Leader de la bio aux USA, la Californie offre des conditions agricoles exceptionnelles, et un marché « organic » en plein essor, aspirant à une alimentation bio garantie sans OGM, pesticides, antibiotiques, hormones de synthèse… Or, la sécheresse qui brûle la côte ouest depuis 3 ans devient inquiétante.
Les 9 derniers mois n’ont jamais été aussi secs dans le nord de la Californie. À la ferme de Bob et Noreen Camozzi, dans la vallée de Sonoma au nord de la baie de San Francisco, le paysage est jauni à perte de vue, l’herbe est brûlée et les animaux n’ont plus rien à pâturer depuis des semaines. « Heureusement, nous faisons toujours des réserves d’eau et de fourrages, mais cette année, nous en arrivons à bout, il est urgent qu’il pleuve », avoue Bob Camozzi, en bio depuis 2002. Cela fait 3 ans que cette sécheresse sévit et s’accentue dans cette région au climat plutôt méditerranéen, réputée pour ses cultures de fruits, légumes, vignes et ses élevages. Les chiffres du manque à gagner commencent à peser : au total, on estime cette année que la sécheresse va coûter 17 100 emplois et 2, 7 milliards d’euros à l’agriculture californienne. Elle impose à tous les producteurs de savoir s’adapter avec des espèces moins gourmandes en eau, une meilleure maîtrise du goutte à goutte, l’utilisation de couverts et de mulchs…
« Nous multiplions les réservoirs pour récupérer l’eau de pluie en hiver, car les rivières et les nappes phréatiques sont mal en point », déplore Bob Camozzi, qui commence à s’inquiéter pour l’avenir, d’autant plus qu’il envisage d’installer ses 5 enfants, tous très motivés, sur des fermes bio. À cause de ce manque d’eau, les cours des aliments pour le bétail grimpent en flèche, réduisant la marge des éleveurs, même si Organic Valley, la coopérative qui rachète son lait, en soutient le prix, boostée par un marché porteur. « Nous devons être le plus autonome possible pour nous en sortir, donc je rachète des terres pour produire un maximum de fourrages, luzerne, pois, afin de sécuriser l’alimentation de mon troupeau », explique l’éleveur.
Des conditions favorables
Pourtant, la Californie est le paradis de l’agriculture bio, même si celle-ci ne couvre encore que 1 % de sa surface agricole : ses vallées fertiles, ses rivières et la chaleur favorisent les cultures bio qui ont le vent en poupe. À lui seul, cet État concentre 23 % des surfaces bio américaines, et la moitié est irriguée : 3 008 fermes et 563 000 ha sont certifiés bio. Et on est loin du mythe de l’immensité : 58 % des fermes ont moins de 20 ha et 8,6 % plus de 440 ha, pouvant dépasser le millier d’hectares. Les fruits et légumes dominent largement. « De nombreux pionniers sont venus s’y installer depuis une trentaine d’années, et aujourd’hui, ces fermes et entreprises qui ont prospéré côtoient de petites structures plus modestes, dont beaucoup se tournent vers la vente directe, très porteuse », relate Jake Lewin, président de CCOF (California Certified Organic Farmers), l’organisme certificateur leader en Californie. Et le marché est à portée de main, comme autour de la mégalopole de San Francisco – 7 millions d’habitants dotés d’un fort pouvoir d’achat. « L’agriculture bio ne cesse de s’y étendre, et les entreprises de transformation affichent des progressions à deux chiffres. Les Californiens, sensibilisés à une alimentation plus saine, sans OGM et soucieux de respecter la planète, sont demandeurs. De nombreuses chaînes de magasins spécialisés ou non proposent des produits bio », s’enthousiasme Monique Marez, responsable internationale d’OTA (Organic Trade Association), association nationale de développement de la bio. Ce, d’autant plus que le pays renoue avec la croissance.
En lait, vers plus d’autonomie
À la ferme de Bob Camozzi, qui élève 400 vaches laitières Holstein et 100 génisses sur plus de 500 ha (300 ha de pâtures, 200 ha de cultures), la bio a été une vraie renaissance, − « ce mode de production a redonné du sens à mon métier et à ma vie », confie-t-il, et sa réussite a été contagieuse. « J’ai aidé mon frère et mes voisins à se convertir car, en conventionnel, c’était devenu trop difficile, une fuite en avant. Ils m’ont d’abord observé, et comme mes animaux ont retrouvé une bonne santé, sans problèmes sanitaires, ils m’ont suivi, même s’il n’y a pas d’aides à la conversion (1). La coopérative Organic Valley nous appuie techniquement, et si besoin financièrement, avec une garantie de prix d’achat du lait stable, c’est sécurisant », se réjouit le fermier, dont le ranch familial est implanté ici depuis 4 générations. Aujourd’hui, autour de chez lui, sur les cantons de Marin et Somona, 80 % des élevages laitiers sont en bio, avec en moyenne 400 vaches par ferme, alors que la moyenne nationale des apporteurs à Organic Valley est de 70 vaches. « D’octobre à juillet, nos animaux sont à l’herbe, au pâturage, mais comme il n’a pas plu, c’est difficile, il faut les nourrir avec les réserves de fourrages, de céréales et protéagineux. Comme nous ne sommes pas assez autonomes, nous achetons du maïs, de l’orge, un peu d’avoine et de soja à Organic Valley, en 100 % bio bien sûr et sans OGM, c’est imposé par la réglementation bio fédérale Nop, et nous devons le prouver (2) », explique l’éleveur.
L’appui d’Organic Valley
Aucun antibiotique n’est autorisé. Les antiparasitaires le sont en bovins laitiers seulement, à condition de ne pas vendre la viande en bio : « nous évitons tout stress à nos animaux, et les traitons à la phytothérapie si besoin. Les veaux sont nourris au lait, les vaches sont traites deux fois par 24 h, à 3 h du matin et 14 h, c’est une habitude familiale. Elles font 6 à 7 lactations, en produisant en moyenne entre 22 et 28 litres par jour », poursuit sa fille aînée Stephanie, revenue s’installer à la ferme – son rêve – après avoir travaillé à l’extérieur. « Je voulais qu’elle fasse des études et aille voir ailleurs pour être bien sûre que sa vocation était ici. C’est la même chose pour mes fils et ma petite dernière, mais tous veulent nous rejoindre ». L’objectif de Bob est de les installer chacun sur une ferme. Actuellement, son activité génère 5,5 emplois temps plein. « L’appui d’Organic Valley nous rassure sur l’avenir, et nous n’avons pas peur d’investir ; les projets ne manquent pas », affirme-t-il, très fier de sa réussite. Créée en 1988 dans le Wisconsin, la coopérative dédiée à la bio est devenue leader : Organic Valley compte 1844 adhérents fermiers, dans 36 États, et même au Canada et en Australie, et vend 284 millions de litres de lait, ainsi qu’une large gamme de produits laitiers, pour 1,1 milliard d’euros de CA en 2013. « Les profits vont à 45 % aux fermiers, 45 % aux salariés, et 10 % au fonctionnement de la communauté, détaille Mike Griffin, responsable de la région Ouest de la coopérative Organic Valley. Nous soutenons les fermiers qui veulent se convertir, et aussi les jeunes non issus du milieu agricole, mais motivés pour favoriser les transmissions, à travers Gen-O, un programme spécifique. »
Christine Rivry-Fournier
(1) Il existe un aide fédérale à la certification.
(2) Par la traçabilité et pour les contaminants (pesticides, métaux lourds), par des analyses qui garantissent être au dessous de 5 % des normes sanitaires nationales. Pour les OGM, aucun seuil n’existe, des dispositifs de non contamination devant être mis en place.
Trois niveaux de certification
- 100 % organic (55 %)
- 95 % et + organic (37 %)
- 70 % et + « Made with » (8 %)
Trois niveaux de certification sont possibles : les produits 100 % bio sont majoritaires, issus de cultures et de procédés totalement bio. La catégorie 95 % est en hausse, tandis que celle instituée « Fait avec », contenant 70 % des ingrédients bio et sans présence du label, perd du terrain.
L’« éco-conscience » en marche
→ Aux USA, le marché des aliments biologiques atteint 25,3 milliards d’€ en 2013, confirmant sa place de marché leader. Après une récession en 2009-2010, il a progressé de 2,5 milliards d’€ en 2013, soit un bond de 11,5 % (contre 3 % pour le marché conventionnel).
→ Avec 46 % des ventes supplémentaires, les fruits et légumes sont les grands gagnants de cet envol, totalisant 9,2 milliards d’€ de ventes.
→ 8 sur 10 familles américaines disent avoir consommé au moins un aliment bio durant l’année. 43 % des consommateurs bio déclarent privilégier la nourriture bio pour leurs enfants. Leurs motivations : refus des OGM, pesticides, antibiotiques, hormones et privilégier la qualité et le local. Recycler et réduire la consommation d’énergie deviennent aussi des priorités revendiquées.
(Source : Organic Trade Association)
L’agriculture bio aux USA en 2014
Au total, 14 326 fermes et 2 448 000 ha sont certifiés bio (un peu plus de deux fois la surface française), soit 0,7 % des surfaces totales agricoles des USA (+ 10 % depuis 2011).
→ 8 923 fermes cultivent plus de 50 % des surfaces en bio, soit 1 160 000 ha (moyenne : 130 ha par ferme)
→ 5 403 fermes ont moins de 50 % des surfaces en bio, soit 1 288 000 ha (238 ha en moyenne par ferme)
→ 4 187 transformateurs sont certifiés par 67 organismes certificateurs accrédités.
→ La bio est régie par la certification Nop (National organic programm) datant de 2002. L’accord d’équivalence avec l’Union européenne date du 1er juin 2012.
(source : USDA)
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