Face aux déficits budgétaires, la bio n’échappe pas aux coups de rabots portés dans tous les sens. L’Agence Bio en a fait les frais vendredi 17 janvier en fin de journée au Sénat : lors du débat sur le projet de loi de finances, dans un hémicycle très clairsemé, elle a subi une attaque mortelle, que visiblement, personne ne soupçonnait. L’amendement présenté par Laurent Duplomb, sénateur de la Haute-Loire (LR), proposant sa suppression, a été adopté en catimini (15 voix pour, 14 contre, pas d’abstention), contre l’avis défavorable de la commission, et « l’avis de sagesse » – donc bienveillant – du gouvernement. « Ses missions seraient reprises par FranceAgriMer, car il faut faire des économies et trouver des moyens pour favoriser l’agriculture dans sa globalité » , avance le sénateur Duplomb. D’où une économie de 2,9 M€ liée à son coût de fonctionnement annuel (amendement n°II-1530).
« Cela est dramatique »
« Cette suppression de la subvention pour charge de service public se traduirait probablement et presque certainement par un recul des pratiques pourtant indispensables pour assurer la transition écologique », objecte Victorin Lurel (socialiste), rapporteur spécial de la commission des finances. Mais de son côté, la ministre de l’Agriculture Annie Genevard estime « pertinente » l’idée d’internaliser ou transférer à d’autres entités les services de l’Agence Bio. « Nous émettons cependant un avis de sagesse, car on doit travailler avec les acteurs pour la rendre opérationnelle. On a besoin de préparer l’atterrissage avec les principaux intéressés, c’est une question d’acceptation. » Pour les sénateurs présents opposés à cette décision, celle-ci est révélatrice de la volonté de faire rentrer la bio dans une petite niche. « Tout cela est dramatique, et cette position est inquiétante face à tous les coûts cachés de l’agriculture, notamment pour la qualité de l’eau, on a besoin de l’Agence Bio », réagit Daniel Salmon, sénateur d’Ille-et-Vilaine (Groupe écologiste).
Un outil indispensable
Stupéfaits en apprenant cette nouvelle – malgré une première alerte en novembre –, les acteurs de l’agriculture et de l’alimentation se mobilisent pour sauver l’Agence Bio. « Nous avons une semaine pour agir et convaincre de la nécessité de maintenir notre Agence, avant la tenue de la commission mixte paritaire, qui va ausculter les amendements à partir du 30 janvier », explique Jean Verdier, président de l’Agence Bio. Cette commission, composée de 7 députés et de 7 sénateurs est chargée d’aboutir à la conciliation des deux assemblées sur un texte de budget commun. Toutes les familles professionnelles agricoles, réunies au conseil d’administration de l’Agence Bio autour de la Fnab, les chambres d’agriculture de France, Synabio, La Coopération agricole, appellent à l’unisson au maintien de cet outil indispensable au déploiement de la filière bio, à travers notamment les voix de Loïc Guines, pour les chambres d’agriculture de France, Bruno Martel pour la Coopération Agricole, Jérémie Ginard pour le Synabio, Benoît Soury de chez Carrefour pour la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), ainsi que le Synadis – syndicat des magasins spécialisés – et les interbio régionales.
Besoin de soutiens
« Venir nous expliquer en pleine crise de la bio qu’il faut supprimer l’acteur chargé de promouvoir nos produits, et structurer les filières, c’est pour le moins osé, réagit Philippe Camburet, président de la Fnab. Depuis trois ans, nous avions l’impression d’être rentrés dans un processus collaboratif de recherche de solutions qui vient d’être mis à terre » Pour la FNSEA et les Jeunes agriculteurs, l’offuscation vient aussi de la méthode brutale sans concertation : « Ce vote est incompréhensible. Il est indispensable de préserver les moyens qui sont dédiés à l’Agence et d’accompagner les filières bio et les agriculteurs qui s’engagent dans cette voie, plaide Brice Guyau, président de la commission bio de la FNSEA. Ces femmes et ces hommes, présents sur l’ensemble du territoire et dans toutes les productions, ont besoin de soutien, pas d’un affaiblissement supplémentaire ». La Confédération paysanne réagit également en dénonçant « le risque d'internaliser ses missions serait de saucissonner les enjeux par filière et de noyer encore davantage les moyens dédiés à la bio » . Générations Futures, Terre de Liens, LPO, etc., les organisations sont nombreuses à monter au créneau pour défendre l’existence et les missions de l’Agence Bio, tremplin et moteur de la transition agricole, respectueuse de l’environnement et de la santé humaine.
Un non-sens
« Cette décision brutale est un non-sens puisqu’elle intervient alors même que les moyens de l’Agence Bio ont augmenté de près de 75% depuis 2022, dans le but de financer les besoins d’une filière qui commence à rebondir après trois ans de difficultés, pour repasser à nouveau la barre des 13 milliards d’euros de chiffre d'affaires », rappelle Jean Verdier, élu l’an dernier en présidence tournante. Créée en 2001, l’Agence Bio – Agence nationale pour la promotion et le développement de l’agriculture biologique – est un lieu unique de concertations, d’expertises et d’actions de la filière nationale bio, en lien avec les régions, de l’amont à l’aval, chargé de la communication, de l’annuaire, de la structuration de filières via le Fonds Avenir Bio, de l’Observatoire, de Cartobio, de l’application de la loi Egalim : elle est enviée. Sa gouvernance optimise ses moyens et son efficacité pour s’imposer dans cette ferme nationale si mal en point. « Et c’est encore perfectible », précise Laure Verdeau, sa directrice.
Sur le qui-vive !
Malgré ses détracteurs, les résultats sont là. « La bio française pèse 10 % des surfaces agricoles, 16 % des producteurs et productrices, motivent les jeunes à s’installer pour le renouvellement des générations, génère 215 000 emplois au service d’un modèle vertueux respectueux de la planète », insiste le président Verdier. Mais visiblement, elle dérange tant, qu’elle est prise pour cible parmi les 1 000 agences nationales soi-disant visées. Sans l’Agence Bio connectée au terrain, l’agriculture et l’alimentation bio seront diluées, invisibilisées, se désolent les professionnels, agriculteurs et autres opérateurs, toujours motivés malgré les difficultés. Un signal négatif, un retour en arrière de près de 25 ans ! « Pourtant, le nouveau plan Ambition Bio 2027 a été adopté en avril 2024 et le contrat d’objectif et de performance, signé à nouveau par le ministre de l’Agriculture au Sia de l’an dernier pour quatre ans, prouvent son efficacité, souligne Jean Verdier. La Cour des comptes a d’ailleurs salué son intérêt, recommandant de lui donner plus de moyens dans son rapport de 2022 » . Alors que la campagne de communication Bioréflexe inédite, de grande envergure, concoctée par toutes les familles professionnelles réunies au sein de l’Agence, avec un budget de 4,6 millions d’euros, va être lancée au Salon de l’Agriculture fin février 2025, la filière bio reste plus que jamais sur le qui-vive.
Christine Rivry