INTERVIEW
Face aux phénomènes climatiques de plus en plus extrêmes, Céline Le Gardien, technicienne animatrice petits fruits au Gabbanjou et Florence Assezat, responsable technique au GIE Fruits Rouges des Monts du Velay, en Haute-Loire, font le point sur les leviers mobilisables en petits fruits.
Biofil : Quels sont les impacts du changement climatique ?
Florence Assezat : On voit des gelées très tardives, depuis plusieurs années avec de gros dégâts en avril. Les températures très élevées en été posent aussi des problèmes, avec un blocage du fonctionnement des plantes, et des fruits petits, qui ont du mal à mûrir. 2021, 2022 et 2023 ont été marquées par la sécheresse, avec un impact sur les réserves d'eau. Côté ravageurs, comme les hivers sont moins rigoureux, Drosophila suzukii apparaît de plus en plus tôt et cause de gros dégâts.
Céline Le Gardien : Des besoins en froid insatisfaits posent soucis, et avec les épisodes de canicule, on a vu des fruits qui « cuisaient », devenant mous, sans mûrir. Des baies de cassis ont séché sur pied. J'ai aussi vu des coups de soleil sur fraisiers remontants, entraînant des pertes. Pour l'eau, il y a des années avec des restrictions d'irrigation, et d'autres comme 2024 où les pluies continues sont compliquées à gérer, surtout en plein champ, avec des maladies en développement, comme le phytophtora.
Que faire contre le gel ?
C.L.G. : En général, les producteurs protègent leurs petits fruits avec des voiles d'hivernage P17 ou P30, voire des bou- gies pour certains. Le problème des voiles sur framboisiers est que c'est compliqué à poser sans abîmer les bourgeons. J'ai vu, dans des fermes, l'installation de piquets de part et d'autre du rang, avec un tuyau au-dessus pour faire un arceau, de façon à avoir un tunnel d'1,2 m de haut. Cela fonctionne également pour les groseilliers.
F.A. : Chez nous en Haute-Loire, les petits fruits sont généralement sous tunnels, ce qui protège déjà un peu. Pour compléter, certains mettent des bougies. Mais, comme les voiles, la technique fonctionne jusqu'à un certain degré de température. Et la sensibilité est différente selon le stade de développement de la plante.
Les PNPP peuvent-ils aider ?
F.A. : Certains producteurs pulvérisent en foliaire un mélange d'origan/thym/sarriette, en préventif. Mais c'est compliqué d'objectiver leur efficacité.
C.L.G. : Oui, mais c'est dur de connaître l'effet réel. Je vois beaucoup d'utilisateurs de prêle pour fortifier la plante, ainsi que d'ortie, fougère et consoude.
Et pour les coups de chaud ?
C.L.G. : Des producteurs de fraises sur bâches mettent de la paille entre la bâche et les fruits, pour éviter que ceuxci ne chauffent trop. Certains choisissent d'ajouter de la paille sous la bâche pour faire tampon en juin. Pour les petits fruits, les bâches sont en sandwich, pouvant être ouvertes. Le voile P17 peut aussi limiter les dégâts, tout comme une aspersion à 11 h pour amener de l'humidité et faire baisser la température.
F.A. : Sous serre, on utilise des bâches diffusantes, cassant le rayonnement direct, et limitant la chaleur. Et depuis quatre ans, des filets d'ombrage se multiplient, y compris sur fraises, espèce sur laquelle cela ne se pratiquait pas auparavant. Mais ce sont des coûts supplémentaires.
Comment lutter contre D. suzukii ?
F.A. : Il n'y a pas de recette miracle. La prophylaxie reste clé, en ramassant souvent pour éviter l'installation de ce ravageur. Une fois que celui-ci est dans la parcelle, c'est impossible de lutter efficacement. Les filets insect-proof ont fait leurs preuves autour des parcelles de framboisiers produisant en plein été, mais ils sont contraignants à installer, et il faut vraiment les poser en tout début de production avant l'arrivée de l'insecte. Sur fraises remontantes, leur utilisation est plus compliquée. Si l'on ferme, il faut installer des bourdons pour polliniser, et la ventilation est fortement ralentie.
C.L.G. : Sur fraises de saison, la prophylaxie fonctionne bien. Quand tout est récolté, on fait une tonte des fraisiers. Attention à bien exporter les écarts de tri. Sur remontantes, c'est plus difficile. Il faut être extrêmement vigilant. Certains producteurs jouent sur la transformation, en congelant directement. Si un fruit est piqué mais que l'oeuf ne se développe pas, il n'y a pas d'impact sur la qualité gustative. Une fois récoltés, il est conseillé de ne pas laisser les fruits au soleil, il faut les mettre au frais dans un hangar ventilé, et les vendre tout de suite. En libre cueillette, les clients doivent être prévenus que les fruits doivent être consommés rapidement, ou mis au frigo. Les stratégies de tonte visant une reprise de production des remontantes cinq semaines plus tard, à la rentrée, sont intéressantes pour limiter l'installation de suzukii dans les fraisiers, mais en septembre, l'insecte est encore parfois présent : il peut s'établir dans les haies alentour. Des produits à base d'huiles essentielles ont été testés, dont d'oignon, mais sans résultats probants, et l'odeur gênait les clients en libre-cueillette.
Comment voyez-vous l'avenir ?
C.L.G. : Face au changement climatique, notre stratégie est de multiplier les variétés et les espèces, en se disant que l'une fonctionnera dans le contexte de l'année. D'où la nécessité de planter plus pour avoir un résultat satisfaisant. Les tunnels sont une bonne option pour réguler un certain nombre de problèmes, mais ils peuvent en amener d'autres. Des soucis d'acariens apparaissent, inexistants en plein champ. Il faut miser sur une combinaison de pratiques, et chaque année aller piocher dans sa boîte à outils, en s'organisant pour qu'elle soit la plus fournie possible. Les itinéraires techniques sont de moins en moins systématisés. Globalement, cela demande plus d'investissements pour un même résultat. Quant aux variétés, elles sont plus ou moins impactées par le changement climatique. On nous demande laquelle privilégier, mais c'est incohérent de poser le sujet ainsi : mieux vaut diversifier.
F.A. : Avec des années très sèches suivies d'autres très humides, les itinéraires techniques sont complexes à piloter. Quand il y a trop d'eau, les buttes sont intéressantes, mais en cas de sécheresse mieux vaut les éviter, et mettre du mulch par exemple. Autre cas, les bâches tissées sont un bon outil pour limiter les adventices, mais elles ont tendance à assécher l'atmosphère. Il faut adapter chaque technique à chaque parcelle.
Propos recueillis par Marion Coisne