“+ 30 % de lait bio en 2011, comment les producteurs s’organisent”. Cette problématique a été au centre d’une des conférences de La Terre est notre métier, salon professionnel breton de Guichen en octobre dernier. Des producteurs du Grand Ouest (Bretagne, Pays-de-la-Loire, Basse-Normandie), où se concentre 60 % de la production nationale, se sont penchés sur l’avenir de la filière. En effet, quelles qu’en soient les motivations – aboutissement d’une démarche, choix économique…–, les conversions s’envolent. Alors, comment gérer les futurs volumes ? Les importations vont-elles diminuer ? Les prix risquent-ils de chuter ? Autant d’interrogations pour un secteur qui amorce un tournant décisif. Les producteurs, premiers concernés, comptent bien prendre part à la construction de leur filière, pour un développement cohérent et pérenne de la bio sur le territoire. Et le maintien de prix rémunérateurs.
Maîtrise des volumes…
“253,9 millions de litres de lait bio ont été collectés en 2009 et l’accélération des conversions cette année fait prévoir + 64 % de volumes en 2012, selon l’observatoire des conversions du Cniel. Alors comment faire ?”, détaille Solen Le Davadic (1), qui anime la conférence pour la fédération régionale bio bretonne (Frab Bretagne). Des associations de producteurs sont en train de se créer au sein des laiteries. Impulsées par la Fnab, elles pourraient donner naissance à une fédération nationale. L’objectif des producteurs : se connaître et être reconnus. “Nous voulons maîtriser les volumes, tous ensemble, y compris ceux en conversion, pour éviter que des excédents ne fassent chuter les prix”, affirme le mayennais Éric Guihery (collecté par Lactalis). Car s’il est encore rémunérateur, le prix du lait n’est pas garanti… Certains souhaitent une meilleure visibilité, sachant qu’elle ne l’est parfois que de mois en mois ou tous les 6 mois. D’autres évoquent aussi un besoin de soutien en cas de sécheresse.
Plus de transparence
Lors de cette rencontre, un constat a été fait : les producteurs sont isolés, ils se connaissent peu, ou pas, même au sein de leur propre laiterie. “Jusqu’où irait-on dans les démarches ?”, questionnent-ils. Pour Éric Guihery, “il ne s’agit pas d’intervenir sur des stratégies internes d’entreprises pour faire plus de fromages ou moins de yaourts, mais d’obtenir plus de transparence sur les filières bio de nos laiteries”. Lait importé, destination finale de la collecte, conversions : autant d’informations nécessaires à une gestion collective des volumes. “Faudra-t-il réduire ou équilibrer la production dans nos fermes ?”, s’interroge Karin Sidler, du Calvados (Triballat). “La mutualisation est une piste pour la filière”, estime pour sa part Stéphanie Pageot, de Loire-Atlantique. Les réflexions sont en marche, mais tout reste à construire, y compris des liens renforcés avec les collègues bio d’autres pays européens.
Des opérateurs attentifs
“Nous avons accompagné les premières rencontres de producteurs bio, en octobre, assure Gérard Maréchal (contacté par téléphone), directeur technique de l’approvisionnement en lait chez Lactalis, à Laval. Elles nous paraissent intéressantes quand elles sont porteuses d’un projet pour l’avenir. Quant à gérer des volumes, cela nous interpelle. Nous les connaissons, ainsi que les besoins d’autres opérateurs tels que Triballat, Colarena, Le Gall ou Martin Montsurs. Nous travaillons sur la meilleure adéquation possible entre les volumes en conversion et nos marchés. Mais est-ce le cas de tous ? Des opérateurs de grosses et petites tailles — pas uniquement français – importent du lait pour des MDD. Nous avons d’ailleurs interpellé l’Agence bio et le Cniel sur cet aspect pour avoir des chiffres transparents”.
De son côté, la SAS Biolait, acteur 100 % bio, qui entend être un moteur dans la structuration de la filière laitière bio sur le territoire (couvrant 52 départements), représente aujourd’hui 20 % des producteurs français. “Nous déléguons au directeur la négociation auprès des laiteries, sur un principe de vente à la carte de la matière première, explique Jacques Chiron, éleveur laitier en Loire-Atlantique. Nous devons trouver des débouchés avant d’avoir les volumes réels, et ce, avec une contractualisation pérenne. Biolait permet à n’importe quel transformateur de lancer une gamme bio.” Une quarantaine de clients en bénéficie déjà.
Et les achats hors frontières ?
Estimés à près de 120 millions de litres, les achats hors frontières vont-ils se réduire – voire disparaître – d’ici deux ans, grâce aux nouvelles conversions ? “Restons prudents sur les appréciations, estime Gérard Maréchal. Entre une référence laitière et la livraison, on peut avoir une baisse, parfois jusqu’à 15 %, surtout avec de nouveaux producteurs. On compte aussi quelques retours en conventionnel pour diverses raisons. La sécheresse a même affecté des projets de conversion. Des départs à la retraite sont non remplacés. En outre, quelle sera l’influence des prix allemands, ou danois, plus bas ?”
Pour les producteurs présents à la conférence de Guichen, la proximité est essentielle : “les producteurs danois que nous avons rencontrés ne vivent pas de leur métier, rapporte Stéphanie Pageot. On ne veut pas en arriver là. Battons-nous pour des critères de qualité et de proximité.” Et Gérard Maréchal de préciser : “Pour nous, l’objectif est de tendre vers un lait 100 % français, malgré des spécificités frontalières. Interrogeons-nous quand même sur la notion de proximité : faudrait-il préférer un lait transporté depuis la Bretagne pour les zones du nord de la France ?”.
Quant à la négociation du prix, si la filière reste attachée à une base définie au niveau de l’interprofession (Cniel, Cil Ouest), des producteurs regrettent qu’il n’y ait justement pas de discussion sur le sujet au sein de la commission bio. Ils s’interrogent d’ailleurs sur son devenir. Les associations de producteurs pourraient-elles changer la donne ? “Hormis les primes, ces associations ne visent pas à négocier chacune un prix de base par laiterie, assure Ivan Sachet, à la Frab Bretagne. Leur objectif est de favoriser une cohérence de tous les acteurs sur la gestion de la filière.” Sept associations sont déjà constituées en Bretagne, Basse-Normandie et Pays-de-la-Loire, par laiteries et bassins de productions.
Frédéric Ripoche
À lire aussi : Biofil n°70 (Collecte, trouver les bons accords), 71 (A l’ouest, du nouveau à Tech et Bio).
(1) Etudiante en école d’ingénieur (Montpellier SupAgro), elle réalise un mémoire de fin d’étude “Quelle organisation de la filière laitière pour une meilleure valorisation du lait bio ?”.
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Lactalis, 1er collecteur en bio, “talonné” par Biolait
-Principales zones de collectes : Grand Ouest, Nord, Est
-Près de 80 millions de litres collectés en 2010 (+ 8 millions de litres par rapport à 2009), dont complément de collecte de 2 filiales françaises. Le volume de lait transformé serait un peu plus important (surplus de PME française en bio).
-300 producteurs en direct
-144 conversions engagées (prime : 30 euros/1000 l), mais n’accepte plus de producteurs extérieurs.
- + 50 millions de litres collectés en prévision d’ici 2012
- Prix bio : 420 euros/1000 l (moyenne sur 2010).
-Fabrications bio en 2010 : beurre et camembert Président, yaourts, produits frais et lait UHT Lactel (1), lait infantile, poudre, cancoillotte. Gammes élargies à la restauration hors domicile (RHD), notamment avec des micros pains de beurre.
-Lactalis conventionnel, France : 17 000 producteurs, 5,3 milliards de litres collectés.
Biolait : 45 millions de litres lait bio collectés (65 millions vendus), 460 structures agricoles dont 190 en conversion.
(1) Leader en lait de consommation bio à la marque Lactel (46,7 % de part de marché) contre 50 % pour les MDD (marques de distributeurs).