Docteur en agronomie et agriculteur bio près de Frankfort, Felix Prinz zu Löwenstein est président de l’Union allemande des producteurs, transformateurs et distributeurs bio (Bölw- Bund Ökologische Lebensmittelwirtschaft), créée en 2002 (1).
L’Allemagne est un moteur de la bio européenne. Comment cela s’explique-t-il ?
Felix Prinz zu Löwenstein : L’agriculture biologique en Allemagne a une très longue histoire. C’est déjà dans les années 1920 que les anthroposophes, inspirés par Rudolf Steiner, ont commencé à définir une agriculture biodynamique comme alternative à une agriculture basée sur l’utilisation d’engrais chimique. Parallèlement, les premiers magasins bio se sont créés. Cela explique l’intérêt spécial des allemands dans la bio. Mais d’autres pays devancent l’Allemagne en terme de part de l’agriculture bio dans la surface agricole totale, l’Autriche avec presque 20 %, la Suisse ou le Danemark. D’autres la dépassent en nombre de paysans. C’est le fait d’avoir la population la plus importante de l’Union européenne qui rend le marché allemand si important. Et d’ailleurs, la France rattrape l’Allemagne à grande vitesse… !
Comment évolue la filière bio allemande ?
Actuellement, nous comptons 23 000 paysans bio qui travaillent une surface d’environ 1 million d’hectares, soit presque 6 % dela SAU, en progression de 2,3 % l’an dernier, ce qui est insuffisant. D’autant plus que les ventes d’aliments bio s’élèvent à presque 6,59 milliards euros, en hausse de 9 % entre 2010 et 2011.
Et la croissance se poursuit ?
Il faudrait 10 000 paysans bio supplémentaires pour répondre aux besoins. Le marché se développe d’une façon satisfaisante. Les problèmes d’E. Coli “EHEC” n’ont pas causé de tort à la filière. Les consommateurs ont compris que malgré le fait qu’une entreprise bio a été le “distributeur” du produit incriminé, ni cette entreprise ni le système de production bio n’étaient en cause. En revanche, la fraude italienne a été un vrai défi pour la filière, bien que par la suite, la quantité de céréales concernées se soit avérée beaucoup plus faible que le chiffre annoncé. Mais cela a coûté de la confiance ! Le cas des germes résistants aux antibiotiques a plutôt convaincu les consommateurs qu’acheter bio était la bonne réaction. Ils comprennent que la cause de tous ces problèmes se trouve dans la production animale industrielle – et pas dans la bio. Cela n’a pas entraîné d’effet négatif sur le marché bio.
Comment se répartissent les modes de distribution ?
Dans les années 2005 à 2009, les grands supermarchés étaient les moteurs du développement ; depuis 2010, les magasins spécialisés, le “Naturkosthandel”, ont regagné pas mal de terrain. Actuellement, ce sont eux qui portent la croissance du marché. En même temps, ils se sont professionnalisés. Les petits magasins disparaissent au fur à mesure tandis que les chaines de supermarchés bio ouvrent une filiale après l’autre.
Il est important de savoir que seulement 2 % des consommateurs déclarent se nourrir uniquement des produits issus de l’agriculture biologique. 11 % les achètent régulièrement – mais seulement pour une partie de leurs achats –, 80 % prennent un produit bio par mois et ce n’est qu’une petite minorité qui déclare ne jamais acheter d’aliments bio. Cela signifie qu’il n’est pas nécessaire de convaincre davantage de consommateurs pour agrandir notre marché. Il suffit d’encourager ceux déjà d’accord pour acheter bio d’accentuer cette tendance.
Comment se situent les besoins d’importations ?
Avec un marché qui a triplé ces 10 dernières années et une production qui n’a “que” doublé, il est évident qu’il est de plus en plus nécessaire d’importer. L’Espagne et l’Italie sont les plus grands fournisseurs de produits bio – surtout de légumes et de fruits. Nombre de céréales nous arrive des pays de l’Europe de l’Ouest. La traçabilité et les contrôles officiels demandés par la réglementation européenne ne suffisent pas. Il faut que chaque opérateur qui s’engage dans ce marché connaisse son interlocuteur commercial. Si on n’achète que les produits aux prix les plus bas, on court un risque !
Quelles sont les mesures publiques stimulant les conversions à la bio ?
En Allemagne, ce sont les Länder qui ont la responsabilité des programmes agro-environnementaux. Traditionnellement, ceux du Sud – notammentla Bavièreet Baden-Württemberg – sont les plus engagés pour une agriculture paysanne et biologique, et regroupent le plus de fermes bio. En Allemagne de l’Est, c’est surtout Mecklenbourg-Vorpommern qui attire le plus ce mode de production. Mais au Nord, le Schleswig Holstein semble avoir perdu tout intérêt pour l’agriculture bio. On y a carrément stoppé tout paiement pour la conversion et le maintien. Le plus grand problème vient de la méthanisation. Les aides sont tellement élevées que les paysans bio sont pénalisés par les prix des fermage en hausse.
Quelle politique agricole commune défendre pour développer davantage la bio ?
L’Europe déploie des moyens énormes pour financer l’agriculture – mais comme 80 % des 55 milliards d’euros sont donnés sans aucune contrepartie, cet argent ne peut pas faire évoluer l’agriculture européenne. Il faut tout d’abord définir quelle agriculture on veut en Europe, puis orienter les aides vers des programmes permettant d’atteindre les objectifs. Actuellement, les aides à la bio ne couvrent pas les coûts qu’implique une agriculture responsable et durable en comparaison des bénéfiques qu’elle procure. Il faut dépenser l’argent public pour créer des biens publics !
Propos recueillis par Christine Rivry-Fournier
(1) Felix Prinz zu Löwenstein a participé à l’inauguration du salon Biofach de Nuremberg le 15 février, et est intervenu au Séminaire international de l’Agence Bio le 1er mars à Paris.