Filière porcs bio :
l'appel à l’aide des éleveurs

Le 19/04/2023 à 7:33 par La rédaction

Réduire les effectifs et déclasser en conventionnel sont les deux stratégies adoptées par la filière porcine bio pour passer le cap difficile de la mévente, dans ce contexte inflationniste. Une aide d’urgence de 30 millions d’euros est demandée. Le point avec des éleveurs et leurs groupements.

 

Naissage en plein air chez Philippe Moureaux.

La filière porc se mobilise. Dans le Morbihan, un collectif d’éleveurs s’est réuni pour alerter l’opinion sur la situation critique de la filière porc bio et ses exploitations en sursis. Ils demandent aux élus locaux d’être leurs relais auprès des pouvoirs publics. Ils sont une dizaine, le 27 mars, à s’être réunis à Caro sur la ferme de l’éleveur Philippe Moureaux, avec l’appui du Gab 56 et de la Confédération paysanne, et en présence de techniciens, élus locaux et représentants de collectivités. « L’idée est de parler de nos situations et des perspectives », introduit Pierre-Yves Floch, éleveur en vente directe. Ses collègues adhèrent à Bio Direct, Bretagne Viande Bio (BVB) et Unebio. L’objectif de la filière porcine bio, portée par Egalim, est d’atteindre 5 % du volume global de porc en 2022. Début 2023, elle en est à 1,5 %, l’offre excède la demande et l’inflation impacte fortement les exploitations. La filière est en crise, alors que le déploiement de la bio est préconisé par le Giec ou la Cour des comptes, rappelle Pierre-Yves Floch. « Les pertes en porc bio sont chiffrées à 30 millions d’euros », précise le producteur Julien Hamon (Confédération paysanne) (1). Les éleveurs demandent une aide directe d’urgence à l’État et l’engagement des élus dans les territoires pour le respect d’Egalim, les 20 % de bio en restauration collective en 2022. Pour l’instant, cette part n’est qu’à 6 % toutes filières confondues, et beaucoup moins en porc bio.

 

Déclasser : un acte collectif

« Aujourd’hui, nous avons 60 truies naisseur-engraisseur, contre 120 il y a six mois », précise Philippe Moureaux. La moitié des porcelets au sevrage était commercialisée avec Bio Direct. « Nous avons décidé d’arrêter cette activité . » Si lui et son épouse en fin de carrière prévoyaient de réduire la charge de travail, ils l’ont fait à un moment clé. « Nous avons été alertés par nos filières pour réduire les effectifs », précise-t-il. Bio Direct a mis en place un quota de 10 %, tout comme les autres groupements présents. « C’est un acte collectif fort pour résister, mais on souffre aussi du déclassement », avoue Philippe Moureaux. Chez Bio Direct, 15 % des volumes ne sont pas valorisés en bio. « Sur 1 200 cochons, 150 sont rémunérés au prix conventionnel. D’emblée, la perte est de 25 000 euros, soit 150 euros par porc minimum. » L’éleveur se dit en capacité de résister, avec des annuités réduites, un élevage amorti et une petite résilience avec la Faf, mais « les chiffres sont négatifs ». « C’est le premier effet de crise, le second est ma préoccupation de transmettre. J’ai un repreneur potentiel, mais l’attractivité a fortement diminué. Tout dépendra des banques », s’inquiète-t-il.

 

Des jeunes installés sur la sellette

Rémi Le Berre, adhérent d’Unebio, a repris une exploitation il y a cinq ans pour la mettre aux normes du porc bio. « Nous avons fait des travaux assez conséquents, investi 300 000 euros », explique-t-il. Entre rénovation et construction, son coût est de 10 000 à 15 000 euros par place de truie et sa suite. « Je ne suis pas encore en vitesse de croisière . Avec 30 truies, je pensais faire 600 porcs, mais on a dû baisser à 400 et bientôt 300-350. Je suis autonome à 70 % mais l’aliment complémentaire me coûte 1 200 euros/t et le prix du cochon ne le paie pas. » Un prix à 3,60 euros du kg de carcasse qui, dit-il, va baisser. « Mes parents élèvent des pondeuses bio. J’ai cru à la filière bio, j’y crois toujours. Mais la situation économique est difficile. Très clairement, cela pose questions. On a la chance de bien s’entendre avec notre banque », résume-t-il. Son voisin, Maxime Botuha, adhérent de BVB, est installé depuis trois ans avec son père. « Je l’ai convaincu de faire un projet à deux en bio. C’est une création avec 60 truies naisseur-engraisseur sur 77 ha. Nous avons investi dans un bâtiment avec courettes extérieures. » Son objectif de 1 200 porcs par an est réduit à 1 080 avec le quota. L’éleveur a dû ouvrir un crédit, car le résultat ne suit pas. « Je suis en bio sans regret, c’est du bon sens, je ne reviendrai pas en arrière. J’espère que l’État va mettre en place des aides comme cela a été toujours fait pour le conventionnel (2). C’est de la trésorerie dont nous avons besoin ! »

 

En vente directe, moins touché ?

Pierre-Yves Floch, installé depuis 2008, produit près de 600 cochons à l’année avec 35 truies. Il est en vente directe, à raison de 11 cochons valorisés par semaine via les marchés, magasins de producteurs, Amap et restaurants. L’activité se maintient. « Ça va, mais bien que l’on soit autonome à 70 %, on subit l’inflation avec des hausses de prix de l’aliment », confirme-t-il. Il a dû augmenter ses prix de vente de 15 % mais la clientèle ne fait pas défaut. S’il estime qu’un cochon de filière longue est rémunéré autour de 370 euros, lui, c’est plutôt à 900-1 000 euros. « Mais nous avons des charges avec le laboratoire de transformation et deux salariés. On fabrique tout de A à Z et la vente directe prend du temps », souligne-t-il. En fin d’année, une mairie l’a contacté. « Elle m’a demandé des prix et passé commande. Je livre depuis le 1er  janvier. Comme quoi, c’est possible. » Cette commune située à 20 minutes de chez lui compte 65 % de bio.

 

Des élus interpellés pour agir

Hélène Coda-Poirey, vice-présidente déléguée au PAT – programme alimentaire territorial – de la communauté de communes Auray-Quiberon (Acta) affiche cette volonté. « Nous atteignons les 20 % de bio, voire plus en restauration collective, mais nouer des rapports directs avec les producteurs n’est pas évident pour nous », signale-t-elle. « Des éleveurs en filières longues sont sur vos territoires, répond Guillaume Raimbault du Gab 56 . S’ils ne font pas de vente directe, il est possible de les contacter par ces groupements organisés. Les élus doivent pouvoir entendre leurs difficultés ! » En gestion concédée, comment intervenir sur les choix des entreprises de restauration, s’interroge une autre élue. « Vous payez, vous avez un droit de regard », assure Sabrina Le Ret, éleveuse et parent d’élève dans un conseil d’école. « 20 % de bio et 50 % de local en restauration collective, c’est la loi et cela devrait être appliqué !, estime le sénateur Joël Labbé. Les communes pourraient désigner un référent chargé d’y veiller. » L’élu se dit prêt à mobiliser l’association des maires du Morbihan et le Conseil départemental pour informer sur la situation bio et chercher des solutions. Et cela peut se faire partout. Joël Labbé estime intenable d’entendre parler de déconversions alors que des objectifs français et européens existent sur la bio. « Ses externalités sont positives concernant la qualité de l’eau, de l’air, du sol, de la santé humaine, autant de sujets qui coûtent à la société et que la bio économise ! », conclut-il.

 

Frédéric Ripoche

 

(1)  Cela comprend : aides de trésorerie par exploitation selon le nombre de cochons produits, pour accompagner les départs ou les déconversions, compensation pour supporter les pertes financières du déclassement.
(2) En référence aux 270 millions d’euros accordés par l’État début 2022 à la filière porcine conventionnelle.

 

(crédit photo : Ripoche F.)

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Joël Labbé, sénateur du Morbihan : présent à l’appel des éleveurs.

Joël Labbé, sénateur du Morbihan.

 « La bio doit pouvoir bénéficier d’aides spécifiques et pas des miettes », estime le sénateur écologiste venu soutenir les éleveurs de porcs bio et la bio en général. Joël Labbé évoque aussi les problèmes de sur-marges en grande distribution – une étude a été obtenue, dit-il –, l’aide au maintien et le label HVE. Vice-président de la commission des Affaires économiques au Sénat, il poursuit des travaux parlementaires sur les sujets liés à l’agriculture et l’alimentation.