Croisement 3 voies : les essais de Trévarez avancent

Le 25/11/2022 à 13:27 par La Rédaction

Depuis 2015, la Ferme expérimentale de Trévarez dans le Finistère croise son troupeau de Prim’Holstein avec les races Jersiaise et Normande. Estelle Cloet, de la chambre d’agriculture de Bretagne, chargée d’expérimentations sur le troupeau bio dresse un bilan après six ans de croisement.

INTERVIEW

 

Estelle Cloet.

Biofil : Où en est aujourd'hui votre processus de croisement ?

Estelle Cloet : Nous avons fait le tour du schéma de croisement. Les G3, les animaux de troisième génération dont le père est Prim'Holstein, sont en train de vêler donnant naissance aux veaux G4. Ceux-ci sont à peu près égaux aux G2.

Pourquoi avoir fait le choix du croisement à Trévarez ?

À la base du projet, à la création du système bio avec robot, des vaches du troupeau Prim'Holstein conventionnel sont mises en conversion. Nous voyons alors la limite de la Holstein dans notre système. Ces vaches à haut potentiel laitier avaient des taux très faibles, notamment l'hiver. Elles maigrissaient beaucoup. Elles essayaient de produire le plus de lait possible, mais comme l'alimentation n'est pas toujours optimisée en bio, elles finissaient très maigres. L'idée a été d'avoir un type génétique correspondant mieux à notre système et nos besoins. De plus, sur le terrain, il y avait aussi beaucoup de questions sur le croisement mais peu d'études. Il était intéressant d'apporter des éléments aux éleveurs sur ce point.

Que recherchiez-vous ?

Nous voulions un système mixte, c'est-à-dire avoir des vaches produisant suffisamment de lait, avec des taux, surtout protéique, gardant un meilleur état corporel et se reproduisant le mieux possible. Mieux les vaches se reproduisent, moins il y a de réformes. Nous voulions aussi des animaux pâturant bien, motivés d'aller au robot, dynamiques pour se déplacer.

Vous aviez des soucis sur ce dernier critère ?

Non, mais nous ne voulions pas qu'il soit dégradé par d'autres races que nous choisissions. C'est le risque en croisement. Des aspects peuvent être mieux, d'autres moins bien.

Pourquoi avoir opté pour les races Jersiaise et Normande ?

Nous ne voulions pas reproduire un schéma existant. Un partenariat a été fait avec la coopérative de génétique Evolution, Innoval maintenant. Nous cherchions un croisement innovant, plutôt avec des races locales. La Normande et la Jersiaise (1), présentes dans son catalogue, répondaient à ces critères et à nos besoins.

Quels sont les apports de ces races ?

La Normande apporte des taux et une meilleure valorisation de la viande par sa rusticité. Elle garde aussi un état corporel correct quelle que soit l'alimentation. C'est l'aspect prioritaire recherché avec elle. La Jersiaise apporte des taux très élevés, son aptitude au pâturage, sa rusticité et puis sa précocité. Elle nous aide sur ce point dans un objectif de vêlage à deux ans. Côté défauts, son produit viande est faible. Ses veaux mâles ont peu de valeur. Pour la Normande, nous avions plus d'appréhensions côté aplombs et cellules. La Holstein possède en revanche de bons aplombs, ayant été beaucoup sélectionné pour cet aspect. Et si elle pêche sur d'autres points, au moins elle nous fournit du lait !

Comment se passe le processus de croisement par insémination artificielle (IA) ?

Un plan d'accouplement est réalisé deux fois par an pour chaque période de reproduction, en choisissant dans le catalogue autour de cinq taureaux disponibles à ce moment-là, correspondant à nos critères. Ceux-ci sont toujours assez laitiers, toujours assez élevés en index lait par rapport au reste du catalogue, toujours positifs sur les index fonctionnels, en visant pour les vaches la facilité de vêlage.

Pourquoi utilisez autour de 5 taureaux par race ?

Le choix d'un seul taureau signifierait une seule génétique. Alors qu'on parle souvent de consanguinité en race pure, ce serait reproduire un peu la même chose dans notre système. Le but est d'essayer de répartir les risques entre différents taureaux ­ en majorité génomiques ­ et qu'ils soient les plus adaptés à nos vaches. Par exemple, une vache très faible au niveau de son index de reproduction se voit attribuer le taureau le plus élevé sur ce point. Même principe sur un critère de production laitière. Nous choisissons 5 à 6 taureaux que nous répartissons par groupe de 3 à 4 vaches, selon les besoins.

Où en êtes-vous de l'objectif de vêlage à deux ans ?

En vaches croisées, les vêlages ont lieu maintenant à 25 mois. Deux mois ont été gagnés par rapport aux vaches Holstein du troupeau initial. C'est très bien. Dans un système bio, la moyenne est à 30 mois. Et cela montre bien qu'en croisement il est possible de faire du vêlage précoce, même avec des races plus tardives comme la Normande.

Comment y parvenez-vous ?

La Jersiaise y contribue. Ensuite, en visant un vêlage à 24 mois, un suivi rigoureux et une bonne conduite des génisses sont nécessaires à partir de la naissance. Ces jeunes animaux doivent bien démarrer sur leurs premiers mois de vie. Pour cela, nous leur apportons un pâturage de qualité et une ration équilibrée l'hiver en achetant, si besoin, des concentrés.

Êtes-vous satisfaits de vos choix après six ans de croisement ?

Pour l'instant oui. Les tendances actuelles sont plutôt positives, mais nos choix restent encore à valider avec plus de données. Il faut être patient. En matière de reproduction, les choses s'améliorent petit à petit. Auparavant, certaines vaches n'étaient pas vues en chaleur, donc jamais inséminées. Maintenant, les IA fonctionnent mieux, pour les vaches comme pour les génisses. Il y a plus de gestantes et elles reprennent veaux plus rapidement. Les périodes de vêlage peuvent être raccourcies, à deux mois au lieu de trois. Ce pourrait être encore plus court, mais nous choisissons d'utiliser de la semence sexée dont le taux de réussite est en moyenne inférieur de 10 % à une IA classique. Plutôt que d'avoir les meilleures performances de reproduction, nous préférons limiter au maximum la naissance de mâles dont nous ne saurions pas quoi faire. C'est un choix prioritaire.

Comment est la production laitière ?

L'augmentation forte des taux ­ de 6 à 7 points pour le TB, et 3 à 3,5 pour le TP ­ apporte une bonne plus-value sur le prix de vente du lait. Notre produit lait est supérieur à celui que nous avions en Holstein malgré la baisse de production. Pas possible de donner encore de comparaison à l'échelle troupeau, mais sur le plan des lactations, sur 305 jours, nous sommes à peu près à 300 kg de lait en moins par vache. C'est une moyenne par génération. Car dans le détail, les Prim'Holstein-Normande ont une productivité supérieure aux Prim'Holstein-Jersiaise, et aussi aux Prim'Holstein pures.

Y a-t-il d'autres aspects significatifs ?

Comme le croisement impacte beaucoup les taux du lait des vaches, nous devons être vigilants pour les veaux. La quantité qu'ils ingèrent doit être adaptée d'un jour à l'autre pour ne pas les perturber au niveau de la matière grasse reçue dans leur première semaine de vie. L'apport de ce lait plus concentré en matière grasse a été diminuée de 0,5 à 1 litre par veau, soit 5 à 5,5 L au lieu de 6. Nous sommes attentifs au choix des vaches dont on trie ce lait pour les veaux afn d'avoir une régularité de TB. Le choix de la destination du lait est fait au robot.

Quel comportement ont les animaux croisés au robot ?

Les vaches sont dynamiques et viennent bien se faire traire. Nous n'avons pas de souci particulier. Pour le branchement automatique des trayons, le fabricant nous signale que la caméra du robot capte moins facilement des mamelles de couleur noire ­ en l'occurrence ici des vaches avec du sang jersiais ­ que des mamelles blanches qui se diférencient mieux dans l'environnement. De notre côté, nous n'avons remarqué aucune diférence.

Quelles sont les suites de ce projet ?

L'étude va se poursuivre pour apporter des références sur les animaux portant les trois races, et voir comment ils évoluent dans le temps. 80 % des vaches du troupeau sont maintenant croisées trois voies. Elles n'ont pas toutes fnie leur lactation. Nos analyses sont en cours. Depuis l'été 2021, nous n'avons plus de Holstein et à l'été 2023, il n'y aura plus de F1. Dans quelque temps, nous serons capables de dire si un sens de croisement peut être plus intéressant que l'autre, c'est-à-dire Prim'Holstein-Jersiaise-Normande ou Prim'Holstein-Normande-Jersiaise. Dans ce cas, l'un des schémas sera abandonné. D'ici deux à trois ans, nous aurons des données plus précises sur les G2, puis sur les G3. Et d'ici cinq ans, le système devrait être assez stabilisé.

Que dire du profil des croisées actuellement ?

Sur la première génération, les diférences étaient nombreuses, avec des Prim'Holstein-Jersiaise beaucoup plus petites, des Prim'-Normandes aussi grandes que des Holstein mais beaucoup plus larges et plus lourdes. Sur la seconde génération, c'est comme si la Jersiaise était plus dominante. Nos animaux sont beaucoup moins hétérogènes, plus petits et plus fns. C'est positif pour le pâturage ; pour la viande, il est possible que cela le soit moins.

Que faire ?

Malgré le recours à la semence sexée, nous avons un petit peu de mâles. Jusque-là, ceux-ci étaient vendus entre deux et trois semaines, mais depuis le printemps 2022, la décision a été prise d'en garder sur chaque plage de naissance pour les élever sur la ferme. Comme la valorisation de ces mâles croisés peut être un problème pour les éleveurs, nous allons essayer de donner des repères d'itinéraire technique économiquement rentable. Ces animaux sont issus de croisement lait ou viande (2).

Que conseiller aux éleveurs s'interrogeant sur le croisement ?

Si vous êtes satisfaits de vos vaches avec des défauts mineurs à corriger, alors réalisez votre sélection au sein du troupeau. En cas de défauts majeurs et si vous avez envie d'améliorer vraiment fortement certains critères, oui le croisement va aider à le faire. Mais ses efets prennent cinq ans pour commencer à être ressentis et il faut encore près de six ans pour voir apparaître des diférences notables. C'est un processus de long terme. Le croisement ne résout pas tous les problèmes. Optimiser l'alimentation par exemple aura des résultats plus rapides et plus forts en cas de système mal calibré à la base.

 

Propos recueillis par Frédéric Ripoche

(1) En majorité, il s'agit de Jersiaise danoise proposée.

(2) Lorsque le nombre d'animaux nécessaires est atteint par génération pour le croisement laitier, les femelles sont inséminées en race à viande pour une meilleure valorisation.

(© Ferme expérimentale de Trévarez)

Trévarez en quelques chiffres

· 60 vaches

· 5 500 kg/VL

· Ares pâturés/VL : 20 + 45

· Pourcentage de stock ration VL : 50 %

· Concentré/VL/an : 500 kg (produit à la ferme)

· Pas de concentré distribué quand les vaches pâturent (mars à nov.) Assolement 2022

· Herbe : 69,8 ha (22 ha sur le site estival)

· Maïs : 4,5 ha

· Orge de printemps : 3 ha

· Méteil : 8,7 ha Des taux améliorés en croisées (en g/kg) TB : 40 > 46-47 TP : 30 > 33-34