[Édito du Biofil n°151 – janvier - février 2024].
Quand on pense qu’il suffirait que les gens augmentent un peu leurs achats bio pour que la filière rebondisse, et reprenne une croissance rassurante pour tous les opérateurs et l’avenir de la planète ! Ce n’est pas de la pensée magique, ni de l’utopie : comme le martèle l’Agence Bio, doubler la part de marché bio, en passant de 6 % à 12 %, sortirait la filière de l’ornière actuelle. Sinon, comme le pointent les structures bio, ce sera un retour de cinq ans en arrière, basé sur un socle limité de citoyens avertis conscients des enjeux.
Mais quel gâchis humain et économique ! Partout en France, les agricultrices et agriculteurs bio se démènent pour produire des aliments en respectant au maximum la santé de la terre et des êtres vivants. Ils ont construit des filières performantes, de l’amont à l’aval, répondant à une demande sociétale très forte de ces dernières années. Soucieux de ne pas polluer les sols, l’eau, l’air, ils innovent, testent, expérimentent, investissent, prennent des risques, stimulent des changements de pratiques, s’organisent, et revalorisent un métier encore si mal considéré. Biofil en témoigne au fil de ses reportages depuis plus de 25 ans. La filière bio est inspirante pour tirer toute l’agriculture vers le haut.
Toutes les filières sont touchées de plein fouet par cette crise liée à l’inflation : la consommation a ralenti, alors que la production est au plus fort, avec près de 11 % de la surface en bio, et une récolte 2023 exceptionnelle, en grandes cultures, fruits, légumes, fourrages – hormis pour certains territoires ou espèces. La bio française a gagné son pari, en devenant quasi-autosuffisante, voire exportatrice. Mais c’est une évidence : le marché seul n’est pas suffisant pour valoriser et développer cette filière exigeante, et locomotive de la transition agricole. La preuve, il est trop versatile.
Le soutien d’urgence d’État de 94 M€ vers les exploitations bio fragilisées sur la campagne 2022 et 2023 est un signal positif. Tout comme le budget de 10 M€ destiné à l’Agence Bio pour la communication, et celui du Fonds Avenir Bio, passant de 18 M€ en 2024. Dans certaines régions, la poursuite de l’aide au maintien pour cette nouvelle année va également dans le bon sens (lire p. 8). Mais cela sera-t-il suffisant ? Pourquoi, dans ces conditions, le bonus de l’écorégime destiné à rémunérer les bio pour leurs services rendus à l’environnement et à la société, a-t-il été revu à la baisse, passant de 110 €/ha à 92 €, alors que les 145 €/ha demandés par les bio, seraient une juste reconnaissance ?
Pourquoi les bio n’ont-ils pas accès au HVE, de façon automatique et gratuite, sachant qu’ils vont beaucoup plus loin dans les pratiques, n’en déplaise à leurs détracteurs ? D’autant plus que le rapport de la commission d’enquête sur les pesticides paru fin 2023 est sans appel : les dix ans d’Ecophyto sont un fiasco et la chute de la biodiversité se poursuit. Et pourtant, que d’argent public englouti ! Parmi ses préconisations : pour réussir à baisser de moitié l’usage des pesticides nocifs à la planète, la bio doit être privilégiée et valorisée. Ce devrait être, sans aucun doute, le moteur de la nouvelle planification écologique de l’État, afin de vite faire rebondir la bio.
Christine Rivry-Fournier