ÉDITO Biofil n°112 - juillet-août 2017
Que sortira-t-il finalement de la nouvelle réglementation bio européenne ? Au bout de trois ans, la lassitude commence à se faire sentir. Réuni le 12 juin, le Conseil des États membres, c’est-à-dire des ministres de l’Agriculture, décide d’arriver, coûte que coûte, à un compromis avant la fin de la présidence maltaise. C’est-à-dire fin juin. Et ce, quitte à laisser de côté les deux sujets brûlants, qui semble-t-il, provoquent le plus de dissensions au sein des 27 États : le lien au sol en culture, et la fixation de seuils de détection des résidus de pesticides. D’où la mobilisation des organisations professionnelles bio françaises, inquiètes de cette décision, porte ouverte à des incertitudes juridiques. Ensemble, l’APCA, Cebio, Coop de France, la Fnab, le Synabio et le Synadis bio tirent haut et fort la sonnette d’alarme.
Pour elles, porte-parole de la bio française, trois lignes rouges ne doivent être dépassées. D’abord, elles refusent la culture en bacs, actuellement autorisée par dérogations nationales par les pays du Nord (Suède, Finlande et Danemark), et qui pourraient s’étendre à tous les pays scandinaves et baltes. “La culture hors-sol est inacceptable en bio, en contradiction manifeste avec le lien au sol et la rotation des cultures, deux fondements de la bio, garants de sa cohérence agronomique et environnementale”, rappellent-elles. Autre ligne rouge, la mise en place des seuils de résidus, laissés à la discrétion des États membres, donc pas forcément les mêmes pour tous, ou pas mesurés de la même façon. D’où des distorsions de concurrence et des interrogations sur les dédommagements en cas de déclassements. Un vrai danger pour la crédibilité de la bio. “La bio doit rester avant tout une obligation de moyens, rigoureusement contrôlée à tous les stades.”
Si ces deux lignes rouges sont reportées à d’autres lustres, pour favoriser le compromis, la troisième ligne rouge française semble avoir été franchie : des dérogations aux contrôles annuels pourraient être acceptées. Et pourtant, ce principe est considéré comme essentiel pour conserver la confiance du consommateur. Sur ce point aussi, toutes les organisations professionnelles bio françaises sont à l’unisson. Mais le nouveau ministre de l’Agriculture, lors de la réunion des États membres, est semble-t-il, resté en retrait, sourd aux demandes de la profession de défendre ce principe. La recherche d’un compromis justifie-t-elle de tirer la bio vers le bas, au détriment de son éthique et de ses valeurs fondamentales ? Et aussi au risque de décevoir des millions de concitoyens qui lui font confiance ? La limitation de la taille des élevages, l’usage d’ingrédients non bio dans les aliments sont autant d’autres points qui restent en suspens.
Le succès monterait-il à la tête de la bio européenne, gourmande de prendre des parts de marché ? Que reste-t-il du projet initial de l’ex-commissaire Dacian Ciolos, soucieux de renforcer la confiance des citoyens, en harmonisant les règles européennes et supprimant les dérogations ? Malgré les avancées significatives contenues dans le reste du projet, la déception est de mise (1). En pleine croissance bio, la France – leader bio en Europe – doit savoir convaincre de la pertinence de sa vision. Et elle doit aussi continuer, également via ses politiques publiques nationales et régionales, à soutenir ce secteur en pleine ascension et porteur d’espoir.
(1) Nous y reviendrons en détail dans le prochain Biofil.
Christine Rivry-Fournier
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