Impacts des gelées / Panser les dégâts et penser l’avenir

Le 22/04/2021 à 10:03 par La rédaction
Les dégâts de ces épisodes gélifs exceptionnels sont sévères, comme ici sur pommier Belchard en Val de Loire. (© Luc Rivry)

Les deux vagues de gel de ces quinze derniers jours ont été violents et destructeurs, frappant autant les bio que les conventionnels. De tristes records de températures négatives à début avril ont été battus, presque partout dans l’Hexagone. Peu de zones sont épargnées, et les dégâts touchent un grand nombre de cultures : vignes et fruitiers bien sûr très exposés, mais aussi colza, betterave, blé, orge… Cet épisode gélif exceptionnel, démarré brutalement le 6 avril et très long – 12 nuits dans certaines zones –, est plus ou moins ravageur selon les régions. Même s’il faut attendre un peu pour évaluer l’ampleur des dégâts, sur certaines productions de fruitiers et de vignes, le constat est d’ores et déjà sans appel. Abricots, pêches, poires, pommes, raisins, kiwis, olives et autres fruits sont touchés de plein fouet, notamment à la suite des gelées noires du 6 au 8 avril.
 
Des vergers gelés, même en Provence

Claude Vignaud, arboriculteur bio à Rognonas dans les Bouches-du-Rhône. (©Solebio)

Pour aider les agriculteurs sinistrés à passer ce cap difficile et à supporter les pertes engendrées, des mesures de soutien sont débloquées par l’État. Mais chacun pointe le risque de voir ces aléas gélifs se répéter, conséquences des évolutions climatiques. « Les hivers de plus en plus doux rendent les dates de floraison plus précoces d’au moins quinze jours en moyenne depuis les années 1980, et cela concerne quasiment toutes les espèces », rappelle Sylvaine Simon, de l’Inrae de Gotheron dans la Drôme (1). Si les gels tardifs ne sont pas nouveaux, leurs impacts sur la végétation en avance constituent une menace de plus en plus prégnante pour nombre de productions agricoles. « En Provence, nous n’avions pas vu des températures aussi basses début avril depuis cinquante ans, après des records de températures élevées fin mars !, s’étonne Claude Vignaud, arboriculteur installé à Rognonas dans les Bouches-du-Rhône, sur 35 hectares de vergers conduits en bio depuis 2001. D’habitude le mistral nous sauve, mais là, il nous a amené l’air froid, puis a calé. » Conséquence : la totalité de ses trois hectares d’abricots et de ses onze hectares de poires est grillée, et pour les pommes, les dégâts varient selon le stade de végétation des variétés. « Dans notre zone, l’abricot est une culture à risque. Les Pyrénées Orientales s’en sont mieux sorties. » Surtout lorsque la floraison est très étalée en fonction des variétés.
 
Valériane, aspersion, bougies…
Mais autour de chez Claude Vignaud, les poiriers n’avaient jamais vraiment gelé, et cette zone provençale concentre quasi la moitié de la production française de poires. « De plus, les arboriculteurs avec des vergers en sites gélifs sont équipés d’aspersion, protection très efficace contre le gel. Ils ont pu arroser jusqu’à 11 heures du matin pour réussir à sauver leur récolte. » Claude Vignaud, jamais confronté à ces aléas, n’a pas de système d’aspersion. Il a bien pulvérisé une préparation de valériane avant le gel pour aider les fleurs et petits fruits à résister au froid, mais sans résultat avec cette gelée noire inattendue entre -5 et -6 °C. Sur le secteur, les éoliennes aussi ont manqué d’efficacité, en brassant un air beaucoup trop glacé. Quant aux chaufferettes ou bougies, « elles restent chronophages en mise en place et très onéreuses, surtout quand le gel dure longtemps. »
 
Les poiriers les plus touchés

La poire est le fruit le plus impacté par le gel dans tous les bassins de production, du Val de Loire à la Provence, en passant par la Sud-Ouest. (© Luc Rivry)

En poire, fruit le plus touché, l’effet variétal n’a pas d’impact sur le gel. En pommes, tout dépend de la précocité. Chez Claude Vignaud, « les Breaburn, Juliet, Pink Lady, qui fleurissent tôt sont gelées en quasi-totalité. La Chantecler ou l’Akane ont mieux résisté. » Les variétés au stade petits fruits n’ont pas tenu, celles au stade fleur ont été détruites à 90 %, et celles en boutons roses, ont gelé à 30 %. « La poire, très bien valorisée en bio, constitue plus de la moitié de mon chiffre d’affaires. Le manque à gagner sera important, et certainement pas compensé par les aides », s’inquiète l’arboriculteur, également référent au Grab – Groupe de recherche en agriculture bio – et membre de Solebio Sud-Est, structure de mise en marché de fruits et légumes bio, sociétaire de Biocoop. « Dans un marché bio des fruits à pépins un peu saturé cette année compte tenu des conversions notamment en pommes, la future récolte sera certainement bien valorisée. Et ce, d’autant plus que l’Italie aussi a subi un épisode gélif », analyse-t-il. Mais qu’en sera-t-il en 2022, avec l’alternance liée à l’année qui suit un gel ?
 
Diversifier pour réduire les risques
Dans les autres bassins de production, Sud-Ouest, Val de Loire, Nord, les vergers ont souffert aussi. Et les dégâts en poire sont importants. Pour Nicolas Louault, arboriculteur bio sur 20 hectares en Loire-Atlantique, « il faut maintenant aborder l'éclaircissage et les décisions sont très délicates à prendre car les conditions de floraison des variétés moins impactées ne sont pas bonnes et le froid a perduré pendant une dizaine de nuits ». Si l’inquiétude reste de mise, elle est atténuée chez ceux qui n’ont pas un système trop spécialisé, « même si en arboriculture, la spécialisation est souvent adoptée pour réduire les coûts », rappelle Claude Vignaud. L’avantage du mode de production bio est qu’il prône la diversité en cultures annuelles ou pérennes – en variétés, en espèces –, et les rotations longues. L’agriculture bio encourage aussi la mise en place de plusieurs ateliers, avec des animaux, et de la transformation. « Introduire des animaux dans les vergers, comme les volailles, contribuent également à lutter contre les bioagresseurs, et apporte un revenu complémentaire en cas de coup dur, comme le gel », rappelle Vianney Le Pichon, directeur de Grab. « Diversifier n’est pas si simple, mais participe aussi à la résilience des systèmes bio. »
 
C. R-F
 
(1) Lire Biofil 129 – Art. « Changement climatique : les leviers pour adapter ses vergers. »