Réalisé avec la participation d’une quarantaine d’experts, ce travail a été restitué le 16 avril 2014 à Valence lors de la 3e édition de Bio N’Days. Plus de trois cents professionnels, transformateurs, fournisseurs, organismes de développement et institutionnels y ont assisté.
« Après plusieurs années de croissance à deux chiffres entre 2007 et 2011, les marchés bio voient leur croissance fléchir, et ils sont sensibles aux facteurs externes, qu’ils soient économiques, sanitaires, sociaux et environnementaux, résume Nicolas Bertrand, directeur d’Organics Cluster. Il est important de se doter d’outils de prospective pour faire face aux futurs enjeux. Cette étude est une aide à l’analyse et à la décision, pour activer des leviers de croissance adéquats. » L’alimentaire et les cosmétiques sont les deux secteurs visés.
L’étude prospective, orchestrée par le cabinet Futurible, propose 4 scénarios élaborés suite à 3 journées de « brain storming » suivies par les 40 experts. Tous les domaines y étaient représentés, production, alimentaire, cosmétique, recherche et expérimentation, distribution… « Nous partons du principe que l’avenir n’est pas déterminé et que l’homme contribue à la bâtir, continue Nicolas Bertrand. Ces différents scénarios anticipés visent à mieux discerner ce qui est essentiel de ce qui est mineur, et d’enrichir sa réflexion sur les stratégies et les positionnements à adopter. »
Capter les tendances
La méthode de Futurible consiste à identifier les acteurs et les facteurs qui ont un impact fort sur l’évolution passée, présente et future de la bio, d’observer leurs interactions, d’évaluer leurs évolutions possibles compte tenu des facteurs de rupture. Ceux-ci peuvent être une innovation, un seuil ou la volonté humaine, comme l’attribution d’aides ou la modification d’une réglementation. « Nous opérons ainsi une veille déterminant les signaux faibles que nous décryptons, explique Cécile Wendling, directrice d’étude chez Futurible. Il s’agit de capter les tendances qui vont engendrer les évolutions de demain. »
L’arrivée du robot Oz par exemple, utilisé pour désherber en maraîchage, est le signe de l’entrée de la robotique dans la bio. Une évolution pouvant être déterminante pour réduire les coûts de production, rendre le métier plus attractif….Autre « signal faible » mais initiateur d’un profond changement : la mise au point de Lapka, un détecteur de mesure de pesticides sur les aliments à partir d’un logiciel téléchargeable sur son smartphone et d’un petit capteur. « C’est l’apparition de citoyens-contrôleurs qui vérifieront eux-mêmes d’éventuels risques de contamination, également de l’eau, de l’air, des ondes électromagnétiques…, avec la mise des données en ligne pour informer la communauté. » Voici les 4 scénarios présentés pour l’alimentaire.
Scénario 1 : la continuité
Ce scénario tendanciel évoque une bio en extension dans un contexte de crises sanitaires et environnementales, de réduction du pouvoir d’achat, avec le maintien des aides publiques et une concurrence vive entre bio et conventionnel. La recherche, par le consommateur, d’une bio « moins trafiquée » provoque un glissement des types de consommation vers le vegan ou le crudivorisme par exemple. On assiste à une démocratisation des produits bio, avec des prix à la baisse, que la concurrence exacerbée entre les opérateurs, amplifie. L’amélioration des compétences des professionnels bio et le soutien public favorisent l’innovation, et la multiplication des Mooc (plateformes de formation ouvertes à tous et à distances). Mais la forte concurrence détériore les avantages de la bio. Et les systèmes bio et conventionnels se rapprochent, notamment surles circuits courts. Les Amap s’épuisent, et doivent innover pour recruter, en s’associant par exemple à des monnaies locales ou en proposant des échanges de services. La multiplicité des labels perturbe les consommateurs. Les surfaces bio restent au dessous de 10 %.
Stratégies gagnantes : il s’agit ici de réassurer le consommateur au-delà du bio, ave un label clair et fort, une qualité du produit gustative et nutritionnelle, des démarches de transparence et de traçabilité. Par exemple, indiquer l’origine exacte des produits, présenter en détail le process. D’où la nécessité de se regrouper pour améliorer ses compétences et ses stratégies.
Scénario 2 : bio gagnante
A partir d’un même contexte de crises, ce scénario évoque une bio basée sur une économie de partage. Les éléments de rupture avec le scénario 1 sont la forte volonté politique et sociale, un cahier des charges exigeant, une très bonne visibilité sur les aides et la contractualisation.
Cette hypothèse met en avant la reconnaissance des externalités positives de la bio, sur l’environnement, la santé, le lien social, l’emploi…Les citoyens sont prêts à payer un peu plus cher les produits pour dynamiser l’économie locale. La réglementation exigeante intègre la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises). Les aides publiques privilégient les investissements à moyen et long termes. Les acteurs se fédèrent et contractualisent. Le secteur bio est très participatif. Il intègre la « sharing economy » (l’économie circulaire), l’intégration sociale, les Fab Lab (fabrication ouvert au public).
Les surfaces bio et le nombre de producteurs augmentent. La montée des compétences et les partenariats durables et équitables favorisent la qualité et l’adhésion des consommateurs. Les circuits de distribution sont variés, personnalisés, avec des acteurs indépendants regroupés sur un mode collaboratif. La GMS revoit son modèle, implante des superettes de quartier.
La bio 3.0 intègre les innovations sociales, technologiques, organisationnelles (web, smartphone) sans négliger la proximité et les services.
Stratégies gagnantes : intégrer les critères de la RSE, devancer la réglementation vers une bio plus rigoureuse, favoriser la proximité pour les approvisionnements et la distribution, segmenter l’offre, communiquer sur les engagements de l’entreprise. Dans ce scénario, le consommateur, très engagé, est moteur (co-création de produits, implication dans la gestion de points de vente, cours de cuisine…).
Scénario 3 : Bio business
Dans ce scénario, les éléments de ruptures sont les successions de crises financières, la réduction des aides publiques, la diversité des réglementations, la main mise des grands groupes privés et la concentration des entreprises.
Les fonds d’investissements font leur apparition, certains étant orientés RSE et écologie. On assiste à une concentration horizontale et verticale du marché. Les exploitations agricoles, les TPE et PME se regroupent, fusionnent, deviennent des filiales de gros groupes. Les marges sont faibles, les prix sont volatiles et la rentabilité financière est le seul critère adopté. Les MDD dominent la moitié du marché, avec une hypersegmentation et des produits très haut de gamme. Les importations, notamment des pays de l’est et du Maghreb, explosent, car ces pays ont attiré les investisseurs. Les gros groupes intègrent les démarches RSE, Recherche et développement, commerce équitable, pour leur image. Ils entrent en bourse, et provoquent des spéculations et des bulles financières.
Les surfaces et le nombre d’agriculteurs bio augmentent, mais les petites structures sont fragilisées. Le marché est fermé aux nouveaux acteurs. La traçabilité et la qualité s’érodent.
Stratégies gagnantes : pour s’en sortir, les petites entreprises doivent se regrouper, que ce soient les fermes, les transformateurs ou les distributeurs indépendants. L’adossement à de grands groupes peut conforter les TPE et PME. Pour rendre la bio plus compétitive et plus accessible, il est nécessaire d’optimiser les coûts, faire des économies d’échelle et mutualiser les fonctions transversales des entreprises. Les structurations de filières sont indispensables. L’innovation décomplexée est moteur de croissance.
Scénario 4 : bio diluée
Les éléments de ruptures de ce scénario sont la prise de conscience environnementale, la nette amélioration des produits conventionnels et les crises affectant les produits bio.
La réglementation s’est durcie vis-à-vis du conventionnel, avec une forte réduction des pesticides de synthèse. Le conventionnel s’est donc amélioré, et intègre l’affichage environnemental. La bio subit des scandales sanitaires, des fraudes et devient moins crédible. Les aides publiques déclinent, et les agriculteurs n’arrivent plus à valoriser leurs produits. La bio plus exigeante est une niche de luxe. Les importations au rabais écornent l’imaginaire bio chez le consommateur. La bio ne recrute plus.
On assiste à de nombreuses déconversions, vers un conventionnel plus propre. La SAU redescend à 2 % . La concurrence du label rouge, du made in France est forte.
Les stratégies gagnantes : il s’agit de valoriser la qualité intrinsèque des produits, la naturalité du goût, les produits locaux, la saisonnalité, le conseil, la nutrition. Le défi est de ré-enchanter la bio, grâce à une position proactive, une « bio fun attitude ». La distribution doit théatraliser, animer, valoriser, donner du sens. Les projets doivent être cohérents sur tous les plans, avec une communication sincère et transparente.
Les réactions : privilégier le scénario 2
« Au regard de ces scénario, les enjeux sont de ré-enchanter la bio, la rendre plus compétitive en valorisant les externalités positives, et de la différencier par les innovations », résume Cécile Wendling, directrice d’étude chez Futurible. Pour les intervenants de la table ronde qui ont participé à l’élaboration de l’étude, les messages sont clairs.
Élisabeth Mercier, directrice de l'Agence Bio, souligne qu’actuellement, "nous composons avec le scénario tendanciel, et aussi le scénario 3- la bio business-. Le 4, on essaie de l’éviter. Quand il y a des idées fausses qui circulent, on réunit une cellule de crise au sein de l'Agence Bio. Cela aboutit souvent à ne pas communiquer pour ne pas enfler la rumeur, car ce ne sont, dans la majorité des cas, que des non évènements. Les risques de crises sont liés aux fortes attentes des consommateurs vers une bio fantasmée qui doit être idéale. En fait, nous travaillons depuis toujours sur le scénario 2, pour une bio vertueuse. »
Pour la directrice de l’Agence Bio, le projet de réglementation ne constitue pas une rupture. « Depuis 1991, il y a toujours eu un renforcement de la réglementation, vers plus d'harmonisation. La vinification et l'aquaculture ont complété ce cadre réglementaire européen. Au fil des années, on assiste à un mouvement en profondeur vis à vis de la transparence, de la traçabilité, des contrôles et de l'harmonisation des pratiques. » Le nouveau règlement va dans le sens tendanciel, et « va certainement engendrer un processus de négociation qui ne sera pas facile », estime cependant Elisabeth Mercier car certaines propositions seront difficiles à mettre en œuvre. « C'est un long processus d'autant plus que 28 pays sont concernés. » Pour la directrice de l’Agence Bio, il est essentiel que les acteurs de la bio se rapprochent pour construire un maillage et mieux communiquer ensemble.
Ré-assurer le consommateur
Didier Balanche, responsable national achats proximité-bio chez Elior, souligne l’intérêt de cette étude qui a fait intervenir des acteurs aux positionnements et aux visions très différents : « il est évident que nous devons ré-assurer le consommateur final, nous avons un rôle pédagogique d’autant plus que nous devons suivre aussi les cahiers des charges des collectivités locales. » Intégrer la bio durablement dans les cantines, surtout dans les villes importantes, « implique de structurer les filières, d’anticiper à long terme, pour regrouper des volumes suffisants. Nous contractualisons de plus en plus avec les producteurs. Il y a 10 ans, on importait 65 % de nos besoins en bio, aujourd’hui, la tendance s’est inversée», rappelle-t-il sans nier que les achats de proximité ne sont pas forcément bio, et que sur le terrain du local, la concurrence est vive avec les produits conventionnels.
Se renouveler, innover
Pour Marco Schlüter, directeur de Ifoam Europe, cette réflexion prospective est nécessaire, notamment dans le contexte de la proposition d’une nouvelle réglementation par la Commission : « la bio doit garder son rôle moteur, notamment au niveau des innovations. Nous sommes attaqués car notre système exigeant est le meilleur », résume-t-il. Il reconnaît que la bio doit « se renouveler, se positionner vis-à-vis de l’avenir. Cela nécessite une vision adaptée à l’évolution de la société, en tenant compte des réseaux sociaux, et davantage associer le consommateur à notre travail. » La proposition de nouvelle réglementation « a de bonnes intentions, il faut travailler pour évaluer son impact, pour l’adapter à la bio que la filière, du producteur au consommateur veut développer », précise-t-il.
L’avenir des cosmétiques
L’avenir de la cosmétique bio n’échappe pas à cette remise en cause. Non régis comme l’alimentaire par une cadre réglementaire européen bio et fort, les cosmétiques et détergents sont peut-être plus fragilisés. « Le scénario 2 contient beaucoup de vérités sur les perspectives d’avenir, commente Betty Santonnat, directrice de Cosmébio. Le marché est atomisé, diversifié. Les petites structures, porteuses d’innovations, le dynamisent, alors que les gros groupes sont moteur. » Pour Cosmébio, il faut maintenir le niveau d’exigence pour conforter le lien de confiance avec les consommateurs.
" L’association Cosmos, et son référentiel privé, ainsi que la nouvelle Charte permettent de mutualiser les avancées de tous au niveau européen, que ce soit au niveau technique que éthique, ce qui renforce notre secteur », poursuit Betty Santonnat. Pour elle, il faut y ajouter les valeurs de départ, comme le commerce équitable et la RSE, qui ont motivé les pionniers, et qui vont au-delà des exigences techniques.
Christine Rivry-Fournier
3e édition de Bio N’Days
Ces deux jours de convention d’affaires, les 16 et 17 avril 2014 à Valence, ont réuni plus de 300 acteurs de la bio pour des rendez-vous BtoB et des ateliers thématiques sur les enjeux actuels et d’avenir. « Il s’agit développer des coopérations concrètes entre les entreprises concernées par le secteur bio, industriels, distributeurs, prestataires, fournisseurs de technologies, support, financeurs publics et privés, recherche, formations, conseils, explique Frédéric Vignolet, président de Organics Cluser in Rhône-Alpes. Ce sont ces échanges d’idées qui contribuent à l’émergence de nouveaux projets afin de mieux répondre aux enjeux du marché. » Des témoignages de Organics Cluster au Brésil et en Pologne ont apporté une ouverture internationale à ces rencontres.