L’arrêté du 20 novembre 2021, dit arrêté « abeilles », entré en vigueur le 1er janvier 2022, restreint davantage l’utilisation de produits phytosanitaires. Et il impose la destruction des couverts végétaux fleuris avant les traitements insecticides. De quoi susciter beaucoup d’incompréhensions au sein de la filière arboricole.
« L'application d’un produit phytosanitaire autorisé sur une culture attractive pour les pollinisateurs en floraison doit être réalisée dans les deux heures qui précèdent le coucher du soleil et dans les trois heures qui suivent le coucher du soleil », indique l’arrêté. Le texte précise dorénavant un créneau horaire, contrairement à l’arrêté précédent du 28 novembre 2003. Néanmoins, des dérogations sont possibles sur ces heures de traitements, dans les trois cas suivants : le traitement vise des nuisibles à activité exclusivement diurne, un traitement fongicide doit être mis en œuvre rapidement compte tenu de l’urgence liée au développement d’une maladie et le traitement est réalisé dans le cadre d’un arrêté de lutte obligatoire.
Toutes les substances sont concernées
Autre changement, l’arrêté de 2021 s’étend désormais, non plus aux seuls insecticides et acaricides, mais à toutes les autres spécialités : fongicides, herbicides, ainsi que les adjuvants, à l’exception des produits d’éclaircissage (et bien sûr des PNPP). Ces solutions ont l’obligation, à terme, lors de la délivrance ou du renouvellement de leur AMM, d’avoir été spécifiquement évaluées et autorisées, pour une utilisation sur une culture attractive en période de floraison ou sur une zone de butinage.
Quid des traitements bio ?
Pour l’instant, la plupart des phytos employés par les arboriculteurs bio sont utilisables lors de la floraison, comme des virus de la granulose, Bt, Armicarb, des soufres et bouillies bordelaises, et même le Curatio ou Flipper, bénéficiant pour 2023 d’une nouvelle dérogation. Certains ont néanmoins des restrictions sur les horaires de traitement (1). En revanche, les spécialités à base de spinosad et le Neemazal sont considérés comme dangereuses pour les abeilles. « Mais nous ne savons pas ce qu’il adviendra des produits qui vont bientôt effectuer une demande de réhomologation : auront-ils plus de restrictions ? », s’interroge Nathalie Corroyer, conseillère arboriculture à la chambre d’agriculture de Normandie.
Destruction des couverts
C’est surtout l’article 4 de l’arrêté qui interpelle, écrivant noir sur blanc que : « Lorsqu’un couvert végétal présent sous une culture pérenne constitue une zone de butinage, celui-ci doit être rendu non attractif pour les pollinisateurs préalablement à tout traitement insecticide ou acaricide ». Pour « rendu non attractif », comprendre donc fauché ou broyé, et ce, que le verger soit en floraison ou non.
Source : Fiche 5 Vergers – Agriconnaissances des chambres d’agriculture
Incompréhension
« Nous avons du mal à comprendre ces nouvelles mesures , témoigne Nathalie Corroyer. Surtout le fait que tous les insecticides soient logés à la même enseigne. Ainsi, si nous voulons utiliser un virus de la granulose en juin, nous devons broyer les bandes fleuries. Alors qu’il s’agit d’un insecticide bio extrêmement ciblé sur les lépidoptères et qui doit suivre les mêmes règles qu’un insecticide conventionnel plus toxique ! » La conseillère pointe aussi le fait, que l’utilisation de certains herbicides sans mention de danger pour les abeilles est possible le soir, même en présence de couverts, lorsque le verger n’est plus en floraison. « Nous avons du mal à voir la logique. »
Des mesures défavorables à la biodiversité
Pour François Warlop du Grab, ces mesures sont contre-productives, « mettant à mal les efforts effectués par les arboriculteurs pour développer des pratiques agroécologiques augmentant la biodiversité ». Ce que confirme Pascal Borioli, conseiller arbo et directeur du GRceta de Basse Durance : « Depuis une vingtaine d’années, nous déployons des stratégies de gestion de la strate herbacée des vergers, et nous voyons les bénéfices du développement de la biodiversité fonctionnelle. Les résultats arrivent et les pratiques se vulgarisent. L’arrêté met une fin brutale à toutes ces années de recherches ». Pascal Pineau, arboriculteur à Saint Pierre Montlimart, dans le Maine et Loire (240 ha de pommiers et poiriers, dont 30 % sont en bio), réalise depuis une dizaine d’années des semis de mélanges fleuris dans les inter-rangs de ses vergers : « Je ne comprends pas pourquoi il faudrait priver de nourriture des êtres vivants sous prétexte de vouloir les protéger d’un danger ! Si impact il y a, la biodiversité se reconstitue très vite. En broyant les couverts, la biodiversité est affaiblie au plus mauvais moment et s’en remet difficilement ».
Pas d’assouplissement possible
La profession arboricole a fait remonter ses inquiétudes aux autorités. « Nous aimerions qu’il soit au moins possible de garder les bandes fleuries toute l’année, si on utilise un produit bio autorisé en période de floraison et que l’on traite le soir. Mais pour le moment la réponse est non ! », indique Nathalie Corroyer . Pourtant nombreux sont les arboriculteurs, chercheurs, techniciens misant sur ces infrastructures pour aider à la régulation naturelle des maladies et ravageurs. « J’ai envoyé un rapport au ministère de l‘Écologie et de l’Agriculture montrant que les parcelles aménagées étaient de toute façon plus riches en biodiversité que les non aménagées. Et ce, même avec l’emploi d’insecticides, témoigne l’entomologiste Johanna Villenave-Chasset du laboratoire Flor’Insectes. Mais cela n’a pas fait avancer les choses. »
Broyage vs traitement
La spécialiste des insectes confirme qu’un broyage ou un fauchage est souvent plus néfaste qu’un traitement. « Lors d’un traitement, tous les insectes ne sont pas touchés : certains sont cachés, ou encore dans leur cocon, affirme-t-elle. En revanche le broyage les tue. Et ce, avant le passage d’un insecticide qui peut aussi leur nuire. Mais surtout après, on les prive de leur abri et de leur nourriture. C'est la triple sentence ! » Sans gîte ni couvert, les espèces disparaissent de la parcelle car elles ne peuvent pas se reproduire. « C'est le cas des abeilles solitaires, des bourdons, des auxiliaires tels que les chrysopes, les syrphes... La principale cause de diminution de la biodiversité est la dégradation des habitats. »
La résilience des parcelles aménagées
L’entomologiste fait part de ses nombreux relevés de biodiversité chez les arboriculteurs. « Sur une parcelle contenant une grande quantité d’aménagements, on retrouve, après un traitement, le niveau de biodiversité au bout d’une dizaine de jours. Les insectes se reproduisent très vite. » Johanna Villenave Chasset estime que cet arrêté a été pensé uniquement pour les abeilles à miel. « Mais la biodiversité, ce ne sont pas seulement les abeilles domestiques. Et ces dernières ne sont pas les seules pollinisatrices ! On veut protéger les pollinisateurs en ne traitant pas le soir, mais c’est Apis mellifera qui rentre dans sa ruche lorsque la température descend, alors que d’autres sont actifs en fin de journée. » À voir si le dossier pourra évoluer en 2024.
Frédérique Rose
(1) Se référer à l’AMM pour connaître les éventuelles restrictions.
Pour en savoir + :
6 fiches techniques détaillent l’arrêté : ici
Destruction des couverts même dans les cultures non attractives
Une liste publiée au Bulletin officiel du ministère de l’Agriculture précise les cultures dites « non attractives » pour les pollinisateurs : céréales à paille, autres cultures céréalières – hors sarrasin et maïs –, houblon, lentille, pois, pomme de terre, soja, vigne. Ces cultures ne sont pas soumises aux restrictions horaires de l’arrêté, sauf indications précisées dans l’AMM. Néanmoins – et cela concerne surtout la vigne – en cas de traitement insecticide ou acaricide, les couverts végétaux présents sous une culture pérenne doivent aussi être rendus non attractifs pour les pollinisateurs par fauchage, broyage ou roulage.
Des cas de contrôle par l’OFB
Des arboriculteurs des Hautes-Alpes témoignent de contrôles effectués par l’Office français de la biodiversité dans les vergers au printemps 2023. Un document publié par le ministère de la Transition écologique stipule que le non-respect des dispositions de l’arrêté peut être puni d’une peine maximale de six mois d’emprisonnement et d’une amende de 150 000 €.
Evaluer la toxicité des produits phytosanitaires vis-à-vis des abeilles
Toxibees est un moteur de recherche gratuit et accessible à tous : cet outil vous permet d’accéder rapidement aux informations sur la toxicité des produits phytosanitaires vis-à-vis des abeilles et des insectes pollinisateurs. Pour chaque molécule, une fiche d’identité est générée présentant des informations générales, le toxiscore ainsi que des détails sur le comportement de la molécule sur les abeilles et dans l’environnement, la comparaison de toxicité avec les autres molécules pour le même usage (herbicide, fongicide, insecticide, etc.) ainsi que des recommandations.