Filets, traitements, parasitoïdes : des solutions prometteuses contre les punaises

Le 08/02/2024 à 9:44 par La rédaction

Les punaises, en particulier la punaise diabolique Halyomorpha halys, sont responsables de dégâts importants dans les vergers. Plusieurs solutions utilisables en bio sont étudiées, notamment la pose de filets et des lâchers de parasitoïdes.

Nicolas Drouzy, conseiller en arboriculture à la chambre d'agriculture Savoie Mont Blanc, se souvient de l'arrivée d'Halyomorpha Halys. « En 2018, on avait eu des dégâts imputés à des punaises, mais pas forcément diaboliques. En 2019, ceux-ci ont explosé, avec des parcelles de poires touchées à 100 % la veille de la récolte. » Cette fois, la présence du ravageur invasif, observé pour la première fois en France en 2012, est confirmée. Depuis, la punaise diabolique s'est répandue sur tout le territoire. « On en voit depuis 2019 dans le Tarnet-Garonne, et en 2022, elle a touché fortement toutes les filières, principalement en arboriculture », témoigne Julie Cadot, conseillère spécialisée en arboriculture fruitière à la chambre départementale d'agriculture. En 2021, en additionnant toutes ses captures de l'année, 2 500 punaises diaboliques sont comptabilisées : en comparaison, en 2022, leur nombre a atteint 12 500. Julie Cadot estime que cette année-là, au moins 10 % des parcelles étaient impactées. « Mais l'intensité des dégâts est très variable. » Certaines variétés sont plus attractives, comme Granny et Swing. « En 2023, il y a eu moins de dommages, même si les punaises sont visibles, rapporte Bertrand Alison, ingénieur d'expérimentation arboriculture pour le CTIFL, basé sur le site SudExpé de Marsillargues dans l'Hérault. On ne comprend pas tout. » Et il est difficile de différencier les dégâts de punaises diaboliques de ceux des autres espèces.

Attention aux faîtages des filets

Parmi les pistes explorées pour lutter contre ce fléau, les filets sont testés dans le cadre du projet Supor, terminé en 2022, et piloté par le CTIFL. « Les résultats ont confirmé que les filets Alt'carpo fonctionnaient, résume Bertrand Alison. On n'est pas exempt de dégâts sur les bordures, mais ces protections limitent de façon très importante les infestations, si elles sont bien fermées, que ce soit en monoparcelle ou en monorang. » Attention aux filets enroulés en hiver : « S'il y a un peu de jeu dans le faîtage, les punaises peuvent s'y agréger, et en déroulant, on les libère ». Le projet a aussi évalué l'efficacité des pièges et phéromones. Résultats : la phéromone Trécé fonctionne le mieux, et le piège Diablex donne le meilleur rapport qualité-prix. En Savoie, Nicolas Drouzy confirme l'intérêt des filets. « Sur les vergers équipés en filets paragrêle, les côtés ont été fermés avec des filets Alt'carpo, de façon à avoir une protection monoverger. Si ce calfeutrage est effectué avant l'arrivée de la punaise, fin mai, les dégâts ne sont que de 1 à 2 % contre 30 % sans fermeture. » Les températures basses de la région ne permettent pas à ce ravageur de passer l'hiver. Le problème est que beaucoup de producteurs ont des petites parcelles, difficiles à équiper.

Échec du piégeage massif

« Du piégeage massif a également été testé, mais ce dispositif attire les punaises, et génère énormément de dégâts à côté », ajoute Nicolas Drouzy. Le conseiller travaille sur la modélisation de la présence des jeunes larves, dans l'optique notamment de pouvoir utiliser un produit à base de cuivre, aujourd'hui utilisé en Italie. « Ce traitement doit être positionné à l'éclosion, d'où l'importance des modèles », explique-t-il. Après quatre ans de travaux, les résultats commencent à être robustes. Mais pour l'instant, ce produit n'est pas autorisé en France, et des études sont encore à mener sur son efficacité, et les conditions d'applications. En attendant, pour Nicolas Drouzy, « les filets sont la meilleure solution, et les parasitoïdes devraient nous aider ». Ces derniers sont une solution très prometteuse mais qui prendra encore quelques années avant d'être complètement opérationnelle. L'Inrae et l'ANPN ­ Association nationale des producteurs de noisettes ­ s'y attèlent avec le projet Ripposte, commencé en 2021. Trois macro-organismes ont suscité l'intérêt : Trissolcus japonicus, Trissolcus mitsukurii et Anastatus bifasciatus. Ce dernier, produit par Bioplanet et distribué en Italie, a reçu un avis défavorable de l'Anses, en raison d'une spécificité potentiellement trop large. Devant le risque pour d'autres espèces, son introduction en France a été refusée.

Lâchers prévus en 2024

Quant à T. japonicus, il a obtenu début 2023, sous réserve de respect des protocoles, le feu vert pour des lâchers en milieu naturel. « Ce macro-organisme est autorisé pour une souche spécifique, celle utilisée en Italie, où elle est autorisée et élevée », explique Alexandre Bout, entomologiste à l'Inrae de Sophia Antipolis, et co-animateur du groupe Punaise diabolique et autres punaises du Gis Fruit. Initialement, la souche a été collectée par l'USDA ­ département de l'agriculture des États-Unis ­ en Chine, en 2009. « Nous avons récupéré 3 000 punaises. Quand la production d'hôtes sera établie, on accueillera les Trissolcus japonicus. Mais il faut d'abord avoir un élevage stable », poursuit Alexandre Bout. L'objectif ensuite est d'effectuer des lâchers de T. japonicus au début de l'été 2024, en Paca et en Nouvelle-Aquitaine, sur une dizaine de parcelles par région. Ce protocole prévu peut évoluer, car en parallèle de T. japonicus, T. mitsukurii est aussi étudié. « Peut-être qu'à terme, ces deux parasitoïdes seront employables, ou l'un des deux. Il faudra aussi faire attention aux interac- tions possibles entre eux quand ils sont sur la même zone », explique l'entomologiste. Ensuite, « en 2025, l'important sera les recaptures pour évaluer leur installation notamment », prévoit Alexandre Bout.

T. mitsukurii acclimaté

Le projet Ripposte se finissant en 2024, l'avancement de la lutte biologique dépendra des financements, « même si, dans tous les cas, on ne stoppera pas tout », ajoute le chercheur. Sous réserve d'autorisations, les lâchers seront élargis à d'autres régions. La suite dépendra du comportement des parasitoïdes. « La lutte par acclimatation ne suffira pas forcément, même si dans tous les cas, elle offrait une régulation des populations de punaises », explique l'entomologiste. Dans ce cas, des lâchers complémentaires, augmentatifs, sont envisagés. Quant à T. mitsukurii, « c'est un insecte exotique, recapturé en 2020 dans le Sud-Ouest. Sa présence est le résultat d'une introduction fortuite, sans que l'on sache quand ou comment », explique Guillaume Martel, ingénieur R&D à l'ANPN. Sa présence a facilité les autorisations : le parasitoïde est considéré comme acclimaté ­ il a été retrouvé plusieurs années de suite ­, et peut donc passer l'hiver. Depuis, il est élevé en laboratoire à l'ANPN.

« Nous avons réalisé des lâchers en Nouvelle-Aquitaine en 2022 et en 2023. Nous continuerons en 2024 », prévoit Guillaume Martel, pour suivre la dispersion de T. mitsukurii. En 2023, des expérimentations en conditions semicontrôlées ont débuté avec des lâchers sur des punaises. Ce, afin d'appréhender les quantités de parasitoïdes nécessaires pour réguler suffisamment les populations du ravageur. Ensuite, il restera à en produire suffisamment. L'insecte pourra-t-il servir à d'autres luttes biologiques ? « La punaise verte ­ Palomena prasina ­ est problématique en noisettes, et ses oeufs sont de bons supports pour le développement de T. mitsukurii, indique l'expert. En revanche, Nezara viridula, nocive en maraîchage, n'est pas un très bon hôte. »

Marion Coisne