Ce rapport est le fruit de mois de travail d’un comité de 12 membres dont trois syndicats agricoles représentatifs, des associations, un chercheur, un expert et deux citoyens, de près d’une centaine d’entretiens, et d’une revue détaillée de la littérature scientifique. « Un travail considérable, exhaustif et très ouvert, précise Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes. Le rôle de la Cour était d’apporter l’éclairage objectif et impartial qui manquait encore sur ce sujet grand public, objet de nombreuses interrogations. » Et ce, dans un contexte où la bio est en plein essor, mais avec des voyants qui clignotent : le changement d’échelle entre 2010 et 2021 a fait bondir sa SAU de 3 % à 10 %. Sur cette période, la consommation bio a été multipliée par 3,5. Désormais, 13,4 % des fermes sont bio, soit 19 % des agriculteurs français. Or en 2021, alors que la consommation alimentaire totale des Français diminue de 2,3 %, le marché des produits bio baisse pour la première fois de 1,3 %. Et le repli s’accentue en 2022 en grande distribution non spécialisée (50 % des ventes de bio en 2021) - et spécialisée (27 % % des ventes).
Des bienfaits indéniables mais un soutien insuffisant
Pour la Cour des comptes, les bénéfices de l’agriculture bio, notamment en termes de santé et d’environnement sont indéniables. Au regard de ses externalités positives, elle déduit « que le développement de l’agriculture biologique est le meilleur moyen de réussir la transition agro-environnementale et d’entraîner les exploitations agricoles dites conventionnelles vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement ». Mais elle conclut : « La politique de soutien à l’agriculture biologique reste insuffisante. Depuis 2010, les programmes d’action successifs n’ont pas permis d’atteindre les objectifs de 15 % des terres agricoles en bio et de 20 % de bio dans les cantines publiques en 2022 ». La Cour constate que, dans tous les domaines, l’action du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire n’est pas en mesure de répondre aux ambitions affichées.
Des aides sous-dimensionnées
Pour affiner son approche, deux outils statistiques sont créés spécifiquement : Ricabio et Aides Bio. Le but de Ricabio est d’analyser les performances économiques comparées entre les agricultures biologique et conventionnelle « qui, si elles sont équivalentes dans l’ensemble, connaissent des variations selon les filières », explique la Cour. « Au-delà d’un effet de conjoncture, des interrogations sur la pérennité de l’équilibre économique de l’agriculture biologique sont apparues », constate-t-elle.
Grâce à l’outil Aides Bio, la Cour met en évidence des aides à la conversion et au maintien sous-dimensionnées entre 2015 et 2020. « Elles représentent une part marginale des aides Pac en France, soit 2,3 % via l’enveloppe conversion et 0,7 % via celle au maintien. » Dans sa lettre d’observations sur le PSN français, la Commission européenne a d’ailleurs pointé le dernier rang de la France concernant les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC). « Pourtant, la bio est le fer de lance de l’agriculture française », insiste Pierre Moscovici.
Pour une revalorisation des aides bio
La Cour alerte les pouvoirs publics sur le manque de communication concernant les impacts bénéfiques du bio. Elle pointe aussi l’illisibilité des labels qui contribue à la baisse des achats d’aliments bio en 2021 face à la concurrence croissante de labels « verts » moins exigeants – comme la mention valorisante Haute valeur environnementale (HVE). Elle regrette que ce dernier soit soutenu par le ministère au même niveau que l’agriculture bio. Son travail a certainement contribué à la création d’un troisième niveau dans l’écorégime du 1er pilier, et à la revalorisation de 30 €/ha/an de l’aide bio vs HVE, faisant suite à la nouvelle mouture du PSN – Plan stratégique national français –, présenté le 1er juillet. Cette rectification porte l’aide bio aux alentours de 112 €/ha/an.
Répartition de la valeur et hausse des rendements
Le rapport analyse aussi comment la politique publique contribue à la création et à la répartition de valeur au sein de la filière bio. Si des données éparses suggèrent une meilleure captation de la valeur par les producteurs bio comparés aux agriculteurs conventionnels, les données restent lacunaires. Enfin, selon la Cour, « la contribution de l’agriculture bio à l’autonomie agricole et alimentaire française dépendra de l’évolution de deux effets contraires : la meilleure autonomie des exploitations bio et leurs moindres rendements ». D’où la nécessité de renforcer la recherche, réduire le gaspillage alimentaire et limiter la consommation de protéines animales.
Les 12 recommandations
Pour contribuer à atteindre les nouveaux objectifs fixés par la France (18 % de surfaces agricoles bio en 2027) et par l’Union européenne (25 % de surfaces bio en 2030), la Cour formule donc 12 recommandations réparties en trois orientations.
Orientation n°1 : mieux éclairer les choix des citoyens et des consommateurs sur l’impact environnemental et sanitaire de l’agriculture biologique.
1- Clarifier les conditions de la HVE et proportionner les aides attribuées en fonction des réels bénéfices environnementaux des certifications.
2- Établir un plan interministériel de communication grand public sur les bénéfices de la bio
3- Valoriser tous les bénéfices de la bio dans la méthode de calcul du futur affichage environnemental sur les produits alimentaires
4- Corriger et enrichir l’appareil statistique public, afin de mesurer l’atteinte des objectifs fixés en matière d’agriculture biologique et comparer les différents modes de production agricole
5- Adopter un dispositif interministériel de suivi capable d’évaluer l’impact environnemental des mesures de la Pac mises en œuvre
Orientation n°2 : réorienter les soutiens publics à l’agriculture au profit de la filière bio
6- Pour la mise en œuvre de la future Pac, instaurer une rémunération pour services environnementaux de l’agriculture biologique dans le cadre de l’écorégime et renforcer les mesures agro-environnementales et climatiques (Maec)
7- Renforcer les moyens de la recherche et de l’innovation en agriculture biologique et en assurer la diffusion des résultats
8- Conforter le rôle de coordination de l’Itab – Institut technique de l’agriculture bio – en renforçant ses moyens, notamment par une mobilisation financière sensiblement accrue des interprofessions agricoles
9- Conforter et élargir les missions de l’Agence Bio et lui donner les moyens financiers et humains correspondants par une mobilisation financière sensiblement accrue des interprofessions agricoles et l’accroissement des subventions pour charges de service public
Orientation n°3 : favoriser la création de valeur au sein de la filière issue de l’agriculture biologique
10- Appliquer rapidement à l’agriculture biologique la loi Egalim 2 et en particulier, inciter à la contractualisation entre producteurs, transformateurs et distributeurs
11- Pérenniser le Fonds Avenir Bio à hauteur d’au moins 15 M€ par an et examiner la création auprès de BPI France d’un fonds d’investissement dans les industries agroalimentaires bio et d’un accélérateur au profit des PME agroalimentaires bio
12- Lancer, sous l’égide de France Stratégie, une mission prospective sur la contribution de l’agriculture biologique à l’autonomie agroalimentaire française et européenne ainsi que sur les moyens de la renforcer
Lire le rapport de la Cour des comptes : ici