La bio peut-elle améliorer la qualité des eaux ? L’expérience menée depuis plus de 20 ans sur le bassin d’alimentation des eaux de Vittel dans les Vosges en est la preuve.
En 1987, la Société Générale des Eaux Minérales de Vittel (SGEMV), dans le giron du groupe Nestlé Waters, s’alarme de l’envolée du taux de nitrates des eaux alimentant la source d’eau minérale. Celui-ci atteint parfois plus de 50 mg/l en zones de cultures intensives, sachant que les normes maximales en nitrates autorisées sont de 50 mg/l et de 10 mg/l pour l’eau minérale. “L’enjeu est de taille, Vittel SA est la plus grosse entreprise de l’ouest vosgien, avec 1 300 salariés… et aucune solution curative n’est envisageable en eaux minérales”, commente Marc Benoît, directeur de recherche à l’Inra-Sad de Mirecourt, à l’occasion des rencontres de l’Agence Bio, le 9 juin à Paris (lire p. 16 et 18).
Une situation préoccupante
L’état du bassin d’alimentation de Vittel, occupé en grande partie par une quarantaine d’exploitations agricoles, notamment des producteurs de lait et céréales, est à l’époque préoccupant. De 1988 à 2004, les chercheurs de l’Inra Mirecourt, ainsi que 8 autres équipes de recherche sont mobilisés pour proposer des solutions. “Toutes les eaux sont des jus de sols”, résume Marc Benoît. D’où l’importance de la qualité de ces sols pour améliorer celle de l’eau. Le diagnostic réalisé éclaire sur les usages en cours dans les exploitations, qui épandent plus de 30 t/ha de fumier, cultivent du maïs de façon intensive avec des pesticides, pratiquent un chargement en vache laitière supérieur à 1,6. Un cahier des charges est proposé. Proche de la bio, il réduit les pratiques à risques : il est plus sévère sur les épandages de fumier interdisant plus de 15 t/ha, mais autorise un maximum de 40 unités/ha d’azote minéral. “Le fumier et même le compost peuvent être une pratique à risque, explique le chercheur. En effet, les matières organiques se débobinent à un rythme qui n’est pas toujours celui de la captation des végétaux.”
Modifier les pratiques
Une société, Agrivair, filiale de Nestlé Waters France et dédiée à la protection des sources Vittel, Contrex et Hépar, soit un périmètre de 10 000 ha, est créée pour soutenir ceux qui acceptent d’adhérer au cahier des charges : 23 conventions sont ainsi signées dont 7 sont actuellement en bio (c’est-à-dire qu’elles renoncent aussi aux 40 U azote minérale à l’ha), 4 ont préféré déménager, 3 n’ont pas adhéré. L’objectif est de modifier les pratiques. L’agriculteur qui s’engage dans la démarche a aussi l’obligation d’abandonner tous les phytosanitaires issus ou non de molécule naturelle. La culture de maïs doit être remplacée par de la luzerne pour nourrir les vaches, des céréales (blé, mais aussi chanvre et sorgho) et des prairies permanentes en rotation sur 9 ans. Pour lutter contre les mauvaises herbes, le sur-semis est préconisé et, contre les maladies, la lutte biologique et la remise en état de la biodiversité par l’intermédiaire de haies, réintroduites sur 46 km, sont recommandées. Tout est très calculé, même l’alimentation, “car une mauvaise ration peut doubler la quantité d’azote dans la bouse produisant localement de 7 à 14 unités d’azote par hectare, explique Philippe Pierre, directeur d’Agrivair. Si le taux est trop fort, les nitrates traversent le sol sans être absorbés par les plantes et se retrouvent dans l’eau !”
Des avocats pour l’eau
En 5 ans, de 1999 à 2004, les résultats s’améliorent : le taux de nitrate baisse sensiblement. Il est vite tombé à 21 mg/l en situation de culture, à 17 mg/l en prairies pâturées et 7 mg/l en situation fauchées. Actuellement, le taux dans l’eau de Vittel est à 4,2 mg/l. Autre bénéfice : les résidus phytosanitaires ont disparu, mais cela a nécessité plus de patience pour l’atrazine. Bénéfi ce collatéral, les revenus des exploitations ont augmenté, en raison de la réduction des intrants. Cette démarche a été possible grâce au fort engagement d’Agrivair qui, entre autres, a doté chaque exploitation de 1,5 M d’euros afin d’accompagner les changements de pratiques, notamment en matériel. Des baux à long terme sur 18 ans minimum ont été proposés. Une démarche qui, pour Agrivair, revient à 0,10 €/ m3/an. “Passer tout en forêt aurait certainement permis de baisser plus rapidement les taux, mais l’implication de Nestlé dans les filières alimentaires ne lui permettait pas de le faire”, note Marc Benoît. En France, 42 % des surfaces sont concernées par ce problème de pollution. “Il faut donner sa chance au préventif mais il manque des avocats de l’eau sur le long terme, les élus ne réagissent qu’à court terme”, regrette le chercheur. Et de conclure : “force est de constater que l’empilement de lois successives sur l’eau n’a pas donné de résultats escomptés. D’où la nécessité de territorialiser les démarches”
Christine Rivry-Fournier
Biofil N°65, Juillet/août 2009