Très attendus, les chiffres de l’Agence Bio pour 2023, dévoilés hier 13 juin à Reims, sont en demi-teintes.
Côté production, le solde entrées-sorties en bio reste positif à 2 %, avec 61 539 fermes, soit 14 % des exploitations françaises. Si les surfaces certifiées bio augmentent de 3 %, celles en conversion dégringolent pour la seconde année consécutive, avec un recul de 30 %. Le signal est inquiétant pour les filières, « car les conversions constituent le réservoir de la bio pour l’avenir, et cette baisse sera ressentie au moins jusqu’en 2025 », alerte l’Agence Bio. Pourtant, 40 % des candidats à l’installation en agriculture souhaitent le faire en bio, stoppés actuellement par l’incertitude du marché. En revanche, « la flambée des déconversions n’a pas eu lieu, malgré les bruits alarmistes, souligne Jean-Verdier, président de l’Agence Bio. Preuve que la bio reste attractive, et que dans un contexte difficile de crise, les producteurs et productrices engagés résistent. » Au total, les surfaces bio françaises couvrent 2,76 millions d’hectares, soit 10,4 % de la SAU agricole, en repli de 0,6 %.
Arrêts quasi stables
Les arrêts sont quasi stables, autour de 5 % contre 4 % en moyenne les autres années, soit une perte de 168 251 ha. Si un tiers d’entre eux sont des départs en retraite additionnés de quelques liquidations ou changements administratifs, l’autre moitié concerne l’abandon de la conduite en bio : en 2023, 54 000 ha sont repartis en conventionnel, soit 24 000 ha de grandes cultures et 29 000 ha de surfaces fourragères, surtout en Occitanie, Nouvelle Aquitaine et un peu Grand Est. « Ces pertes pour la bio sont en partie liées aux difficultés de la filière animale pas assez poussée, analyse Laure Verdeau, directrice de l’Agence Bio. Si la bio a progressé en maraîchage, ce sont de petites surfaces. Et les reculs en fourragères et grandes cultures sont regrettables, car forcément les plus impactants sur la ressource en eau, sa qualité, les nappes phréatiques, le prix des traitements. Et les agences de l’eau qui veulent encourager la bio sur les zones de captage sont confrontées aussi aux difficultés du marché. »
Les éleveurs et leur cheptel en recul
Quant au taux des fermes mixtes – associant bio et non bio, avec des ateliers et espèces différentes et distinguables – il évolue peu, passant de 27 % à 28 %, « signe d’une volonté à ne pas stopper la certification », note l’Agence Bio. En élevage par exemple , « si certains ont suspendu la production laitière en bio, ils conservent leurs prairies et cultures en bio, pour pouvoir reconvertir leur troupeau dès que ce sera possible ». Les surfaces toujours en herbe, soit 37 % des surfaces, progressent de 46 000 ha, soutenues par les MAEC. Mais pour la première fois depuis quinze ans, le nombre d’éleveurs est en baisse, et le cheptel bio diminue, excepté les ovins viande et les abeilles. Les filières les plus touchées sont le porc (-6 %), les truies (-8 %) et les poulets de chair (-8 %). Les difficultés de la filière porcine sont surtout ressenties en Centre Val de Loire (cheptel -46 %), en Bourgogne Franche-Comté (-31 %), les Pays de la Loire (-27 %). « On constate des descentes de gamme voire un arrêt total », note l’Agence Bio. La flambée des coûts de production, notamment de l’aliment bio, la grippe aviaire pour les volailles, et la recherche du prix le plus bas possible côté consommateurs ont mis à mal des filières en plein essor, mais encore fragiles.
La vente directe en hausse
La crise du marché alimentaire en général, en repli de 4,7 % en valeur en 2023, plus encore qu’en 2022, affecte les ventes en bio. Et ce, malgré une inflation en bio de 7,7 % inférieure à celle de l’alimentation classique de 11,8 %. La part des dépenses en bio s’est rétrécie, passant sous la barre des 6 %, affichant 5,6 %, pour un marché maintenu à 12 Md€. « C’est une année de quasi stagnation pour la bio, liée à l’inflation et la baisse des volumes d’environ 7 %, éclaire Laure Verdeau. Mais plusieurs filières renouent avec la croissance, en dehors du vin toujours en positif avec une hausse de 9 % de ses ventes. » Les légumes frais (+3%), la crèmerie (+3%) et les boissons végétales (+2 %) progressent, alors que plusieurs filières sont encore à la peine comme les viandes (-9 %), les produits traiteurs, surgelés et mer (-7 %) et les fruits (-2 %). Point très positif, avec 14 % de part de marché, et 26 800 points de vente (en hausse de 5 %), la vente directe tire nettement son épingle du jeu, alliant le local et le bio : elle progresse de près de 9 %. Les artisans et commerçants (8 % des débouchés bio) et les magasins spécialisés (28 %) affichent une hausse également. « Malgré des fermetures, les magasins spécialisés bénéficient d’une augmentation des surfaces de vente des nouvelles ouvertures, et 2024 montre une reprise de la croissance », précise Jean Verdier.
Miser sur la restauration hors-domicile
Seule la GMS, vecteur de développement du marché ces dernières années, affiche un recul en valeur de 3,8 % de ses ventes en bio en 2023. « Pesant 50 % des achats bio, sa stratégie de déférencements dans ses 18 000 magasins rend la bio moins accessible et met à mal de nombreuses filières », pointe Laure Verdeau. La bio pâtit de moins de visibilité dans les rayons, « mais cette tendance à la baisse semble s’atténuer et se stabiliser, et des enseignes comme Système U, Intermarché s’engagent dans la campagne Bio Réflexe », appuie la directrice. Pour l’Agence Bio, la relance du marché ne peut se faire sans une forte dynamique de la restauration hors-domicile. « 91 % de la bio est consommée par les ménages chez eux, mais les Français réclament plus de bio à l’extérieur, dans leurs cantines notamment. » Hélas, le hors-domicile n’a pas pris le relais en 2023, régressant à 6 % en restauration collective, et se maintient à 1 % au restaurant. D’où la nécessité de faire appliquer cette loi Egalim, et de lever les freins : « Beaucoup de collectivités y parviennent, Toulouse, Marseille, Grenoble, Lyon, Paris, etc., et de nombreuses villes moyennes ou plus petites, c’est possible, la preuve », insiste l’Agence Bio. Les Armées ont déjà atteint près de 22 % de bio dans leurs repas. Les atouts de la bio sont multiples, prouvés scientifiquement, comme le confirme le dernier rapport de l’Itab. « De plus, elle garantit la souveraineté alimentaire tant recherchée », appuie Jean Verdier pour qui « la bio est à un palier, mais pas au tapis ». Atteindre 18 % de bio en 2027, conformément au PSN – Plan national stratégique –, nécessite plus que jamais l’implication de tous, et notamment des pouvoirs publics.
Christine R-F.
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