« Malgré la conjoncture et une météo incertaine, nous avons réussi à maintenir notre 5e rendez-vous Tech&Bio régional , se félicite Philippe Noyau, président de la chambre régionale d’agriculture du Centre-Val de Loire, organisatrice de ce Tech&Bio régional Élevages et cultures de terrain, unique en France en 2024 (1). Nous nous sommes mobilisés pour apporter des leviers concrets aux producteurs et productrices, bio et aussi conventionnels, afin de progresser ensemble, via des transferts réciproques. »
Représentant 10 % des fermes – 2 000 exploitations –, et occupant près de 5 % de la SAU régionale, soit 114 700 ha, l’agriculture bio poursuit sa progression jusqu’en 2022 en Centre Val de Loire, tirée par le Cher, l’Indre, et l’Indre-et-Loire. « Comme partout, la tendance est à la stagnation, et sans connaître encore les chiffres précis pour 2023, il semble qu’il y ait peu de déconversions, la difficulté restant la transmission », précise Étienne Gangneron, président de la chambre d’agriculture du Cher, et référent bio à Chambres d’agriculture France.
Dans ce contexte sensible pour l’agriculture en général, et pour certaines filières bio plus touchées, le RDV Tech&Bio affiche une profession mobilisée : techniciens des chambres d’agriculture, des groupements de développement agricole (GDA), conseillers de Bio Centre et du Gabbto, de la FRCuma et aussi plus d’une trentaine de fournisseurs sont venus à la rencontre de tous les agriculteurs, quel que soit leur choix de systèmes. « L’objectif est aussi d’accompagner les bio à ne pas se déconvertir, et de sortir de cette passe difficile », appuie Philippe Noyau.
Soutien de la ministre déléguée Agnès Pannier-Runacher
Alors que Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture est retenu à Paris, en plein débat et échanges sur la nouvelle loi d’orientation agricole, sa ministre déléguée Agnès Pannier-Runacher rappelle le soutien apporté aux filières bio en difficultés. « Les agriculteurs sont les premières victimes du dérèglement climatique, rappelle Agnès Pannier-Runacher lors de l’inauguration du salon. D’où la nécessité de vous accompagner dans la transition, et de fournir aux filières un bouquet de solutions, évalué scientifiquement via la balance bénéfices-risques. »
Priorisant la recherche pour les conventionnels, de molécules de substitution « moins nocives », la ministre déléguée à l’agriculture et la souveraineté alimentaire plaide « pour inventer des méthodes, visant à n’utiliser les phytos que si besoin, selon les années climatiques, la mise au point d’herbicides aux impacts mineurs, l’usage des nouvelles techniques génomiques ».
Si son discours pointe « la faiblesse des rendements bio », la ministre déléguée reconnaît cependant les efforts à redoubler pour stopper la perte de la biodiversité. Si l’enveloppe d’un milliard d’euros mobilisée dans le nouveau plan Ecophyto sur trois ans pour trouver des alternatives « pourra également servir à rechercher des solutions en bio », l’une de ses priorités reste « de réduire la concurrence déloyale liée aux autorisations de pesticides non harmonisés au niveau européen ».
Aides d’urgence à la bio : les dossiers en cours d’instruction
Le guichet pour l’aide d’urgence aux bio sur la période allant de juin 2023 à mai 2024 vient d’être bouclé. Le ministère annonce que 6 700 dossiers de demandes ont été déposés au niveau national, et sont en cours d’instruction. Les premiers versements seront effectués début juin.
L’enveloppe annoncée de 90 M€ sera répartie entre les demandeurs, dont 85 % au moins de l’activité des exploitations doivent être bio. Les dossiers en instruction concernent en majorité les grandes cultures, l’élevage et les fruits et légumes. Les régions les plus représentées sont, par ordre décroissant, l’Occitanie, la Nouvelle-Aquitaine, les Pays de la Loire, l’Aura, et la Bretagne. Contrairement à la première enveloppe portée à 104 M€ destinée à soutenir les pertes de 2022-2023, le dispositif en cours prévoit des plafonds d’aides situés à 30 000 € par exploitation, et 40 000 € pour les jeunes agriculteurs.
L’élevage, indissociable des cultures
Insistant néanmoins sur l’urgence d’appliquer Egalim et de développer les débouchés de la bio en RHD – dans tous secteurs publics et privés – pour rebooster le marché, Agnès Pannier-Runacher tient surtout à ne pas opposer les systèmes. Elle souligne l’importance de conjuguer élevages et cultures, thème choisi par la chambre régionale d’agriculture de Centre-Val de Loire pour son RDV Tech&Bio, et rappelle le rôle primordial des prairies pour stocker le carbone.
La fosse pédologique, sur le site du salon, montre l’intérêt des prairies et des couverts. « Ces sols argilo-calcaires sont fragiles, et une bonne couverture permanente les structure, pondérant les aléas climatiques, sécheresse ou excès d’humidité, explique Julien Martinez, conseiller environnemental de la CA 37. Il faut faire avec son sol, et non contre lui. » D’où l’intérêt aussi du choix des espèces prairiales ou de couverts, des mélanges avec des graminées à petites racines. « Il faut amener la biodiversité dans le sol, et la bio doit être encore plus attentive à ces aspects. »
Des essais longue durée à la ferme de la Saussaye
La ferme de la Saussaye de l’Eplefpa de Chartres conduit 40 ha de grandes cultures en bio sur une surface totale de 140 ha sans élevage. « Nous sommes là pour présenter les résultats de notre essai longue durée, démarré en 2010, et mené en lien avec le réseau national RotAB », détaille Clémence Isac, directrice d’exploitation. Le RDV Tech&Bio est l’occasion d’expliquer les enjeux de cette expérimentation. « Les terres bio sont situées sur un territoire à enjeu eau, au plus près de la zone de captage de Chartres Métropole. L’Agence de l’eau Seine-Normandie soutient cette initiative, et finance aussi une partie du poste liée à l’essai. »
Deux dispositifs bio sont comparés depuis treize ans : un système autonome en intrants organiques et un système producteur dit « optimisé ». « Le premier, avec une luzerne en tête de rotation sur trois ans, vise la rentabilité en misant sur le désherbage mécanique, et le second, en maîtrisant les intrants et le salissement », explique Delphine Barberis, chargée de mission. Sur ces terres limono-argileuses profondes, non irriguées, difficile d’élargir la rotation à des légumes de plein champ pour augmenter la rentabilité.
Décrochage du système autonome
Le système autonome se heurte à des limites économiques depuis 2021, en partie en lien avec le pic d’inflation. Il décroche : « Jusqu’à cette année-là, il était compétitif, avec une marge brute inférieure compensée par des charges moindres, en main-d’œuvre et en mécanisation, analyse Clémence Isac. De plus, il subit une faim d’azote marquée, combinée à une forte pression de chardon et de rumex ». D’où la réintroduction de luzerne dans la rotation pour lutter contre ces problèmes, « indispensable à tous systèmes bio », concluent les expertes.
Depuis 2022, la mise en place, par l’Agence de l’eau Seine-Normandie, de PSE – paiement pour services environnementaux – apporte un bonus économique encourageant. Quant à l’amélioration de la qualité de l’eau, elle ne peut se mesurer qu’à long terme, « car les temps de réaction à l’arrêt des pesticides et des apports d’engrais chimiques sont très longs », rappelle Delphine Barberis.
La laiterie Verneuil : « La force des petits »
La Laiterie Verneuil Touraine-Berry, située à Betz-le-Château en Indre-et-Loire, produit 70 ML de lait par an, dont 3 ML en bio. Bruno Dechêne, sociétaire et secrétaire, également vice-président de Bio Centre met en avant « la force des petits ». « Nous pouvons répondre à des marchés de niche, plus modestes, avec deux produits bio de qualité, le lait et le beurre à notre marque régionale. Si nous déclassons encore actuellement la moitié du lait bio, nous sentons une reprise », explique-t-il.
La laiterie ne prend plus de nouveaux adhérents bio, mais certains attendent le feu vert pour se convertir. « Il faut être patient, on est serein et on soutient nos éleveurs. » La coopérative laitière produit aussi deux AOP, Sainte Maure de Touraine et Valençay, mais pas en bio. Elle fabrique également de la poudre de lait pour Biolait. En plus de ses débouchés en GMS et grossistes, elle mise sur la restauration collective, en proposant des bag-in-box de 10 litres de lait pour s’adapter.
Appel à un 3e fonds d’urgence
« Nous avons réussi à maintenir un prix du lait très correct aux producteurs, avec une prime de 90 €/1 000 L sur le conventionnel, explique Bruno Duchêne, lui-même éleveur en Gaec de 90 vaches Prim’Holstein, Montbéliarde, croisées Brune et Jersiaise, sur 160 hectares de prairies et en autonomie. En bio depuis 2009, mon seul regret est de ne pas avoir commencé plus tôt. »
Pour autant, il s’inquiète pour les filières bio en difficultés. « Nous demandons un 3e fonds d’urgence pour les producteurs qui n’ont pu finaliser leurs dossiers d’aide à temps, insiste-t-il en tant que vice-président de Bio Centre . Et nous manifestions à Limoges le 21 mai pour demander les paiements Pac en retard pour les bio, et éviter les pénalités des banques. »
Christine Rivry-Fournier
(1) Un second Tech&Bio régional 2024 est prévu dans le cadre de Med’Agri en Avignon du 15 au 17 octobre.