La filière bio oscille entre euphorie et crainte de la pénurie. Au salon Natexpo, du 22 au 24 octobre à Villepinte, les taux de croissance des transformateurs et des distributeurs, affichés entre 15 et 20 %, voire plus, sont réjouissants. La hausse fulgurante de la demande des consommateurs et la multiplication des magasins – une ouverture estimée par jour –, c’est du jamais vu. Le tout couronné de créativité alimentaire exacerbée : chips d’algues, houmous de haricots rouges et betteraves, tagliatelles aux lentilles corail, gnocchis de kuzu, pâtes feuilletée et brisée sans gluten, filet mignon fumé aux herbes de Provence sans sels nitrités… Afin de respecter au maximum la naturalité des ingrédients, les process de transformation sont de plus en plus pointus. Et chacun les garde plus ou moins jalousement secrets. La concurrence devient rude. Le gros souci, c’est l’approvisionnement en matières premières. Presque toutes les filières sont concernées. Le beurre en est l’exemple flagrant : en bio, son prix a doublé en quelques mois, passant de 4 à 8 euros le kilo. Si les causes de cette pénurie, touchant aussi le conventionnel, allient effet saisonnier, manque de fourrages lié aux aléas climatiques, appels des marchés internationaux et arrêts d’activités (pour le conventionnel), le syndrome est là. À qui le tour ? En bio, on scrute l’arrivée des nouvelles conversions... Y aura-t-il assez de blé, ou d’autres céréales l’an prochain, dans deux ans et après ? Les experts font les comptes. Outre les problèmes météo, certains paramètres sont difficiles à appréhender : la demande internationale par exemple, sachant que les marchés allemands ou américains sont très gloutons, au risque de perturber les prévisions. Côté matières premières pour l’alimentation animale, on redoute le report des surfaces vers des cultures destinées aux nourritures humaines, car plus rémunératrices... Comment s’approvisionner en toute sécurité ? En pommes, la plantation de gros vergers pose questions sur l’équilibre des débouchés... Le secteur bio manque de visibilité, et de données prospectives... L’Agence Bio cherche donc à mettre en place de nouveaux outils pour voir plus juste et plus loin. Mais pour éviter les pénuries, l’essentiel est de pérenniser et encourager les agriculteurs bio. Et de les rémunérer au juste prix, basé sur les coûts de production. Cela, en favorisant la contractualisation pour sécuriser les revenus. Dans son discours de Rungis, suite aux États généraux de l’alimentation, le président de la République en a fait un des chantiers prioritaires. La bio est moteur. Déjà, les contrats pluriannuels sont nombreux, mais pas suffisants, et les engagements ne fixent pas forcément de prix. Il reste encore beaucoup à faire, pour que les paysans puissent travailler sereinement. Avec l’assurance d’un revenu correct, et en partenariats équitables et durables avec tous les maillons de la chaîne. La balle est dans le camp des interprofessions qui doivent établir des plans de filières pour monter en gamme l’agriculture. La bio doit saisir cette opportunité pour tracer les sillons et donner aux agriculteurs bio les moyens de faire leur métier – nourrir la population dans le respect de l’environnement, de l’homme et de l’animal. Le partage de la valeur ajoutée est un challenge à gagner absolument pour sauver la sécurité alimentaire.
Christine Rivry-Fournier