Marché des céréales bio : volumes en hausse et tension sur les prix

Le 06/01/2011 à 14:22 par La Rédaction


Dans le sillage du conventionnel, les prix des céréales, oléagineux et protéagineux se sont raffermis par rapport à l’an dernier, mettant en effervescence une filière encore fragile. Malgré une hausse globale de la collecte, la demande exerce une pression, dans un contexte européen tendu.

Selon l’Agence Bio, la surface en céréales bio française s’est accrue de 10,2 % entre 2008 et 2009, pour atteindre 103 448 hectares en bio et en conversion. En 2010, avec une hausse des surfaces en continue, la récolte a évolué à peu près dans les mêmes proportions, avec des variations selon les régions. Au total, en grandes cultures, la France compte 134 000 ha fi n 2009 (+ 14,1 %). Néanmoins, la demande soutenue exerce une forte pression sur le marché qui s’exacerbe, cette année, par un manque de disponibilités également hors frontières pour certains produits, comme l’épeautre ou le sarrasin. En effet, la filière en grandes cultures bio françaises, encore déficitaire, doit compléter ses approvisionnements sur les marchés extérieurs. “Les pays de l’Est ont subi des aléas climatiques exceptionnels, froid, pluie, qui ont nui aux cultures, aux céréales, blé, maïs, mais aussi au colza, tournesol…, explique un exportateur d’Outre- Rhin. En Allemagne, la récolte s’est faite dans des conditions difficiles, et la qualité boulangère des blés par exemple n’est pas au rendez-vous. ”

Premier pays consommateur bio d’Europe, l’Allemagne se voit donc contraint de compléter, par des achats à l’extérieur en grand épeautre, seigle mais aussi blé meunier… en Italie en priorité, mais aussi en France. “Dans l’Hexagone, les organismes stockeurs, selon les régions, annoncent également des baisses de rendements en blé et autres céréales, hormis en orge”, détaille un expert du comité de France Agrimer. Les mauvaises conditions climatiques locales, – pluie, froid ou sécheresse selon les régions –, sont également incriminées. La récolte de tournesol est annoncée très faible. Tout comme celle de maïs, très inégale, que les éleveurs ont tendance à utiliser dans leur élevage pour pallier le manque de fourrages.

Une collecte en hausse

Pourtant, le premier suivi mensuel de France Agrimer sur cette campagne dévoile une progression globale de la collecte de céréales (blé tendre, triticale, orge) de 17 % sur les deux premiers mois (juillet-août), par rapport à l’an dernier. La collecte de triticale, par exemple, fait un bond de 35 %, celle du blé tendre de 26 % (seule l’orge régresse de 9 %). Et ce, malgré cette baisse de rendements évoquée dans presque toutes les régions, allant de 10 % à 15 % en région Centre, Pays de- la-Loire, Bretagne, Lorraine ou Poitou-Charentes, à moins 20 % en Bourgogne, moins 30 à 35 % dans le Sud- Est. “Dans ce contexte, cette hausse des volumes peut s’expliquer par la croissance des surfaces converties des deux années précédentes, donc des apports en C2, marchandise issue de la 2e année de conversion, voire de la première année, tout dépend de la date d’entrée en conversion”, note un expert. Comme la réglementation bio accepte jusqu’à 30 % de C2 dans la formulation des aliments pour animaux, on pourrait s’attendre à ce que le marché en céréales fourragères ne soit pas tellement plus déficitaire que l’an dernier. D’autant plus qu’une possibilité de dérogation court depuis début juillet, suite à la sécheresse, jusqu’à la prochaine mise à l’herbe en 2011, pour accepter la possibilité d’utiliser jusqu’à 50 % de fourrages non biologiques dans la ration d’animaux en production sur la période.

Bond des utilisations

Quant aux utilisations, elles continuent à augmenter, comme le confi rme France Agrimer, en enregistrant sur le début de campagne des hausses de 6 % en meunerie et de 12 % chez les fabricants d’aliments (Fab). La mise en place de nombreux élevages, notamment en poules pondeuses, volailles de chair, porcs tire sur le marché, nécessitant un volume accru de matières premières. De plus, les conversions en bovins laitiers sont nombreuses. Aux quatre coins de l’Hexagone, des usines d’aliments augmentent leur capacité de production et de nouvelles unités se créent. À noter que le bilan campagne 2009-2010 détaille une collecte en céréales (les 3 principales, additionnées au maïs) de 152 204 tonnes pour des utilisations à hauteur de 79 608 tonnes en meunerie et 80 527 tonnes en aliments pour bétail. On s’attend à une hausse sensible des besoins de ces secteurs en 2010-2011, dopée par une grande distribution friande de produits bio.

Cours sous tension

En blé meunier, malgré la progression de la collecte, les disponibilités n’auraient pas augmenté dans les mêmes proportions car le C2 n’est pas admis en alimentation humaine. L’association de la meunerie française table néanmoins sur plus de 55 000 tonnes (volume de la campagne précédente). La baisse des rendements – estimés l’an dernier à 32 quintaux par hectare en moyenne – se conjugue néanmoins avec une hausse de la qualité. En Bourgogne, la coopérative Cocebi indique de bons taux de protéines, tout comme son homologue, Probiolor en Lorraine qui se réjouit de proposer des blés entre 11 et 14. “Mais ces résultats varient selon les régions. Nous devons procéder à des mélanges pour disposer d’un maximum de volumes.” Dans ce contexte, le marché reste prudent, avec des transactions limitées. Alors que les stocks de début de saison sont plus bas que les années précédentes (en blé tendre par exemple, 15 500 tonnes fi n juin 2010 contre 20 000 tonnes fi n juin 2009, soit moins 23 %), les acheteurs, meuniers et fabricants d’aliments, jouent la retenue. “Le marché est attentif, les cours ont subi une forte hausse dans le sillage du conventionnel, mais il faut savoir raison garder, pour ne pas mettre à mal la filière”, craint Jean- Louis Dupuy-Couturier, président de l’AMNF. Au cours de la campagne 2009-2010, plus de 30 000 tonnes de blé tendre ont été achetées hors frontières pour combler le déficit. Cette année, le scénario pourrait se répéter, mais au regard des mauvaises récoltes dans l’est de l’Europe et en Allemagne, les origines pourraient être plus lointaines. “Ce n’est pas une situation favorable ni au bilan carbone, ni à la sécurisation de la filière, note un opérateur. Néanmoins, le contexte est exceptionnel. Avec l’élan des conversions enregistré en 2009 et 2010, les prochaines années seront certainement plus équilibrées. ”

Inquiétudes

Pour l’instant, la filière s’inquiète surtout par manque de réelle visibilité : les chiffres de collecte annoncés refl ètent-ils la réalité ? Que représentent l’autoconsommation et les ventes directes de la ferme ? Quelle est la part achetée hors Hexagone et non enregistrée ? L’envol des cours ne va-t-il pas nuire à l’équilibre des entreprises, fabricants d’aliments et meuniers ? Le lien au sol “régional”, imposé à 50 %, pourra-t-il être respecté ? “Nous sommes contraints par la réglementation bio d’acheter au moins la moitié de nos matières premières entrant dans la composition des aliments sur le territoire régional, rappelle Denis Paturel, président d’Agrobio Europe, société de collecte basée en Côte d’Armor et principal fournisseur de l’usine d’aliment Moulin du Poher. Nous l’avons toujours respecté en étant souvent bien au dessus de la proportion imposée, mais cette année, à défaut d’avoir de la marchandise disponible sur place, notamment du maïs, nous serons contraints d’aller l’acheter ailleurs.” Un constat confirmé par François Bouchet, directeur du Moulin du Poher, qui s’estime otage de cette disposition. “La Bretagne est pénalisée par son éloignement des frontières avec d’autres pays producteurs. C’est pourquoi, l’obligation d’acheter déjà le soja à l’extérieur, en raison du manque de disponibilité du tourteau en France et de l’obligation du 95 % des formules bio – bientôt 100 % –, nous contraint à nous approvisionner sur place en céréales. Mais pas à n’importe quel prix ! ” Alerté de ce risque, l’Inao n’a pas encore donné suite. D’ores et déjà, le prix de l’aliment bio du bétail s’envole. Il pourrait bondir de 50 € à 70 € la tonne. Qui va payer la facture ?

Christine Rivry-Fournier

Récolte 2010 (1):

Maïs : hausse de la collecte estimée à 8 %, pour atteindre 40 885 t. L’utilisation par les Fab est en hausse de 20 % (ce qui représente 44 623 t). Les stocks sont de 13 120 t. Les importations sont estimées par le groupe d’experts Grandes Cultures bio de France Agrimer à 10 000 t et les exportations à 2 000 t.

Triticale : 13 498 t (+ 20 %) de collecte ; utilisation par les Fab de 8 307 t (+ 21 %) et stock de 2 493 t.

Orge : 12 151 t (+ 16 %) de collecte ; utilisation par les Fab de 9 615 t (+ 21 %) et stock de 1 837 t.

Blé tendre : les premiers chiffres de collecte en juillet-août indiquent une hausse de 26 % des volumes par rapport à l’an dernier sur ces deux premiers mois.

Tournesol : la collecte n’est pas encore estimée, mais elle serait plus faible que celle de l’an dernier (12 241 t, en hausse de 20 % par rapport à la campagne 2008/09). (1) Estimations Fnab, France Agrimer et experts.