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Le règlement européen énonce parmi ses dix principes généraux « assurer un niveau élevé de bien-être animal en respectant les besoins propres à chaque espèce ». Mais qu'entend-on par niveau élevé de bien-être animal ? Connaît-on les besoins propres à chaque espèce ?
Bien-être animal : ces mots sonnent sans doute pour les initiés comme une évidence quand on parle d'élevage biologique. Et pourtant, dans le baromètre de consommation et de perception des produits biologiques en France en 2021, le bien-être animal ne venait qu'au 9e rang des critères d'achat. Alors l'élevage bio en fait-il assez en matière de bien-être animal, ou les règles associées sont-elles méconnues ? L'ambition réglementaire bio demande deux précisions : l'une sur ce que signifie « un niveau élevé de bien-être animal », l'autre sur notre connaissance des besoins propres à chaque espèce. Elle pose aussi une question sous-jacente : cette ambition est-elle évolutive ?
Les trois règles zootechniques
La première règle porte sur l'adaptation des animaux : leurs diversité génétique, capacité à s'adapter aux conditions locales, longévité, vitalité et résistance aux maladies sont mises en avant.
La seconde s'inscrit dans le principe général de lien au sol : les pratiques doivent être adaptées au site et donc au milieu naturel, et les animaux nourris avec de l'aliment produit sur l'exploitation ou localement.
La troisième se résume à prévenir avant de guérir, en renforçant le système immunitaire et les défenses naturelles, notamment en exigeant l'accès au plein-air, et pour les herbivores, aux pâtures.
La bio mieux-disante par principe que la réglementation générale
Si la Pac - politique agricole commune - porte déjà l'objectif d'un niveau élevé de bien-être animal, la bio par principe va nécessairement au-delà. Statuant en 2019 sur la question de la compatibilité d'un abattage sans étourdissement préalable, la Cour de Justice de l'Union européenne l'a d'ailleurs clairement énoncé : « En soulignant à plusieurs reprises sa volonté d'assurer un niveau élevé de bien-être animal, le législateur de l'UE a entendu mettre en exergue que le mode de production agricole bio se caractérise par l'observation de normes renforcées en matière de bien-être animal dans tous les lieux et à tous les stades de cette production où il est possible d'améliorer encore davantage ce bien-être ». Cet arrêt dit deux choses : il n'est pas nécessaire d'avoir une règle précise pour poursuivre un niveau élevé de bien-être, lequel participe d'une démarche de progrès continue et n'est donc pas figé.
L'élevage bio a toujours joué un rôle pionnier
Ce n'est qu'en 1999 que des règles sur l'élevage bio ont intégré la réglementation européenne bio. Et depuis les progrès sont notables. Concernant l'accès aux espaces extérieurs, par exemple, la finition des animaux à l'intérieur a été progressivement supprimée : d'abord pour les ovins et porcins en 2009, puis en 2022 pour les bovins allaitants avec la disparition de la dérogation. En promouvant un standard élevé de bienêtre animal, l'élevage bio montre la voie au conventionnel : par exemple en 2022, ce dernier a proscrit la castration à vif des porcs, pratique déjà interdite en bio de longue date.
La naturalité des pratiques d'élevage
Le choix des races et des animaux doit privilégier des individus « à l'aise » dans leur environnement.
L'idée de base est de se rapprocher des conditions « normales » de vie. Sur le plan alimentaire, cela s'exprime par l'accès aux pâturages pour les herbivores chaque fois que cela est possible, par le recours de préférence au lait maternel, ou bien par l'interdiction du gavage, ou de régimes anémiants. Les animaux doivent aussi être à l'air libre, ou à tout le moins avoir accès à des aires d'exercice extérieures, avec des densités limitées. Les parcours sont adaptés pour récréer une ambiance naturelle : végétalisés pour les volailles, accès à un plan d'eau pour les palmipèdes, etc. La santé des animaux passe donc par la prévention.
En interdisant l'usage des hormones, la bio ne tolère pas davantage de perturbations de la croissance et de la reproduction : la synchronisation des chaleurs est proscrite. Les pratiques d'élevages bannissent les mutilations, de la caudectomie des cochons à l'interdiction de rognage des ailes des « reines » en apiculture. Il existe des exceptions comme la castration des mâles, et celles encadrées par des dérogations individuelles : écornage, caudectomie des ovins, épointage du bec.
Des éléments de confort
Si le plein-air est une possibilité, l'élevage bio demande aussi des bâtiments confortables, sans cage ni boxe en caillebotis, bien aérés, avec des températures et une humidité assurant le bien-être des animaux. Les bâtiments possèdent des équipements adaptés aux besoins éthologiques : perchoirs pour les volailles, matériel à ronger pour les lapins, substrat pour fouir pour les porcs. Les aires d'exercice peuvent être partiellement couvertes pour protéger les animaux des intempéries. Si la bio a pour principe de limiter l'utilisation d'intrants extérieurs, il est demandé aux éleveurs d'éviter ou de réduire au minimum toute souffrance, grâce notamment à une analgésie ou anesthésie suffisante.
Là est la question : comment définir et donc protéger les besoins propres de chaque espèce ? Naturalité et confort des animaux sont-ils synonymes ? Les débats sur la couverture et le paillage des aires d'exercice des élevages porcins, ceux sur l'attache des bovins dans des systèmes traditionnels en période hivernale, ceux sur la castration physique, montrent que le bien-être animal varie en fonction de celui qui le perçoit, et peut-être de l'animal lui-même. On ne peut que se féliciter de l'effet d'entraînement de la bio pour améliorer les pratiques d'élevage. Alors il faut souhaiter que la recherche continue d'investir pleinement ce sujet, et notamment celui de la mesure « objective » du bien-être si tant est qu'elle soit accessible.
Olivier Catrou, responsable du pôle bio de l'Inao