parle aussi de stade trois feuilles pleines en système ray-grass, mais ce n’est pas le même nombre en dactyle ou fétuque. Ensuite, les animaux sont sortis avant que la gaine des plantes soit attaquée. Surpâturer signifierait que l’agriculteur manque d’herbe. C’est à éviter absolument, car cela implique une baisse du rendement fourrager, donc de production laitière, qu’il faudra compenser à l’auge avec un coût plus élevé. Mais dans notre système, on a rarement du surpâturage. Ce qui bloque plus souvent, c’est du sous-pâturage et au fur et à mesure des années, l’éleveur est obligé de rediviser ses parcs parce qu’il a trop d’herbe à l’hectare aux périodes de pousse.
Abreuvoir : le plus rapproché possible
Les mouvements de troupeau sont limités pour ne pas perturber l’ambiance et donc le pâturage. En principe, l’abreuvement suit le pâturage, via la mise en place d’un réseau de tuyaux avec connexions à un abreuvoir déplaçable par paddock. Des raccords inox peuvent s’avérer pertinents face au risque de gel. À chaque contexte sa solution. « Un bâtiment d’élevage par exemple peut être un point d’eau fixe, s’il se situe au centre du pâturage, tant que la distance à parcourir est courte. Au-delà de 150 m, c’est compliqué », estime Carole Mérienne.
En Bretagne : des nouveautés à lire !
- « Produire de l’herbe biologique en Bretagne » du réseau Gab-Frab. Le guide aborde 6 parties : implanter une prairie bio ; parcellaire bien organisé - pâturage assuré ; gérer ses prairies en fonction du contexte de la ferme ; récolter et stocker un fourrage de qualité ; la prairie, un allié pour son environnement de production ; l’herbe : aliment économe par excellence. Avec 21 témoignages.
agrobio-bretagne.org - « L’aménagement du parcellaire, des apports techniques & des témoignages pour faciliter le pâturage », guide de la chambre d’agriculture de Bretagne réalisé dans le cadre de Cap Protéines. Comment valoriser et augmenter l’accessibilité, l’organisation du pâturage, le découpage parcellaire ou encore le paddock idéal figurent parmi les thèmes abordés. Témoignage d’un producteur.
bretagne.synagri.com/synagri/fourrage-et-paturage
Pourquoi cela ?
C’est dû au fait de ne pas pâturer les gaines des plantes. La prairie a le temps de se régénérer, des talles sont produites au printemps et à l’automne. L’herbe de la parcelle se densifie, et son rendement augmente. Le changement est visible surtout la troisième année. Le respect de périodes de repos de l’herbe, au moins 90 jours en hiver, explique également cette pousse. Une parcelle pâturée au 1er décembre peut l’être à nouveau au 1er mars, sans exclure le pâturage hivernal grâce à la rotation des parcs. Le pâturage démarre en principe en février, selon les sommes de température à 250 degrés jour, à partir du 1er jour du mois. Avec le changement climatique, l’été, il faut aussi laisser le temps à la prairie de repousser correctement. Aujourd’hui dans le Sud-Ouest, en Haute-Garonne, on a entre 70 et 90 jours sans pouvoir pâturer.
Quelles espèces privilégier ?
Des luzernes, lotiers, plantains, fétuques ou dactyles s’adaptent bien, la chicorée aussi. Des éleveurs tentent de faire pâturer bromes ou sainfoin. Ça fonctionne, néanmoins les parcs sont abîmés plus vite. Des prairies 100 % fétuques repoussent à la moindre goutte d’eau, mais cette qualité suffit aux génisses, pas aux vaches laitières. Cette année, nous implantons sur certaines exploitations des mélanges de 10-12 espèces, parfois avec plusieurs variétés d’une même espèce faisant relais. Car nous travaillons depuis trois ans avec l’Inrae et l’outil d’aide à la décision Capflor mis au point par Vladimir Goutiers de l’UMR Agir. Cet outil sert à la mise en place de prairies à flore variée en lien avec le contexte pédoclimatique et la nature des sols (voir Biofil 104). Nous partons d’une expérience éprouvée dans le Tarn depuis dix ans. La réflexion est portée sur des soles spécifiques de pâturages précoces et tardifs et pour la fauche. L’idée est de maintenir la qualité nutritive sur la durée, de février à décembre, car c’est aussi une problématique. Tout cela ne peut qu’améliorer notre pâturage tournant dynamique en déplafonnant encore nos rendements en herbe.
Quels sont les gains déjà observés ?
L’économie dont je suis sûre, car on l’a mesurée, c’est le tonnage gagné à l’hectare et le nombre de points de MAT. Sur des prairies permanentes dont le rendement est de 6 à 7 t MS/ha, le gain se situe entre 1 et 2 t MS/ha. Tout dépend du climat, du sol et de la conduite initiale des prairies, surpâturées, zones de refus ou pas. En prairies temporaires, l’écart est plus grand. En partant des rendements les plus faibles de 5 à 6 t/ha, le gain est de l’ordre de 3 t MS/ha. Et l’idée est d’avoir 15 à 17 % de MAT avec 0,9 UF. Dans ce cas, l’équilibre est plutôt satisfaisant. Ainsi, la quantité de MS amenée peut être réduite, notamment l’aliment concentré. Le coût alimentaire diminue. Des éleveurs bio maintiennent une part de céréales, comme l’épeautre pour certaines périodes de l’année. En hiver, ce peut être des méteils complets, avec vesce et pois, amenant de la MAT. En dix ans, avec le suivi d’une soixantaine de producteurs, je m’aperçois que cette méthode suscite d’autres réflexions et de nombreux changements, monotraite, mixité de races, vêlages groupés ou autres, et c’est souvent un levier pour le passage en bio !
Propos recueillis par Frédéric Ripoche
(1) Carole Mérienne propose des formations sur le pâturage tournant dynamique avec la chambre d’agriculture de Haute-Garonne. Elle s’est formée à partir de 2012 avec John Bailey (PâtureSens est créé en 2013), Innov-Eco 2 et Rhizobium Conseil.