Premières références technico-économiques : « Attention aux dégâts éventuels et au temps d'astreinte »

Le 09/04/2022 à 5:48 par La rédaction

Anne-Laure Dossin, chargée de mission arboriculture à Bio de Provence-AlpesCôte d'Azur et Arnaud Dufils, ingénieur Inrae basé à Avignon, travaillent à acquérir des références technico-économiques sur l'introduction d'animaux dans les vergers. Tour d'horizon des travaux en cours, et premiers résultats.

Biofil : Associer des animaux aux vergers, est-ce en plein essor ?

Arnaud Dufils : Oui, l'intérêt est grandissant, chez les producteurs et dans les structures agricoles. Plusieurs projets sont en cours. Depuis 2020, il y a notamment la mission Reve, pour Reconnexion élevage et végétal. Plusieurs Gis (groupements d'intérêt scientifique) se sont associés pour piloter cette mission, en élevage, grandes cultures et fruits et légumes. Un premier volet a recensé toutes les ressources et les initiatives sur le sujet, notamment en vergers. En parallèle, une équipe d'Inrae Toulouse travaille sur des prototypes pour élever des lapins en verger bio dans le cadre du projet Lapoesie, et dans la Drôme, Ecorce, piloté par le FiBL France, étudie les brebis en pommiers. En Provence-Alpes-Côte d'Azur, Dépasse, coordonné par Anne-Laure Dossin, est en cours. Anne-laure dossin : Dépasse, pour Développement des cultures Pérennes ASSociées à l'Élevage, a débuté en avril 2018, et finira début 2023. Il se penche sur l'intégration d'ovins et volailles, en arboriculture et oléiculture, en région Paca. Dépasse comporte quatre volets : une enquête sur les pratiques actuelles, l'acquisition de références technicoéconomiques, des expérimentations et la conception d'une méthodologie pour générer de la coopération entre éleveurs et arboriculteurs sur le parc naturel régional des Alpilles.

Quel est l'intérêt de cette pratique ?

Ad : La première motivation, c'est la gestion du couvert herbacé. On peut économiser un à deux passages de désherbage mécanique avec un pâturage hivernal de moutons. La technique a aussi un intérêt pour lutter contre les ravageurs, en particulier le carpocapse et les anthonomes. En consommant les fruits au sol après la récolte, on limite la pression. Idem pour les campagnols : les brebis sont une gêne pour les rongeurs, et font baisser les populations. En se déplaçant, elles détruisent les galeries. Le piétinement des moutons favorise aussi la dégradation de la litière de feuilles, réduisant l'inoculum de tavelure. Outre l'intérêt technique, il est plaisant d'avoir des animaux dans les vergers, et c'est un plus en termes d'image, dans le contact avec les clients. Ald : Cela fonctionne dans les deux sens : les animaux offrent des services agronomiques aux cultures, et les cultures rendent des services aux animaux. Ils trouvent des ressources alimentaires : herbe, fruits de second choix... Les arbres sont des abris climatiques, voire des refuges contre les prédateurs. Sous les arbres, les poules se sentent plus en sécurité face aux attaques de rapaces, même si en pratique, le bénéfice n'est pas si net, car cela ne les arrête pas forcément. Mais les poules sont moins stressées.

Quid de la fertilisation ?

Ad : C'est intéressant mais ça ne fait pas tout ! En consommant l'herbe des vergers, les brebis restituent, par leurs crottes, une ressource fertilisante sous la forme organique, favorable à la vie du sol, mais elles ne produisent pas d'azote. Il faudra quand même faire des apports, ou alors épandre le fumier de la bergerie. Pour les poules, c'est un peu différent car on complète leur alimentation avec du grain, donc l'apport des fientes est plus marqué. Le risque avec les poules, c'est leur tendance à rester proche des bâtiments, pouvant engendrer des soucis de surfertilisation dans ces zones.

Comment choisir les animaux ?

Ad : Tout dépend des problématiques agronomiques, et des débouchés commerciaux. Si l'on veut un animal pour gérer l'enherbement, les brebis sont un bon choix. Les poules peuvent consommer les larves au sol. Sur la valorisation, si le producteur est en circuit court, le complément avec les oeufs est intéressant. Mieux vaut déjà avoir les contacts pour vendre. Pour les brebis, c'est moins simple, il faut trouver un abattoir, et le lien avec la mort des animaux n'est pas forcément évident à appréhender. Pour la volaille, la problématique de la réglementation grippe aviaire doit être prise en compte. Techniquement, les oies pourraient être aussi intéressantes car elles « broutent » l'herbe, en tassant moins les sols que les brebis. En oliveraies, les arbres sont relativement appétants pour les moutons, mais pas pour les oies, donc pas de risques de consommation de branches basses. Pourtant, oies et canards sont peu développés. Quant au cochon, le risque est de dégrader les sols, car ils fouillent. Les ornières peuvent vite devenir une contrainte pour circuler.

Ald : En Paca, on voit surtout des ovins, traditionnellement très présents dans notre région, et des volailles. La demande pour les produits avicoles est forte, et les petites unités d'élevage sont relativement simples à mettre en place pour des producteurs non spécialisés pour ces animaux. Quant à des espèces comme les bovins ou les équins, elles ne sont pas adaptées à nos modèles de vergers.

Est-ce possible partout ?

Ad : Oui, même des vergers bas peuvent être pâturés par des moutons par exemple, à condition de les surveiller pour les changer de verger dès qu'ils lèvent la tête. Plusieurs solutions sont envisageables. En mouton, soit c'est un éleveur qui fait pâturer son troupeau chez un arboriculteur, soit celui-ci a un troupeau en propre. Dans le premier cas, souvent, c'est un service mutuel rendu, informel, sans échange monétaire. Si l'objectif est vraiment que les animaux fassent un fauchage, c'est l'idéal, mais dans certaines régions, l'élevage ovin n'est pas suffisant. C'est le cas en Pays de la Loire par exemple, avec des producteurs intéressés, mais pas d'éleveurs en face. Certains arboriculteurs ont leurs propres animaux, avec une ou plusieurs espèces. La viande et/ou les oeufs peuvent être commercialisés, avec création d'un atelier en plus des fruits, ou destinés à la consommation personnelle.

Ald : Dans nos enquêtes sur des vergers avec volailles en Paca, nous avons mis en évidence deux profils. Certains ont de toutes petites unités, avec une vingtaine de volailles sur une parcelle, présentes à temps plein. Les autres ont un double atelier : ils sont à la fois arboriculteurs et éleveurs de volailles, avec valorisation des produits d'élevage, soit de chair, soit des pondeuses.

Quels sont les freins ?

Ald : Les enquêtes que nous avons menées auprès d'arboriculteurs accueillant temporairement des troupeaux de brebis nous ont fait part de craintes de dégâts sur les arbres. En oléiculture, il faut souvent accepter la perte d'un étage de production, en dessous d'1,20 m. Les parcelles doivent être regroupées, sinon l'éleveur n'est pas intéressé. Il faut compter généralement de quoi manger pour trois semaines. La communication entre les deux métiers n'est pas toujours évidente. La date d'arrivée des éleveurs est assez variable et peu prévisible, engendrant des difficultés pour prévoir les chantiers de taille. Enfin, les chiens de troupeaux peuvent causer des problèmes de voisinage. En volailles, sur les doubles ateliers, il est apparu impossible de faire de l'aviculture de manière durable sans une surveillance humaine permanente, en raison des vols. Les parcelles isolées sont à proscrire.

Ad : Concernant les moutons, il est remonté des effets divergents sur la flore. Sur certains sols pauvres, celle-ci s'enrichit. À l'inverse, sur d'autres parcelles, un appauvris- sement a été constaté, car le pâturage des brebis sélectionne les graminées. Ce n'est pas forcément un problème, mais le sujet est à creuser, car il peut y avoir un impact sur la présence des auxiliaires et donc la régulation naturelle des bioagresseurs. Nous allons nous pencher sur le sujet dans le cas de la mission Reve. Une enquête en ligne a été lancée fin 2021, et nous allons échanger plus longuement avec certains répondants. La restitution est prévue en 2022. Quant aux volailles, attention à la réglementation biosécurité, et ce, dès la première poule, avec des règles plus contraignantes si on dépasse les 250 poules.

Quel conseil donneriez-vous avant de franchir le pas ?

Ald : Si ce sont les siens, il faut vraiment les aimer, car les animaux nécessitent une surveillance quotidienne. Et même si les nourrir et donner de l'eau ne prend pas beaucoup de temps, il y a toujours plein de choses annexes à faire : réparer et désherber une clôture, remplacer la batterie du poste, s'occuper d'un animal malade...

Ad : Les temps d'astreinte sont à prendre en compte. En termes de coût, les investissements sont significatifs : il faut acheter les animaux, le matériel pour les clôtures, un abri... À cela s'ajoutent au quotidien les frais vétérinaires, la tonte pour les brebis, sans oublier l'administratif. Si le choix se porte sur des volailles, attention au coût de l'alimentation, à moins d'avoir des surfaces de céréales pour faire sa propre ration. Sur le temps passé, nous manquons encore de donnés technico-économiques. Il est préférable de ne pas être seul dans son coin à s'intéresser au sujet. C'est instructif de pouvoir échanger avec des voisins, par exemple sur des problématiques de santé des animaux.