Certaines régions décident la continuité, d’autres veulent y mettre plus ou moins de restrictions : les agriculteurs bio français risquent de ne pas être tous lotis à la même enseigne quant aux aides bio, surtout pour les aides au maintien et à la certification.
Partout en France, dans les régions où des restrictions d'aides se profilent – Champagne-Ardennes, Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), Basse-Normandie, Languedoc-Roussillon…–, les professionnels bio se mobilisent pour alerter l’opinion. Si, de leur côté, les aides à la conversion sont garanties les mêmes sur tout le territoire avec des montants majorés, elles suscitent aussi beaucoup d’inquiétude dans les campagnes, comme c’est le cas en Paca : « Nous constatons que l’enveloppe budgétaire prévue pour l’aide à la conversion est très largement sous-estimée et ne permettra pas d’atteindre les objectifs fixés par l’État, soit le doublement des surfaces d’ici fin 1017. Elle n'est pas non plus en cohérence avec les objectifs énoncés par la Région, puisque celle-ci vise 30 % des terres agricoles en bio », dénonce Marie Marange, présidente de Bio de Provence, la Fédération des agriculteurs biologiques de Paca.
Inquiétude en Provence-Alpes-Côte d’Azur…
A l’occasion de Tech&Bio, salon des techniques bio et alternatives pour les cultures pérennes tenu le 14 octobre 2014 à la station La Pugère, à Mallemort (Bouches-du-Rhône), les agriculteurs bio ont dénoncé les risques que vont entraîner ces décisions. Les aides au maintien sont également sur la sellette avec une enveloppe réduite.
« Cette aide nous est indispensable, nos rendements sont plus faibles, les risques plus élevés car nous n’avons pas de béquille de secours et, même au bout de 10 ans d’agriculture bio, notre système reste encore fragile », explique la présidente. Pourtant, -rappelle Marie Marange-, cette aide est une reconnaissance pour ceux et celles qui ont opté pour l’agriculture biologique car elle rémunère les externalités positives pour l’environnement et la société : meilleure qualité des eaux, amélioration de la fertilité des sols, moins de pollutions chimiques, plus d’emplois….
Quant à la remise en cause de l’aide à la certification, elle risque aussi de freiner l’essor de la bio, surtout si l’aide au maintien disparaît pour ceux qui se sont convertis il y a plus de 10 ans, comme cela se dessine. Pourtant, la Paca, 1ère région française en part de surface agricole bio, avec 15 % de sa SAU en bio (76 872 ha), ses 2 469 producteurs et 1 201 opérateurs (fin 2013), valorise cette image de marque. « Se convertir n’est pas une décision aussi facile à prendre », admet pour sa part Alain Baccino, président de la chambre d’agriculture du Var, vigneron bio depuis 2007 sur 50 ha en Côtes de Provence. « Il faut être cohérent, ne pas s’arrêter au milieu du gué et leur donner les moyens. Garantir 5 années d’aide au maintien après la conversion me paraît néanmoins raisonnable », nuance-t-il.
Pour Bio de Provence, pas question de baisser les bras : « Alors que l’Etat a prévu des crédits permettant de mobiliser environ 60 M€ pour le soutien des producteurs bio sur cette période, le Conseil Régional prévoit de n’y consacrer que 25 M€. Cela revient à prélever environ 35 M€ fléchés sur la bio en direction d’autres bénéficiaires qui ne sont pas clairement identifiés. Par ces arbitrages, le Conseil Régional envoie un signal politique fort et négatif aux agriculteurs déjà en bio ainsi qu’à tous ceux que la bio pourrait intéresser, mais aussi aux consommateurs et citoyens de notre région qui, de façon croissante, choisissent de réorienter une partie de leur consommation vers les produits bio locaux », déplore le communiqué.
Et dans d’autres régions françaises…
Depuis ces derniers mois, les négociations sont serrées dans les régions en pleine élaboration de leur Plan de Développement rural (PDR) pour les 5 prochaines années, dans le cadre des fonds Feader (Fonds européens agricoles pour le développement rural), qu’elles gèrent désormais. Jusqu’en 2014 inclus, les aides Pac (Sab-C pour la conversion et Sab-M pour le maintien) étaient financées à 100 % par l’Europe sur le 1er pilier, sans limitation malgré la progression des surfaces. Dans le cadre de la nouvelle Pac (2015-2020), ces aides le seront via le 2e pilier. Si le cadrage de ces dispositif est sous contrôle européen et national, le pouvoir de décision final de l’affectation des fonds revient aux régions. Pressions budgétaires oblige, mixées à des manœuvres lobbyistes de la part de l’agriculture conventionnelle en mutation agroécologique, font que la bio n’est pas (ou plus) forcément une priorité partout.
Les aides bio peinent ainsi à trouver leur place au côté du dispositif des MAEC (Mesures agroenvironnementales et climatiques), dont l’objectif est d’améliorer les pratiques agricoles, même si Bruxelles veille au grain en retoquant quelques propositions de maquettes régionales. Pourtant, les orientations du plan Ambition bio 2017 étaient claires, en s’engageant à mobiliser une enveloppe nationale de 160 M€ par an (25 % État, 75 % Union européenne).
Dans 22 régions, les calculettes sont en surchauffe depuis quelques mois. Les négociations entre les Conseils régionaux, les Draf et les professionnels de la bio (réseau Fnab, chambres d’agriculture, Coop de France…) sont menées tambour battant, avec plus ou moins de dialogue selon les régions, car tout doit être calé au 1er janvier 2015. La filière bio est sur le qui-vive.
La situation est d'autant plus sensible que le plan du ministère de l’Agriculture annonçait « une progressivité des MAEC et des aides bio à la conversion et au maintien, par laquelle les systèmes engagés en bio bénéficient d'une rémunération supérieure à celle de démarches environnementales moins abouties ». En plus simple, les producteurs bio devraient être mieux récompensés de leurs efforts, et de leur démarche exemplaire. Dans la réalité, ça coince aussi. Certaines régions proposent des montants de MAEC supérieures aux aides bio conversion ou maintien, même si elles sont territorialisées. En Languedoc-Roussillon ou en Paca, cela concerne les MAEC « Absence de traitement phyto de synthèse », « Lâchers d’auxiliaires » « Absence d’herbicides » en viti ou arbo qui peuvent être cumulables ; ou dans d’autres régions, comme les Pays-de-la-Loire, de la MAEC SPE (système polyculture élevage) territorialisée, susceptible d’être plus rémunératrice que l’aide bio aux prairies en conversion et en maintien. Le bio risque de perdre ainsi son rôle de moteur d’une agriculture durable, exigeante, respectueuse de la santé des hommes, des animaux et de la terre.
Difficile aussi de faire supporter entièrement aux consommateurs les externalités positives de ce mode de production. Ce, dans un contexte où les distributeurs font pression pour baisser les prix et rendre la bio plus abordable. L'objectif d' «une bio partout et pour tous » est-il en passe de devenir un vœu pieux ? Sans parler des distorsions de concurrence entre les régions et à l’intérieur même des territoires. Alors, les propositions de limiter les aides au maintien à 5 ans après la conversion, de les plafonner, de les zoner ou de les circoncire aux fermes 100 % bio ou par production.... commencent à provoquer quelques mobilisations publiques avec le lancement de pétitions. Certaines régions, comme Rhône-Alpes, les ont entendues. La nouvelle Pac ne doit pas pénaliser la bio. Ce serait un comble.
Christine Rivry-Fournier
(1) En Languedoc-Roussillon ou en en Paca, en viticulture, la MAE Phyto_3 (Absence de traitement phytosanitaire de synthèse) sera payée 400 €/ha, contre 350 €/ha pour l’aide conversion et 150 €/ha en maintien (pour ceux qui pourront encore la percevoir). En arboriculture, la MAE Phyto_7 (lâchers d’auxiliaire et confusion sexuelle)
sera payée 700 €/ha, cumulable avec la MAE phyto_20 (absence d’herbicide) à
233 €/ha : soit 933 €/ha, contre 900 €/ha pour l’aide conversion et 600 €/ha
en maintien.