Alors que le gouvernement revient sur le plan de performance énergétique des exploitations, les agriculteurs bio se soucient de plus en plus de leur impact sur l’environnement. Parmi les outils d’évaluation de cet impact, le diagnostic Dialecte, qui attribue une note environnementale, est l’une des plus riches bases de données sur l’agriculture bio en France.
Dialecte a été inventé par Solagro (1) en 1995. L’idée était d’attribuer une note environnementale aux exploitations agricoles, à partir d’un diagnostic précis du système choisi par l’agriculteur. L’outil a été conçu à l’image de ce qui se faisait en Autriche, où la méthode était utilisée comme critère de dotation des aides du deuxième pilier de la PAC. Le dispositif mis en place par Solagro a été amélioré dans le cadre des Contrats Territoriaux d’Exploitation (CTE) sur un nombre test d’exploitations, dans le Sud- Ouest. Aujourd’hui, plus de 2 000 Dialecte ont été réalisés dans toute la France et en Europe. La moitié environ est répertoriée dans une base anonyme mais accessible sur le site de Solagro, dont plus de 500 exploitations en agriculture biologique, ce qui en fait une des plus importantes bases de données sur les exploitations bio actuellement dans l’Hexagone.
Une analyse en un clin d’oeil
Qualifié de “pratique et rapide à réaliser” par ses utilisateurs, Dialecte présente de manière synthétique plusieurs types de résultats. D’une part l’exploitation est décrite à partir du fonctionnement de son agrosystème, avec un bilan NPK de type Corpen, le schéma des flux d’azote et un bilan de l’énergie produite et consommée. D’autre part, un bilan de l’exploitation vis-à-vis de l’environnement s’organise autour de 12 critères et 43 indicateurs, avec une répartition thématique, autour de l’eau, du sol, de la biodiversité et de la consommation des ressources. Selon Sylvain Doublet, technicien de Solagro en charge de Dialecte : “Les résultats permettent de voir en un clin d’oeil les points faibles et les points forts des exploitations. Le résultat final, qui attribue une note, comprend un biais volontaire, favorisant le système de l’exploitation.”
Dialecte permet ainsi de synthétiser au niveau national des résultats environnementaux qui donnent la priorité au choix du système, plutôt qu’aux pratiques. On y retrouve des résultats attendus. Les fermes en polyculture élevage, par exemple, ont les meilleures notes. Les exploitations volailles ou porcs peuvent arriver à de bons résultats à condition de cultiver des céréales en rotation, mais les herbivores sont avantagés par la longueur des rotations qui réduisent l’enherbement. Les fermes céréalières et maraîchères ont une durabilité limitée car très dépendantes aux intrants, “même s’il existe des moyens d’allonger les rotations de ces exploitations, qui peuvent devenir très performantes au niveau environnemental”, explique Sylvain Doublet.
Une base de données à exploiter
L’avantage de Dialecte, loin d’être prévu par ses concepteurs au départ, réside aujourd’hui dans la base de données. Même si certains techniciens de structures bio regrettent qu’elle ne soit pas “assez alimentée”, sachant que tous les diagnostics n’y figurent pas. Mais elle permet d’ores et déjà des comparaisons intéressantes entre exploitations bio et conventionnelles. Pour Sylvain Doublet, elle est explicite sur le fait que “la suppression de la chimie en bio garantit la construction d’un système plus autonome et plus robuste au niveau environnemental, notamment au niveau du transfert d’azote”. Sans pesticides, les agriculteurs bio sont contraints d’allonger leurs rotations avec des espèces résistantes aux maladies. Mais la bio n’empêche pas les sols nus et l’érosion. Et certains agriculteurs conventionnels ont une meilleure efficacité énergétique. Ces comparaisons ne manquent pas d’intéresser techniciens et agriculteurs, attentifs à ces résultats pour en tirer des axes d’améliorations environnementales des exploitations.
Par Marie Massenet,
BiOfil - Mai-Juin 2010 - N° 70
(1) Association spécialisée dans la réalisation d’écobilans et d’études sur les énergies renouvelables. www.solagro.org
Paca : améliorer l’aspect énergétique des fermes
Bio de Provence (réseau Fnab en Provence- Alpes Côtes d’Azur) utilise Dialecte depuis 1998. Dès le départ, cette région a testé le diagnostic pour Solagro. Depuis, son usage s’est répandu : dans le cadre de la démarche qualité de la plateforme Solebiopaïs, pour créer un référentiel régional d’indicateurs agrienvironnementaux à partir d’une quarantaine d’exploitations, sur des zones protégées, sensibles et prioritaires, etc. Depuis 2008, le diagnostic sert à étudier un réseau de fermes exemplaires, dans le cadre du programme Agir “Vers 100 exploitations et coopératives agricoles exemplaires”, piloté et financé par la région Paca. Pour Didier James, chargé de mission environnement à Bio de Provence, “ce genre de diagnostic peut intervenir dans la décision de conversion d’un agriculteur en bio. Mais pour ceux qui le sont déjà, c’est un moyen de réfléchir à leur exploitation.” Pour lui, les résultats peuvent aussi servir à quantifier des changements de systèmes et de pratiques, et à suivre les performances environnementales dans le temps. D’une manière générale, les agriculteurs sont plutôt satisfaits et parfois surpris de découvrir l’importance des pratiques menées en bio au niveau des infrastructures agro-écologiques (haies, mares, arbres,…) et du maintien de la biodiversité (plus d’espèces représentées). “Souvent, c’est sur l’aspect énergétique que les agriculteurs sont amenés à changer des choses en bio. Pour cela nous utilisons aussi le diagnostic Planète de Solagro, consacré au bilan carbone des exploitations.” Dans le cadre du réseau Agir, Bio de Provence a ainsi entamé une réflexion d’économie sur tous les postes énergétiques des exploitations, en allant du fioul à la consommation en électricité des chambres froides. Ce, afin de retrouver ou d’inventer des gestes simples, dans le cadre d’une réflexion collective encouragée au niveau régional.
Poitou-Charentes : un moyen de communiquer sur la bio
En Poitou-Charentes, une expérience intéressante est menée par Élisabeth Bernier, coordinatrice du programme “Protection des captages d’eau en Poitou- Charentes par la bio”. Dans le cadre d’un programme de sensibilisation des agriculteurs à la qualité de l’eau, menée avec l’Agence de l’eau, des diagnostics Dialecte sont réalisés sur des exploitations conventionnelles près des zones de captage. Ils apportent une vision de la ferme et une note. Mais Élisabeth Bernier propose aux agriculteurs de simuler les résultats obtenus en allongeant des rotations, en ajoutant des cultures, voire en mentionnant un passage en bio. Cette action menée à destination des agriculteurs conventionnels interpelle les élus. Dans le Bassin de la Rochelle, une dizaine de fermes conventionnelles ont ainsi été enquêtées. “Comme le diagnostic ne les engage à rien, les agriculteurs nous font confiance, explique la coordinatrice du projet. Ces fermes sont ensuite comparées aux 18 exploitations bio qui servent de référence sur les zones de captage. Cette année, l’expérience est maintenue, et 36 Dialectes sont en cours, avec simulations du passage en bio et conseils suite au bilan azote et phosphore”. L’outil, “facile à utiliser et rapide, n’est pas toujours adapté en bio, notamment dans le domaine des cultures associées, ce qui oblige certains “jonglages”, regrette Élisabeth Bernier. Mais pour elle, l’objectif est ailleurs, et il est double : communiquer auprès des agriculteurs en conventionnel et auprès des preneurs de décisions sur l’environnement.
Un soutien lors des visites de fermes de démonstration
Pour le Gab Ile-de-France, les diagnostics servent à mieux connaître les 10 fermes de démonstrations qui ouvrent leurs portes toute l’année. Ces fermes viennent d’achever les bilans IDEA (sur la durabilité), Dialecte et Planète (axé sur l’énergie et le bilan carbone). Les agriculteurs qui font visiter leurs fermes ont choisi les thèmes qu’ils souhaitaient développer auprès de leurs visiteurs. À partir des données récoltées, le Gab doit produire des outils de communication : documents à distribuer, présentations informatiques, panneaux… qui étayeront les visites. Une initiative déjà mise en place par la Frab de Champagne- Ardennes pour appuyer les démonstrations des agriculteurs. Ceux-ci expliquent ensuite, de visu, et résultats à l’appui, les avantages de la bio, pour une meilleure gestion de l’environnement.
Un outil à développer
“C’est un diagnostic facile et rapide à réaliser, et qui reflète une image correcte de l’exploitation.” Patrick Lemarié travaille pour la Coordination agrobiologique des Pays-de-la- Loire. Sur cette région, plus de 90 fermes ont été diagnostiquées ces quatre dernières années, en lait, viande bovine, céréales et maraîchage. L’idée était de recueillir des éléments sur les impacts environnementaux des exploitations pour amorcer un travail avec l’Agence de l’eau. Cette initiative apporte des éléments intéressants sur les résultats des exploitations bio. Cependant, ce chargé de mission environnement et développement de la production regrette les limites de Dialecte qui ne permettent pas d’en tirer partie dans un cadre strictement bio : “Tous les diagnostics ne sont pas mis en ligne. C’est dommage, il faudrait généraliser l’outil pour s’en servir en groupe, au niveau national et régional. Le diagnostic comprend beaucoup d’axes d’observation qui pourraient servir à tous les agriculteurs bio.”