Coriandre bio : réactions au nouveau plafond sur les aides à la conversion

Le 06/09/2024 à 13:53 par La rédaction

Face à l’explosion des surfaces en conversion bio de la coriandre en 2024, la remise en cause du plafond des aides Pac pour cette culture met le feu aux poudres chez les producteurs engagés en Occitanie.

Alors que les surfaces françaises de coriandre bio, selon l’Agence Bio, affichent une croissance record, passant de 158 ha en 2020, à 1 092 ha en 2022 et à 2 036 ha en 2023, celles d’Occitanie qui bondissent cette année, pour atteindre 12 200 ha semées ce printemps, font exploser les compteurs… La prime Pac pour la conversion, de 900 euros l’hectare, attribuée à cette plante aromatique dans la catégorie PPAM2, et ce, sur une durée de cinq ans, a déclenché une ruée vers cette espèce, sachant que les aides à la conversion bio dans cette région, sont plafonnées à 18 000 €/an par exploitation (transparence Gaec). D’où une majorité de nouveaux engagements sur 20 hectares, dont un peu moins d’une moitié émanant de producteurs conventionnels. Face aux problèmes de financement de ces montants, la préfecture de région a publié un arrêté modificatif le 19 août dernier fixant, pour ces demandes, un montant maximum annuel d'aides Cab par exploitation de 2 700 € – plafonnées à 3 ha en 2024 – (avec transparence Gaec). Ce, alors que certaines parcelles étaient déjà récoltées, même si une part des surfaces n’était pas destinée à l’être. De son côté, le Cnab de l’Inao a précisé le statut de la coriandre, comme plante annuelle, et non plus comme semi-pérenne. Il n’est plus possible dorénavant de la cultiver sur une même parcelle, deux ans de suite, la rotation étant obligatoire pour les annuelles.

Des aides à 900 €/ha sur cinq ans

« Nous avions déjà averti la Draf ces dernières années, pointant ces tentatives de capter les aides coriandre par des agriculteurs peu vertueux », explique Jean Arino, conseiller bio à la chambre d’agriculture du Gers. D’autant plus que la majorité de la coriandre produite dans cette région n’est pas une espèce à feuilles, à ramassage manuel, pour laquelle cette aide de 900 €/ha est destinée, mais une coriandre graine, qui se récolte à la machine, et qui correspondrait à l’aide Pac PPAM1, de 350 €/ha. « Mais la Draf n’a pas estimé l’impact de ce montant sur l’enveloppe des conversions, dans un contexte agricole compliqué » , estime le conseiller. Lors d’une réunion de la commission céréales, le 6 juin, la somme nécessaire pour payer ces aides coriandre – plus de 10 millions d’euros par an sur cinq ans, soit un budget de plus de 50 millions d’euros – est apparue difficile à financer par le Feader et les agences de l’eau dont Adour-Garonne. Mais l’alerte n’a pas été donnée à temps.

 

Une chasse dénoncée aux primes bio

Aujourd’hui, les producteurs se disent mis au pied du mur. Dans le Gers, avec 7 600 ha semés en coriandre en 2024, ils sont 435 à être concernés – dont 200 nouveaux – sur les 2 200 agriculteurs bio de ce premier département de France en surface bio, avec au total 100 000 ha certifiés. Le Tarn-et-Garonne et la Haute-Garonne, enregistrent aussi chacun 2 300 ha de coriandre bio implantés. Si le nouveau contrat Pac de 2025 a réagi, réduisant l’aide à la coriandre à 350 €/ha pour 2025, les chambres d’agriculture de ces trois départements envisagent un recours auprès du tribunal administratif afin de «  faire respecter pour 2024 le contrat de production passé entre les agriculteurs et l’État dans le cadre de cette aide » . De son côté, l’administration pointe, pour la majorité des engagements une chasse aux primes bio abusive.

 

Reflet de situations difficiles

« Cette vague de conversion de parcelles en coriandre peut être considérée comme un effet d’aubaine, mais elle est aussi le reflet des difficultés techniques et économiques de la filière grandes cultures bio ces trois dernières années, qui peine à valoriser ses productions et qui s’inquiète pour son avenir, ne sachant pas vers quels assolements se tourner » , analyse Jean Arino. Implanter 20 hectares donne l’assurance d’un revenu minimum assuré. Dans cette région, outre le soja, les cultures bio ne sont plus suffisamment rentables, en blé et tournesol notamment, avec des marges qui ne cessent de baisser. « De plus, la tropicalisation du climat dans le Sud-Ouest intensifie les ravageurs – pyrale, héliotis et punaise –, qui pénalisent les rendements, sans solutions satisfaisantes » , déplore le conseiller. Même si la récolte en soja de cette année semble moins affectée par ces problèmes, les prix du blé et du tournesol, pas assez rémunérateurs, ainsi que les risques d’importation, inquiètent les producteurs de grandes cultures. « Aujourd’hui, pour convertir des terres en bio, il n’y a plus l’obligation de fournir des preuves de débouchés commerciaux , regrette aussi Jean Arino. En coriandre graines, le marché est quasi inexistant en France, estimé à 200 tonnes, et il y a des gros stocks, d’environ 3 000 tonnes aujourd’hui.  »

 

Quelles solutions ?

Quelles solutions pour éteindre le feu ? Maintenir les paiements pour 2024, au moins une partie, en s’appuyant par exemple sur les autres enveloppes Feader non utilisées dans les autres régions ? Ou utiliser la date butoir du 20 septembre pour faire appliquer son droit à l’erreur dans les déclarations Pac, sans pénalités et modifier son assolement ? Et quid des jeunes agriculteurs, dont l’installation a pris en compte des conversions en coriandre ? Dans ce contexte économique agricole compliqué et sur fond d’élections des chambres d’agriculture, le coup de projecteur mis sur la coriandre bio illustre les faiblesses de la Pac et le malaise des filières.

 

Identifier les autres failles

Pour la Fnab, « cultiver la coriandre dans ces conditions, sans intention de la commercialiser, s’éloigne d’une démarche de production de valeur ajoutée pour la bio et constitue un détournement des aides bio prévues par la Pac » . Pour 2025, elle souhaite que la profession identifie les autres cultures susceptibles de faire l’objet de détournement des aides sans mise en marché. La Fnab, dans un communiqué annonce « refuser que les aides bio soient dévoyées et souhaite éviter tout effet d’aubaine » . Pour autant, selon Philippe Camburet, son président, les conversions peuvent être liées à un contrat d’engagement de filières, difficiles à obtenir, « car personne ne franchirait plus le pas vers la transition écologique » . Pour lui, les seuls contrats à mettre en avant sont ceux de l’État, soit 20 % de bio en restauration collective garantissant des débouchés, et les objectifs de 18 % de bio en 2027.

 

Christine Rivry-Fournier